La scène aux femmes
Photo: ©Alicia Gaudin @alisights
Rédigé par : Furaha Mujynya
MUSIQUE • À Lausanne, la musique est partout – que ce soit à la Haute école de musique, l’École de jazz et musique actuelle, au conservatoire ou lors d’événements organisés par la ville et d’autres organismes – et elle produit un grand nombre de jeunes artistes locaux·les. C’est avec Louise Knobil et Badnaiy que l’envers de la scène lausannoise est expliqué.
Des jeunes artistes solos ou en groupe ; il y en a énormément sur la scène romande suisse. Il·elle·s ont su se rendre visibles en performant lors d’événements locaux, comme des festivals universitaires, la fête de la musique ou encore dans des petites salles lausannoises (la cave du Bleu Lézard, le Chorus, au Bourg ou à la Galicienne). Cependant ce grand nombre d’artistes peut également rendre une popularité concrète plus dure à atteindre. Louise Knobil, qui s’est lancée dans le monde de la musique il y a six ans, et Badnaiy, qui en fait professionnellement depuis fin 2018, exposent les difficultés et plaisirs d’une carrière musicale à Lausanne. Toutes deux ont pu jouer en groupe et en solo, en Suisse et à l’étranger, bien qu’elles se situent dans des genres musicaux différents – jazz et pop pour Louise, rap et hip-hop pour Badnaiy.
Louise explique que pour gagner en visibilité il devient de plus en plus nécessaire de soigner son image sur les réseaux sociaux et de produire un réel travail d’autopromotion afin d’attirer les programmateur·trice·s de salles. Parce que, malgré l’existence de festivals organisés spécifiquement pour de jeunes artistes et l’accès à des studios d’enregistrement, ce que félicite Badnaiy, les offres de résidence en studio sont soit peu publicisées ou s’adressent souvent à des artistes amateur·trice·s, précise Louise. Ce sont donc finalement les salles de concert autogérées qui viennent prendre le relais, affirme Louise – à l’instar de Neuchâtel ou Fribourg qui ont une offre officielle plus variée pour les jeunes artistes professionnel·le·s.
Univers musical genré ?
Si les deux artistes affirment qu’il peut exister une certaine appréhension quant aux compétences des femmes dans le monde de la musique, elles précisent cependant que ça dépend du rôle qu’elles ont, de l’instrument qu’elles jouent ou encore du genre dans lequel elles se trouvent. Bien loin d’être une méfiance entre artistes hommes et femmes, la misogynie que Louise et Badnaiy ont pu ressentir semble plutôt venir des corps de métiers qui entourent le monde musical (médias, écoles, équipes techniques et événementielles) ou des institutions qui forment les futures générations. Louise déclare que, pour elle, ce sont dans « les musiques institutionnalisées, à savoir le jazz et la musique classique » que les femmes sont souvent moins bien accueillies. Elle souligne que c’est dû à une transmission d’homme à homme, ce qui se déploie par la prépondérance d’enseignants « hommes cisgenres entre 40 et 65 ans » dans les hautes écoles de musique. Badnaiy parle également d’un sexisme latent envers les femmes dans certains genres musicaux, mais cette fois-ci de la part du public. Certaines attentes sont construites à partir d’idées préconçues sur le rôle et les qualités des femmes « mais dans certains genres musicaux, elles viennent parfois casser ces codes-là, et remettre en question beaucoup de codes sociaux, et c’est clair que ça en dérange plus d’un ».
Entre appréhensions et attentes
Cependant, si le monde institutionnel ou le public fait parfois preuve d’une certaine réticence ou sexisme envers les femmes, c’est surtout de la part des équipes techniques que les deux jeunes artistes ont ressenti des différences de traitement. Que ce soient des ingénieurs sons, techniciens, organisateurs ou programmateurs, nombreux font preuve d’une certaine crainte envers les capacités des artistes femmes, ce qui les force à devoir faire leurs preuves « avant d’être prise[s] au sérieux ». Il existe également l’effet inverse, affirme Louise, où les femmes subissent une « surexposition », car elles sortent plus facilement du lot, ce qui engendre plus d’attentes quant à leur performance, qui est transformée en un « acte politique en soi ». Louise déclare : « J’ai souvent l’impression d’être soit complètement invisibilisée, soit perçue comme un prodige, mais rarement comme une musicienne avec ses qualités et ses défauts – ce que je suis ».
Un avenir prometteur
En revanche s’il existe des attentes disproportionnées ou une certaine méfiance à l’encontre des femmes, ceci est loin d’être propre au monde musical. Badnaiy tient à souligner « que malheureusement comme dans tout corps de métier, et dans la société en général ; la réalité est que c’est plus dur d’être une femme, tout court ». Elle déplore donc la tendance de : « pointer du doigt la misogynie dans le rap comme s’il n’existait pas ailleurs […] surtout lorsqu’on voit comment les femmes sont traitées dans les industries plus corporate ».
Malgré les difficultés que notre société peut poser pour toute femme, les deux artistes continuent à conquérir le monde de la musique à coup de concerts, albums et nouveaux projets. Après la sortie de son single « Universe » en février, Louise organise notamment le vernissage de son nouvel EP « Or not Knobil » le 17 mars au jazz club Chorus, à Lausanne. Tandis que Badnaiy prépare la sortie de son nouvel album pour cet été.