Pas de panique : le français va très bien!

Illustration : Gallimard

LANGUE · Des linguistes de toute la francophonie se sont réuni·e·s pour donner voix à leur profession et contester des idées reçues sur le français dans le tract des linguistes atterrées intitulé «le français va très bien, merci»

Le discours des puristes de la langue française s’entend haut et fort dans les médias: le français serait en déclin ! À les entendre, les jeunes ne parlent plus correctement, les anglicismes ont infiltré la langue et des idéologies de la gauche tentent de s’imposer par le biais de l’écriture inclusive. Ce discours est prescriptif, il impose des règles de bon fonctionnement de la langue. Il implique qu’il y ait une bonne façon de parler et que toutes les dérives de cet idéal seraient regrettable. Ces plaidoyers sont souvent une «affaire émotionnelle» qui ne laisse pas la place aux linguistes, explique Corinne Rossari, Professeure de linguistique française à l’Université de Neuchâtel et une des autrices du tract. Le métier de linguiste est descriptif, il se charge de documenter les usages de la langue, de noter les évolutions sans jugements moraux. Le tract vise à remettre en question dix idées reçues et les enrichit par des propositions.

Corinne Rossari, Professeure de linguistique française à l’Université de Neuchâtel

Faute ou évolution ?

«Est-ce que c’est français ?» est la question que l’on se pose quand certaines phrases sonnent étrangement ou quand nous sommes particulièrement fatigué·e·s. Mais ces «fautes», qui ne le sont pas vraiment, peuvent devenir une norme. Lors de l’interview pour cet article, la professeure Rossari constate que les modifications ont souvent lieu quand les usage·ère·s hésitent entre deux constructions, deux variante. Un exemple donné dans le tract est fromage, une inversion d’un phonème (une unité de son minimale) du mot du latin tardif formage. Ces changements sont naturels, la « langue de Molière » utilise des formulations qui aujourd’hui seraient considérées incorrectes telles que la place des pronoms qui à l’époque se plaçaient avant le verbe auxiliaire (je vous veux mettre d’accord).

Alors ne faudrait-il pas être plus tolérant envers les élèves, si leurs erreurs initient potentiellement une évolution ? La réponse courte est non. Corinne Rossari précise que les fautes de langue peuvent être objectivement corrigées selon les règles actuelles de grammaire. Ces règles sont nécessaires pour une bonne compréhension entre locuteur·ice·s. Cependant, elle propose que les écoles introduisent des soutiens de correction, comme la calculatrice en mathématiques. Ce support devrait évidemment être utilisé jusqu’à «une certaine mesure».

Il n’y a pas un seul Français

Le français n’est pas homogène. Comme toute langue, le français a des dialectes, des accents, des mots utilisés uniquement dans certaines régions comme le très cher nonante suisse et belge, comparé au quatre-vingt-dix français. Aucune des deux variantes n’est plus correcte que l’autre, le tract précisant que «le standard unique est un mythe». Néanmoins, pas toutes les manières de parler ne sont valorisées de la même manière. Le français de Paris reste la référence. Cela ne veut pas dire qu’il existe un seul «bon» français. Un tel critère est aléatoire et biaisé, chaque parlé régional et accent est riche et légitime sur tant le plan culturel que social. 

Anglicismes

On entend dire que le français emprunte de plus en plus de mots de l’anglais, grâce à internet entre autres. Toutefois, cette tendance ne menace pas la langue. Les influences entre langues ont toujours existé. L’anglais, justement, a emprunté énormément de mots à l’origine française. Ces emprunts enrichissent les expressions et donnent plus de possibilités, explique Corinne Rossari. Ces mots sont souvent francisés, adaptées pour la logique de notre langue, comme «spoiler» devenu un verbe du premier groupe. Les mots anglais et français coexistent, ils n’ont pas les mêmes nuances. La professeure relève que les termes shopping et course «ne désignent pas les mêmes réalités», «On fait son shopping en ville, et les courses au supermarché».

L’écriture inclusive

En 2022, le Grand Conseil genevois a banni l’écriture inclusive dans les documents administratifs du canton. Pourquoi une réaction si excessive à ce nouveau maniement de la langue? Corinne Rossari élucide que les changements sont souvent mal pris car ils chamboulent les habitudes: «On y retrouve un sentiment de refus, l’idée d’abimer la langue».

L’intention du langage inclusif est de réfléchir à qui s’adresse la langue et de tenter de s’adresser à tous les groupes de la société, dont les femmes et les minorités de genre. On a pu prouver que le masculin générique, lorsqu’il se réfère à des personnes et non des objets, est exclusif.  Par exemple, dans les annonces de postes destinés à toustes, les personnes non-masculines se sentent généralement moins concerné·e·s par la proposition. Il existe de nombreuses possibilités de se soucier de l’inclusivité comme des formulations épicènes du type «les membres du corps médical», les doublons ou même les néologismes tel que iel et celleux, pour des pronoms alternatifs neutres.

«Le but est que vous soyez attentif à ce que vous écrivez, que tout le monde se sente concerné», résume la professeure. Le tract a comme objectif de sensibiliser le lecteur. Au final, l’usager·ère est libre de choisir ses expressions. Le métier de linguiste est d’étudier l’usage avec minutie!

Elvire Akhundov

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