Illustration : ©Talma

Propos recueillis par : Furaha Mujynya

THÉÂTRE • Rencontre avec Talma et la troupe Zara pour parler de leurs performances qui auront lieu le 5 mai à la Grange de Dorigny dans le cadre du Festival Fécule. (interview 1/2)

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Propos recueillis par : Furaha Mujynya

THÉÂTRE • Rencontre avec Talma et la troupe Zara pour parler de leurs performances qui auront lieu le 5 mai à la Grange de Dorigny dans le cadre du Festival Fécule. (interview 1/2)

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Propos recueillis par : Furaha Mujynya

THÉÂTRE • Rencontre avec Talma et la troupe Zara pour parler de leurs performances qui auront lieu le 5 mai à la Grange de Dorigny dans le cadre du Festival Fécule. (interview 1/2)

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Talma – Interview avec Matteo Capponi

Illustration : ©Talma

Propos recueillis par : Furaha Mujynya

THÉÂTRE • Rencontre avec Talma et la troupe Zara pour parler de leurs performances qui auront lieu le 5 mai à la Grange de Dorigny dans le cadre du Festival Fécule. (interview 1/2)

Le titre du projet, c’est « Dans l’ombre. Une autre Énéide », c’est ça?

Entre-temps, on a laissé tomber « dans l’ombre » pour avoir un seul concept et donc ça s’appelle finalement « Une autre Énéide ». Dans le programme, ça s’appelle encore « Dans l’ombre. Une autre Énéide », mais il faut plutôt accentuer sur l’altérité de cette « Énéide ».

Mais du coup de quoi ça parle ?

Eh bien, assez formellement, c’est une traversée de l’Énéide, de cette grande épopée contant la légende de Rome, qui a été commanditée par Auguste, un petit peu avant Jésus-Christ à son grand poète national : Virgile. Il s’agissait donc de doter Rome d’une épopée fondatrice. On a d’abord réagi à un appel, qui était celui du festival latin grec qui, chaque année, met une œuvre en avant. Is avaient proposé l’Énéide cette année. Et comme on fait une alternance – grec, latin, grec, latin – l’année passée on était avec Aristophane, on a décidé de saisir cette occasion de jouer une épopée latine. On aime assez bien ce principe d’avoir une matière rétive au théâtre, qu’il s’agit d’adapter pour la scène. Donc c’est un c’est un grand poème, en hexamètre de douze chants, c’est-à-dire 12’000 vers à peu près. C’est difficile à compresser et le pari, c’était d’arriver à résumer ça en 1h15–1h30. Donc on joue une épopée de 12’000 vers en 1h15.

on joue une épopée de 12’000 vers en 1h15

Contrairement à Ulysse ou à Achille, Enée n’a pas beaucoup de relief. Et même le traducteur Paul Veyne dit que « l’Énéide, c’est un très beau film, mais avec un acteur qui ne joue pas très bien ». Et c’est vrai que c’est un personnage qui est tellement le jouet du destin et qui a une telle destinée – celle de fonder Rome – qu’il a très peu de choses dans lesquelles on peut se reconnaître. On a l’impression qu’il va fonder un futur peuple conquérant, impérial, et qu’il fait de la propagande pour ce peuple-là. Donc lui-même ne nous est pas très sympathique.

En revanche, il traîne autour de lui nombre de figures, qu’elles soient importantes ou qu’elles soient plus humbles, qui, elles, sont plus proches de nous. Et donc ce qu’on a essayé, c’est vraiment d’en rendre compte ; d’abord à travers la figure du chœur , qui nous représente nous qui ne sommes pas des Enée, qui ne sommes pas des roi·reine·s, pas des Achille ; et puis de montrer quelques figures, qui se détachent de ce chœur, qui vont tout à coup prendre apparence et après replonger dans la masse.

La mise en scène sert ce propos, avec un chœur et des comédiens masqués qui sont complètement neutres, qui font disparaître les visages. Et puis il y a des moments où les acteurs enlèvent le masque et tout d’un coup peuvent exister individuellement. Et j’ai trouvé cette image très belle, en fait, plutôt que de mettre un masque pour jouer un personnage, d’enlever le masque de l’anonymat pour, avec sa propre apparence, devenir Didon, la femme abandonnée qui se suicide; devenir Palinure, le timonier du bateau qui va rester fidèle à son poste, tombé à la mer mais gardant le gouvernail contre lui. On va encore voir Lavinia, un personnage qui ne dit pas un seul mot de toute l’Énéide. Et donc, nous, on la fait vivre là, tout à coup on lui donne un autre sens justement parce qu’elle ne parle pas. Et puis celui qui va devenir le rival d’Énée, Turnus, qui se fait piquer sa fiancée Lavinia, et dont on aimerait que ce soit le méchant, mais qui est lui aussi victime du destin. On fait apparaître un peu tous ces personnages différents – Camille encore, la reine Amazone, qui vient sur le champ de bataille pour y défier les hommes – dès qu’on enlève cette grande figure mâle, qui canalise l’intérêt, beaucoup d’autres apparaissent. Donc, c’est vraiment ce qu’on essaie de mettre en scène : « en enlevant l’arbre, on découvre la forêt », si on peut dire.

La création des dialogues, c’est toi qui les as écrits ou c’est un travail de groupe ?

C’est un travail qui a été fait par les étudiant·e·s, mené par le latiniste de la bande, Olivier Thévenaz, qui est mon compère depuis le début de la création de Talma. Il a fait des ateliers d’écriture où ce sont les étudiant·e·s, eux·elles-mêmes, qui ont résumé, simplifié, allégé le chant entier pour en garder juste le squelette et puis transformer parfois humoristiquement, parfois plus tragiquement, et en tout cas plus théâtralement ce texte qui n’est pas théâtral au départ. J’ai toujours mon mot à dire et j’interviens ci et là. C’est un peu le calvaire pour les comédiens, mais pour moi, un texte n’est jamais définitif, et du coup jusqu’au dernier soir je change encore une virgule, un adjectif, une formulation. Parce que c’est une matière vivante, justement. Il n’y a pas Beckett, qui est derrière nous, qui regarde toutes les virgules, tous les mots. Il n’y a pas Molière. On fait ce qu’on veut et du coup on garde une certaine liberté par rapport à cette matière.

Est-ce que ça va prendre le format d’une pièce de théâtre classique ?

Ce qu’on a fait pour rendre ce texte théâtral, c’est qu’on a créé des dialogues, alors que c’est un récit à la troisième personne, dans le format d’une épopée. L’autre défi qu’on a, avec Talma, c’est qu’on est toujours beaucoup sur scène. On est une vingtaine et donc il faut aussi concevoir une mise en scène qui va pour cette multitude de personnes. Dès qu’on a dix personnes, on ne peut pas faire du théâtre habituel, en fait. Le théâtre moderne c’est plutôt une personne, trois ou quatre quand on a plus d’argent. Nous on est très pauvres, mais notre richesse, c’est le nombre de comédien·ne·s. Entre le fait qu’il s’agissait d’adapter une épopée, et le fait qu’on avait plein de personnes, on est arrivé à une formule de mise en scène assez particulière, à mon sens, et assez rare. L’élément principal, c’est le chœur. Ça c’est vraiment ma volonté de metteur en scène, de travailler sur une masse de gens et non sur des héros comme Énée. C’est pour ça que ça devient « Une autre Énéide », parce qu’on a éjecté Énée, qui nous gêne un peu, qui prend toute la lumière, pour braquer le projecteur sur les autres personnages. Ça, c’est le concept général.

Pourquoi l’Énéide ?

Parce que c’est une œuvre incroyable… Mais difficile d’accès. Moi j’ai attendu d’avoir 45 ans pour la lire en entier. Mais notre idée c’est d’amener ces classiques au plus grand nombre. Ne pas jouer que pour nos copains, les profs et les universitaires, mais sortir du cadre de l’université. Effectuer un travail académique à l’Unil, oui, mais aller ensuite vers le grand public. Donc on prévoit plutôt la performance pour des gens qui ne connaissent rien de rien au monde romain, à l’épopée, à l’Antiquité.

Pour ça, il faut quitter l’Unil, quitter la Grange et aller vers des publics, des endroits, qui ne sont pas faits pour l’université. C’est pour ça qu’on descend dans la cité et qu’on va au centre de la ville dans cette Maison de Quartier sous gare. Le théâtre n’est pas des plus adaptés, ce n’est pas du tout la Grange de Dorigny, mais il y a une rencontre intéressante – un centre culturel où il y a plein de gens qui passent, qui circulent. Donc ça devient très improbable de jouer une épopée latine là-bas. Mais c’est là que, pour moi, c’est le plus intéressant, là où il y a un vrai enjeu en fait.

Ça commence sous gare et ça finit au Festival Fécule, ou il y a d’autres dates de prévues ?

Ça, c’est ce qu’on fait pour cette année. C’est déjà un gros morceau d’arriver à faire la création. On répète depuis septembre. C’est comme une récompense de pouvoir jouer et puis, pour des étudiant·e·s, c’est quand même pas mal d’investissement. La semaine où on joue, il·elle·s finissent tous les soirs à 23h, sans parler des répétitions qu’il·elle·s auront faites tout le long. Je pense que pour un programme d’une année, c’est suffisant. L’idée, c’est ensuite de le reprendre pour une tournée qu’on irait si possible faire pour les classes du secondaire ou dans des festivals.

Est-ce que du coup ce projet est associé à un cours qui est offert à l’Unil ?

C’est un atelier-théâtre qui existe comme cours, à 3 crédits en option. Donc on peut faire des crédits pour autant qu’on s’implique pendant l’année pour faire le projet. Il n’y a pas besoin de background, pas besoin de connaissance du grec, du latin. D’ailleurs, la plupart n’a pas fait de latin et il leur faut un petit temps pour entrer là-dedans..

Est-ce que vous avez déjà proposé d’autres projets, avec Talma, pour le Festival Fécule, pour les années précédentes, vu que c’est un cours récurrent ?

C’est une troupe qui existe depuis six ans maintenant. On a commencé pour l’anniversaire d’Ovide. C’est mon collègue Olivier Thévenaz, latiniste, qui est venu vers moi et qui m’a dit:  « Tu ne veux pas fêter les 2000 ans d’Ovide ? » Et j’ai dit oui, c’est une bonne idée et on a créé une troupe sur le modèle de celle qui existe à Neuchâtel que j’ai longtemps dirigée, « le groupe de théâtre antique ». 

On a créé d’abord un spectacle autour d’Ovide, après un autre autour d’Homère, Mille et une Iliade. Donc on aime bien ce qui n’est pas de théâtral en fait. Après, c’était le COVID, du coup on a fait un film autour des Métamorphoses d’Apulée, qui est un roman antique, de nouveau pas théâtral. Puis on est revenu à Aristophane, auteur comique, mais on a fait une sorte de pot-pourri de ses pièces. C’est mon auteur favori, donc je voulais une fois pouvoir le célébrer. Donc c’est le cinquième spectacle qu’on fait et on les a tous joués ici à La Grange.

Est-ce c’est la première fois que ça s’ouvre aussi en dehors pour le grand public ?

Non, on a toujours joué à l’extérieur aussi. Et puis on a fait des tournées. On a déjà joué à Neuchâtel, joué en Valais, à Genève. C’est compliqué à organiser mais ça fait partie du projet en fait de pouvoir emmener la pièce ailleurs, quitter la famille, quitter les amis et puis se confronter à d’autres publics. Et parfois, c’est la catastrophe. On est allé jouer devant un public allophone à Liège, qui n’a rien pigé au spectacle. Donc là c’était un peu le bide… A l’inverse, on est allé jouer l’Iliade devant des collégien·ne·s et gymnasien·ne·s à Genève. Et là, il y avait une sorte d’osmose entre nos jeunes étudiant·e·s et puis les étudiant·e·s de la salle. Ça a été un spectacle ‘feu d’artifice’, hyper joyeux, avec le public qui nous soutenait presque dans cette mise en scène de l’épopée. Ça c’est un de mes grands souvenirs de l’épopée de Talma.

Comment est-ce que les dialogues et l’ensemble en général ont été organisés et préparés ?

On a donné une grande autonomie à chaque étudiant·e, qui avait un chant à soi. Il·elle·s ont discuté avec Olivier des éléments qu’il fallait faire ressortir et puis après, il·elle·s ont eu liberté pour écrire le dialogue. Du coup, les dialogues sont assez différents d’une scène à l’autre. Et on devait faire attention, vu que parfois, en simplifiant, on fait sauter des éléments fondamentaux, on ne se rend pas compte qu’il y a un élément qui est important pour la narration, ou bien on veut écrire une blague, mais elle vient à contresens de tout ce que dit la pièce. Donc nous on est plutôt là pour vérifier, pour donner une caution académique et philologique au texte.

Effectuer un travail académique à l’Unil, mais aller après vers le grand public

Mais sinon, dans les mots eux-mêmes, les auteur·ices sont relativement libres. Par exemple, à un moment, Camille l’Amazone se fait berner par un guerrier qui la défie de descendre de son cheval pour l’affronter. Puis il remonte sur son cheval et se tire. Et là, l’étudiante a décidé de mettre ce terme qui n’apparaît pas chez Virgile : « Petit coq gonflé d’orgueil, ta ruse ne te sauvera pas ! ». On n’est pas exact par rapport à Virgile, mais l’expression est tellement cinglante et bien placée dans la bouche de Camille qu’on l’accepte comme un trait de génie d’une étudiante. Participer au processus de création, c’est vraiment quelque chose à quoi je tiens dans mes enseignements et dans Talma, qu’il y ait une part d’autonomie et de créativité. Parce que je trouve que, souvent, les cours étouffent la créativité des étudiant·e·s. Plus je travaille dans ce sens, plus je me rends compte des talents incroyables chez les un·e·s et les autres – entre les musicien·ne·s, entre les écrivain·e·s, entre les dessinateur·trice·s, entre ceux·celles qui maîtrisent les programmesinformatiques. Enfin, vraiment toute une réserve de talents qui n’attendent que de se révéler dans des projets de ce genre-là. Donc c’est pas du tout hiérarchique, je ne me vois pas comme un maître qui dirige les choses. C’est plutôt une collaboration entre nous, les enseignants, qui sommes là pour mener la troupe, pour la perpétuer, et puis ceux·celles qui en sont le cœur, sans qui on ne serait rien du tout.

Les participant·e·s sont des habitué·e·s ou est-ce une équipe qui change chaque année ?

Il y a quand même une douzaine de personnes qui sont les mêmes depuis le début. Donc il y a toujours un petit noyau commun. Sinon chaque année, 5-6 personnes de plus viennent s’ajouter, et quelques-un·e·s partent aussi. Et c’est pour ça qu’il est important qu’il y ait nous deux, Olivier et moi, pour qu’il y ait une continuité du projet. Parce qu’on sait que, petit à petit, chacun va vivre sa vie, quittera la barque – même si c’est triste, mais ça fait partie du projet, de se renouveler comme ça.

Et quel est le public cible ?

On ne s’adresse pas aux antiquisants, au contraire. Je n’ai pas envie que ce soit que des profs, que des latinistes qui viennent. Au contraire, on part de de l’idée qu’on peut ne rien connaître et faire une immersion dans un monde fascinant parce qu’on le connaît que par ouï-dire ou par quelques idées. On a une matière antique, mais la représentation, pour moi, est contemporaine. Je suis un amateur de théâtre contemporain, donc mes modèles, je ne vais pas les chercher dans l’Antiquité. Je n’aurai jamais de toge. Il n’y aura jamais une colonne en spectacle – ou bien elle sera faussement construite avec des caisses, ça sera un rappel, un clin d’œil. Il ne faut vraiment pas s’attendre à du théâtre poussiéreux.

Avec des sons complètement contemporains qui sont un peu des clins d’œil à la musique d’aujourd’hui

Au contraire, j’essaie d’emprunter les codes du théâtre contemporain pour faire vivre une matière que je connais bien, parce que c’est mon travail d’étude. Donc on est fidèle par rapport au fond et complètement traître par rapport à la forme. Oui, une vulgarisation, c’est vraiment ce qu’on vise. Je préfère qu’il y ait des connaisseurs ébranlés que des non connaisseurs ennuyés. À ces conditions, ces oeuvres peuvent encore parler aujourd’hui.

Un exemple, c’est celui de la musique. On fait toujours appel à des artistes contemporains. Là, c’est Christophe Gonet, qui travaille pour le théâtre et qui est une sorte de multi-instrumentiste talentueux, à qui on a demandé une partition électro à greffer sur la pièce. Il faut donc s’attendre à un fond virgilien, mais avec des sons complètement contemporains qui nous accompagnent dans ce voyage de 2000-3000 ans dans la mythologie gréco-romaine. La musique est essentielle. C’est vraiment la pulsation de ce spectacle. On essaie d’être à la hauteur de cette musique par nos prestations d’amateur·ice·s éclairé·e·s