Texte obtenant le Prix spécial (Prix-se de risque), Prix de la Sorge 2022

Écrit par : Alex Pérez

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Texte obtenant le Prix spécial (Prix-se de risque), Prix de la Sorge 2022

Écrit par : Alex Pérez

CONCOURS • 35 membres de la communauté universitaire lausannoise ont participé au concours littéraire du Prix de la Sorge 2022 organisé par L’auditoire, sous l’unique condition de soumettre un texte de moins de 25’000 caractères espaces compris. Un jury composé de l’écrivaine et éditrice Abigaelle Lacombe, de la professeure de français moderne à l’Université de Lausanne Danielle Chaperon, du journaliste au journal Le Temps Sami Zaïbi, de la membre de la revue Archipel Elena Link et de la co-rédactrice en chef de L’auditoire Jessica Vicente, a récompensé quatre textes. Hors des trois premiers prix initialement prévus, le jury a décidé d’attribuer le prix Prix(-se) de risque à un quatrième texte. La cérémonie de remise des prix s’est déroulée jeudi 24 novembre au soir au foyer de la Grange de Dorigny, avec l’accompagnement musical du groupe Oxeon formé de la chanteuse Sylvie Klijn et de l’accordéoniste Léa Gasser.

I

c’est pas le moment d’écrire de la poésie
tu mettrais quoi dedans avec tes idées
brouillées
tu dirais rien qui vaille la peine
c’est quoi
la peine tu
mettrais
les tripes et les viscères celles
qu’on t’a prises qu’on a
cuisinées servies dans des plats en argent et
recouverts de poussière qu’on a
fait revenir à la poêle puis au four
étalées sur du pain ajouté du sel
et on s’est dit
que c’est bon
je l’ai fait moi même

il faut se taire pour mieux
être il faut
s’asseoir et
oublier
lentement
sur les pavés sur le bitume l’image et
quelques sons
c’est la posture qui
me
reste
c’est le souffle entre les os
je marche encore
un peu et
JE ME SOUVIENS c’est dans le corps c’est
la marque dans
le corps qui reste et tout
ce que tu ne fais pas à mon corps je
m’en souviens aussi mais
avec moins
d’exactitude

si je me remets à écrire je
revendique la recette
C’EST MOI QUI T’AI DIT COMMENT
CUISINER MES TRIPES devine quoi j’ai
recommencé déjà trois fois
gloussements fond de gorge je
rigole pas quand je dis qu’il me faudra te
faire taire
je met mes amplis très fort je recouds
mon bide
comme ma maman pour que je sorte
les tissus qui accrochent j’y vais
sans anesthésie TAIS TOI juste la nicotine
et du fil de pêche
avant de serrer je glisse
quelques cailloux
et quelques graines

je cicatrise
toujours
mal
petites gouttes en onomatopées
à l’intérieur du crâne et
à l’extérieur
pour faire les mots il faut
de plus petites structures
tout y est mais rien vraiment
ça coule par tous les orifices
je passerai la serpillière
j’imite les êtres humains
quand ils parlent je
deviens flaque et oscillations
j’ai coupé un tout petit bout de ma chair
CETTE FOIS C’EST MOI pour voir
j’ai fait des traits pas parallèles
on sait jamais
si j’ose
des dessins au fil de fer

II

tout petit et je vois pas
je préfère me dire ça
plutôt que de fermer les yeux
je me souviens plus d’hier ou
d’avant hier
à cause du trou dans ma mémoire
ou quelque chose qui la mange
j’écrase entre mes paumes celles
qui tournent
et elles s’arrêtent
si j’ai de la chance sinon
je leur donne de l’inertie
je les vois plus seulement le mouvement
un peu d’air qui rappelle
près du visage
les mains battantes devant les yeux pour
attraper
je sais plus pourquoi on se tient droit
ou comme on peut
il faut peut-être plus
bouger il faut
peut-être
plus
penser à ce qui écrase
le plexus et les autres choses
prendre un peu d’élan
un tout petit peu juste
un pas
et demi TU ME VOLES TOUT CE QUE TU VEUX
TU ME VIOLES TOUT CE QUE TU VEUX c’est fini
elle est morte et vous le
savez et
moi aussi
je crois maintenant que tu m’as pris dans tes bras pour
rien d’autre que me dire de me
taire
et je
te prends par les épaules et je
te dépose loin
je parlerai plus fort que toi même si tu mets encore
du scotch sur ma bouche
je parlerai avec mes mains ou avec
mon ordinateur
je parlerai des langues
que tu parles pas et je dirai tout ce que je veux et tu
me prendra plus rien
je brûlerais tes poèmes si je pensais pas
quand même
qu’il y en a quelques-uns à garder
il y a des signes pour les sens c’est pas
pour rien
de l’œil à
la bouche de
l’eau à
la commissure des lèvres
j’ai peint les miennes en
rouge
pour le plaisir j’ai
veillé
toute la journée j’ai
oublié de dormir
et sur la peau une pellicule
bleutée et sous
les cils
plus rien

on m’a dit que je pouvais
prendre le temps
de respirer un peu d’emmagasiner la douceur
les sentiments j’avais
peut-être
quinze ans la première fois et la
deuxième et les suivantes je me
souviens pas mais
ma moelle épinière
si ELLE SE SOUVIENT TELLEMENT
QU’ELLE TREMBLE
ENCORE et toi tu attends
alors moi les
émotions fortes tu vois je
m’en passerais bien
votre adrénaline je la découpe
en lamelles je
la lacère et je la jette
par la fenêtre sur l’autoroute mais
je vois avec les yeux
nettoyés je regarde le sol et c’est
un nouveau sol je lui dis
je m’en fiche si tu pries ou pas
du moment que quelque chose
parfois
te fait pleurer pour rien

je me demande je sens
il y a dans les viscères et la fatigue
je vois
plus rien j’éventre
ouvrir encore la voix
l’écho dans la caverne osseuse
les obscénités je
sais pas ce que ça veut dire je
me pends je
m’éprends de la couleur
en tension
obtenir la teinte
exacte
de mon
absence
je dormirai jusqu’à demain et
le réveil c’est un larsen
directement du trait
aux sens
à la texture
de ma
présence

quand je DIS OUI À L’ANESTHÉSIE des sens
c’est pour de faux
je peux pas contenir
tout
les tripes qu’on a cuisinées les
graines que j’ai plantées
dans mon ventre j’y ai mis
des choses que tu sauras jamais
j’y ai mis
de quoi
recommencer
j’y ai fait pousser
toute ma tendresse
je la cache
pour les impies je la garde
pour quelques temps
au printemps j’irai cueillir
les fleurs de mon œsophage
je ferai deux bouquets un
pour moi
un pour elle

III

d’abord
on se rend illisible on construit
des maisons
que personne peut habiter
d’autre que soi
je peux pas t’inviter tu dirais
pourquoi tu as mis une marche là
et la poutre et le carrelage il est
trop froid
alors que c’était la parfaite température

ensuite
ça s’accroche par
vulnérabilité comme toujours et
pour la lumière
juste au dessus du crâne
quand je pense
et qu’autour des tables de cafés
sur le sol
dans mon lit
tu parles avec des mots
que personne comprends
avec l’aisance des fourmis qui envahissent
mon balcon
depuis le début de l’été
tu portes trois fois ton poids
en bêtise attentive
en douceur névrotique

toi TU DIS N’IMPORTE QUOI et moi rien
parce que si j’avais ouvert ma bouche
fait vibrer les cordes
vocales
j’aurais tout vomi sur la table de jardin
sur le béton
j’aurais dit la vérité et
j’ose pas
à quelques détails près j’aurais eu le droit
on a tracé la frontière de la morale
invisible
autour de ta personne
comme je trace un arc
autour de toi quand tu t’en vas
et toi
autour de moi
quand je pleure devant toi
si tu laisses faire je fais pas exprès
sur la peau et dans les os
je touche un peu
le plus doucement possible
dense
fluide après un certain temps
et par tendance je continue mais en surface
au fond
pareil

cette fois c’est toi
et moi j’attends je respire fort et
lentement je
joue le jeu je suis
grand et je sais
que pour un bandage on va dans le
sens du cœur que pour
mourir il faut
vouloir que je suis pas
si bête j’apprends à lire
et j’apprends ce QUE TU SAIS PAS
ENCORE alors je ferme
tes yeux et pas
les miens je touche avec
la pointe et en dedans
des trucs qui se préparent des
envies de
violence
pour faire contraste

je les trouve
je leur crache au visage
je leur écris des lettre
des e-mails cinglants
je leur explique la vie
parce que je sais tout parce que
j’ai toujours
raison
je casse leur boite aux lettres à
main nue
je leur fais manger leur langue
et leur solitude
je leur écris des poèmes
des qu’iels voudront pas lire
des qui les accusent
qui les mettent en tort
je leur fais manger mes mots

je les fais fuir

je te tiens les portes je te caresse les cheveux je te prends
la main ou alors c’est toi trop fragile les os se cassent et
s’effritent je répare à la loupe je recolle les morceaux à la
colle forte sur le tapis et j’agence mon corps pour y mettre
le tien et je roule tes cigarettes et je regarde le plafond et je
regarde ta présence quand elle échappe je respire j’attends
le lendemain pour pleurer et je
t’écris
des
poèmes

J’ÉCRIS PLUS POUR MOI J’EN
AI RIEN À FOUTRE ou alors juste plus besoin
et c’est un mensonge immense comme
un immeuble
sur mes portes sur
toutes mes portes j’écris pour me souvenir
de respirer et de bouger mes
phalanges une par une de
pas les laisser rouvrir
suivre la césarienne suivre
le cutter dans le tissus c’est
moi qui le tiens
si je lâche la pression il
tombe
entre les gouttes de brume je
m’assied le carrelage et le
liquide
c’est moi
plus besoin de chercher

L’Avis du Jury
Le choix du genre « lyrique » induit ou traduit une conscience suraiguë de la forme. Le jury a particulièrement apprécié des élans brisés par de brusques rejets, des métaphores filées qui désignent, par la bande, une écriture qui se fait points de couture. Un bon travail de découpe et un chapitrage décalé. Tout ce travail de précision produit une concentration extrême : on devine qu’il s’agit d’un combat contre une force adverse contre quoi le poème s’édifie, contre quoi il cherche à imposer sa mesure, son pas, sa respiration. On suit ce combat sans savoir exactement de quelle nature est ce phénomène.