A la rencontre de Christophe Terribilini

Photo : ©Inès Terribilini

Propos recueillis par : Furaha Mujynya

Dans quel genre placerais-tu tes livres ?

C’est justement la grosse question. La première fois que je suis arrivé chez Payot on m’a demandé « on le met dans quel rayon ? » Soit ce sont les romans, soit ce sont les polars, soit c’est l’histoire de l’art, soit c’est histoire et c’était difficile à [déterminer]. Le dernier livre qui est sorti, la maison d’édition elle fait un truc roman noir, même si ce n’est pas vraiment noir noir, comme ça, c’est catalogué et ça part dans les thrillers et c’est clair dans l’histoire. Donc ce n’est pas lié à l’histoire de l’art ou à l’histoire en général mais c’est catalogué dans les thrillers. Ça c’est une option qu’ils ont choisie, parce que c’est vrai qu’aussi les lecteurs ça marche un peu mieux dans les thrillers que dans d’autres domaines.  Pour certains [livres] c’est plus énigmatique et moins policier ou roman noir etc. D’ailleurs je n’aime pas rester dans un genre.

Pourquoi est-ce que l’art se trouve toujours au centre de tes romans ?

Enfaite c’est parce que j’adore l’art, j’adore lire –bon la pièce de théâtre [Le Journal de Franck], elle est pas du tout dans le même domaine – mais c’est venu un peu par hasard, j’ai toujours aimé l’art et puis c’est sur la recherche d’une œuvre que je suis arrivé à écrire.

Pourquoi lier art et crime ?

Quand j’étais plus jeune j’adorais les Yann Pierce, c’était un auteur qui écrivait sur un commissaire à Rome, qui était dans le secteur des œuvres d’art, des recèles d’œuvres d’art ou des choses comme ça, avec son inspectrice, et puis il y avait encore un consultant anglais qui arrivait là. C’était toujours dans ce domaine, justement il y avait une œuvre qui disparaissait et j’adorais ce mélange-là, j’ai toujours été titillé par ce genre de roman là, donc voilà. Comme je suis libre d’écrire ce que je veux, j’écris dans le domaine que j’aime.

Quel est le travail historique que ce type de roman demande ?

Ça dépend tout du roman, surtout de l’œuvre par laquelle je démarre, alors c’est chaque fois en fonction de l’œuvre – ça va faire des recherches sur internet, dans les bibliothèques, dans les voyages, je vais sur place, je vais dans les musées et bibliothèques sur place ou encore dans les lieux. Par exemple la première œuvre, elle est partie en Angleterre, je l’ai fait analyser etc. ça part un petit peu dans toutes les recherches. C’est ça que j’adore ; je pars d’une petite idée, soit une œuvre soit une idée, puis là tu vas creuser et plus tu creuses et plus y’a des choses extraordinaires plus y’a des choses qui se relient entre elles et c’est là que ça crée l’histoire toute seule, derrière les recherches et c’est ça le côté intéressant, c’est vraiment d’aller chercher les infos, et puis creuser, c’est le bon moment avant d’écrire. 

Dans ces récits, est-ce que la réalité historique se mélange à la fiction ou s’agit-il de narratifs complétement fictionnels ?

C’est ce que j’aime : laisser le doute aux gens, on me pose souvent la question. Non mais bon, ce qui se passe dans le présent c’est généralement narratif, c’est inventé, je crée mes personnages et mes histoires sur le présent et tout ce qui est historique, 80-90% de ce qui est historique est vrai. C’est aussi ce qui m’intéresse, je ne vais pas inventer des vies complétement farfelues à des personnages historiques, donc le contexte, les personnes, [sont réels]. Si on veut creuser les petites choses, je vais aller très profond pour être sûr d’avoir les informations, que celui-là a pu rencontrer celui-ci à cette époque, à cet endroit et que y’a des documents etc. J’aime bien aller apporter quelque chose de réel dans ce qui est historique. 

Est-ce que tu as toujours été passionné par l’art ?

J’ai été baigné dans l’art. Depuis tout petit j’ai été baigné dans la Toscane, la Florence et les musées en général donc ça fait partie de moi. 

Pourquoi présenter les œuvres dans un contexte fictionnel et pas une étude historique traditionnelle ?

Et bah ça a débuté normalement ; par une étude, justement la première œuvre c’était une fresque qu’on a dans la famille – enfin un banc de fresque qu’on a hérité quand j’étais tout petit dans la famille – et puis je me suis dit, y’a maintenant pas mal d’années, mais on dit toujours que c’est « notre Léonard de Vinci » mais qu’est-ce qu’il en est vraiment ? Et puis un moment donné, mon père était déjà décédé, je me suis dit je vais un peu chercher l’histoire de cette fresque, d’où elle nous est venue, qui nous l’a légué, pourquoi, qu’est-ce qui avait comme documents – il y avait déjà des recherches qui avaient été faites dans les années soixante – comment elle a été retrouvée et pis tout son pedigree et je suis allé la rechercher et puis cette fresque, je voulais avoir un avis professionnel, je l’ai donné à Christie’s à Genève qui ont trouvé très intéressant et ils m’ont donc demandé s’il pouvait la faire analyser à Londres, donc elle est partie à Londres et puis elle est partie [se faire analyser] sous toutes les coutures ; carbone 14, test des pigments d’encres. Donc effectivement le support est d’époque, c’est de la Renaissance, c’est très proche d’un dessin que Léonard De Vinci avait fait à Milan. Donc je suis allé à Milan, voir le musée qui m’a ouvert les portes pour aller voir les dessins préparatoires qui étaient dans les tiroirs. Je suis allé à Rome, parce que c’est là qu’elle a été découverte, retrouvée, amenée. Donc j’avais quelques objets historiques et c’est en cherchant toutes ces informations-là, c’est après ces recherches où je me suis dit « nan mais c’est extraordinaire, j’ai toute l’histoire de cette fresque qui est là, il manque quelques petits bouts à raccommoder » et puis est-ce que je vais livrer ça à ma famille – parce que le but c’était savoir ce qu’il en était vraiment de cette fresque – le côté théorique avec les recherches et ce qui est en est. Et puis je me suis dit, il suffit de rajouter un petit peu de sauce autour et puis ça fait un roman, donc j’ai à peine rajouté quelques éléments et ça m’a fait mon premier roman. C’était pour offrir donc cette étude que j’ai fait sur cette fresque à mon entourage, aux personnes que ça intéresse, sous une forme un peu plus ludique que juste un travail de recherche simple et puis je me suis pris au jeu.

Quelles sont tes influences dans le monde littéraire et le monde de l’art ?

Dans le monde de l’art, à la base, c’est vraiment la Renaissance italienne, c’est vrai que c’est resté encré en moi, l’impressionnisme, le postimpressionnisme, le 20ème siècle. Après justement en fonction de mes recherches et des lieux que j’ai étudié, je me suis intéressé à d’autres lieux, d’autres périodes de l’histoire de l’art. Toutes les périodes sont intéressantes quand on s’y plonge. Après la littérature, chez nous c’était une bibliothèque entière, mon père qui lisait jour et nuit, toujours un livre dans la main, on a aussi toujours été baigné là-dedans, j’ai une approche littérature assez éclectique, ça va des classiques français – des Balzac, Anatole France au plus modernes américains, ou Frédéric Lenoir ou Jonathan Coe. C’est assez divers, j’aime bien changer, varier les genres, des auteur·e·s suisses aussi, j’aime bien découvrir des noms qu’on connaît pas. Y’a les prix de Lausanne, y’a des gens qui sont proches qui écrivent des choses, y’a tellement de bouquins qui sortent chaque année qu’on n’entend jamais en parler. On ne pioche pas toujours quelque chose de magnifique mais parfois y’a des petites merveilles, donc je pars à gauche à droite.

En quoi la pièce de théâtre « Le Journal de Franck » diffère des autres récits que tu as publié ?

C’est une pièce de théâtre. Le journal de Franck ; je me baladais dans un parc et j’ai eu une idée un peu saugrenue, qui n’avait rien à avoir avec l’art et je me suis dit ah bah tiens je vais creuser quelque chose, puis je me suis dit une forme de pièce de théâtre ça peut être sympa et je peux me lâcher et c’est un peu d’humour noir. Je travaillais à la revue de Lausanne, et on s’amusait à écrire des sketchs et des chansons et de les jouer. On écrivait quand même pas mal de sketchs, rarement des pièces de théâtre comme ce n’était pas le style qu’on faisait. Je me voyais déjà sur les planches à imaginer mes personnages dans un humour un peu particulier.

Quelle est l’idée de départ de cette pièce ?

Je me voyais un personnage ignoble, et un jeune qui souffrait et qui s’est dit « J’aimerais qu’une fois mon père soit bon » mais d’une façon cuisinée. C’est parti de ça.

Que fut le processus de création derrière ton dernier roman Le Vol de la Muette ?

Le déclic, c’était un voyage en famille, on revenait de vacances du sud de l’Italie et on est passé par Pesaro et on s’est dit on va aller à Urbino qui n’est pas loin, parce que c’est quand même la ville natale de Raphaël. Au palais Ducal, dans la ville natale de Raphaël, il n’y a qu’un seul tableau de lui ; c’est la Muette. Puis il y a un petit explicatif écrit à côté, [qui explique que] longtemps il était attribué à son maître Perugino [Le Pérugin] et non pas Raphaël, ensuite on n’est pas sûr du sujet, on ne sait pas qui c’est, on ne sait pas qui a commandité le tableau, donc il y a beaucoup de peut-être. Normalement on n’écrit rien ou on écrit des certitudes, mais là y’a beaucoup d’incertitudes. Après y’avait un dessin à côté qui montrait qu’il y avait eu des retouches plus tard du tableau. Y’a beaucoup de choses comme ça qui m’ont titillé. Déjà ce tableau il est sympa, c’est une période quand même assez particulière et puis ils attribuaient la commande à quelqu’un, où ça m’étonne en fonction de l’époque. J’ai fait mes propres recherches et je n’arrive pas aux mêmes conclusions que le musée Ducal. Quand j’arrive à creuser à gauche à droite, et je vois un peu l’historique, je n’arrive pas aux mêmes conclusions qu’eux sur qui a commandité l’œuvre et puis qui peut-être le sujet de l’œuvre. Donc je me suis dit autant l’écrire sous forme de roman.

Est-ce que Le Vol de la Muette est le premier roman qui a été édité par Cohen&Cohen ?

Oui c’est mon premier. Là je suis tombé sur un bouquin chez Payot, de chez Cohen&Cohen, justement dans le milieu de l’art, une aventure policière avec énigmes etc. Et je me dis tiens intéressant, c’est un peu mon domaine. Là je vais voir sur le site de l’éditeur, et c’est exactement ce qu’ils font. Donc c’est une petite maison d’édition parisienne spécialisée dans les livres d’art, les beaux livres. Ils ont justement beaucoup de prix pour les livres qu’ils font, parce que ce sont vraiment des beaux ouvrages. Mais ils ont aussi une collection parallèle sur des policiers et autres romans noirs, dans le domaine de l’art. Et je me dis, c’est exactement mon domaine. Et là effectivement je les ai contactés et c’est passé tout droit. Pour moi c’est quand même assez honorifique, que mon travail soit reconnu, parce que ce sont des spécialistes du monde de l’art.

Est-ce que c’est plutôt avec des éditions suisses que tu as travaillé auparavant ?

Alors moi, les premiers bouquins, j’ai fait en auto-édition. Y’a pléthores de possibilités, évidemment ce n’est pas une garantie d’égalité parce qu’on peut éditer son bouquin, mais au moins on peut sortir son bouquin et puis le proposer. Ce n’est pas trop cher, parfois ça coûte même rien du tout. Ça permet quand même de pouvoir diffuser son bouquin facilement. […] Tous les bouquins sont disponibles par internet, en passant par les Amazon, par Fnac, par Payot, partout. Toutes les librairies [en ligne] sont accessibles même en auto-édition, les bouquins sont tous accessibles. Mais au moins avec un éditeur, le bouquin est présent dans les librairies.

Tu as écrit nouveau roman qui va bientôt sortir « Le Goût de Rembrandt », est-ce que celui-ci rentre dans le même genre que tes romans précédents ?

Il est en attente chez l’éditeur et devrait voir le jour bientôt. Et je viens d’en terminer un autre [artiste], un ancien italien ; Arcimboldo. Je viens de le terminer et il sera un peu plus gore comme roman. 

C’est un bouquin [le goût de Rembrandt], où je ne suis pas parti d’un tableau, je suis parti de l’absence d’un tableau. J’ai lu un article qui disait qu’on vient de retrouver un Rembrandt, vendu aux enchères aux États-Unis ou à Paris. Il a été vendu à une quelque centaine d’euros, parce qu’on croyait que c’était un vieux tableau [anonyme]. Il a été découvert qu’il s’agissait d’un Rembrandt de ses premières œuvres. Il avait fait 5 œuvres, les cinq sens de Rembrandt, ce sont ses premières œuvres reconnues, mais peu connues et elles ont disparues avec le temps et une ou deux ont été retrouvées, et celle-là a été justement retrouvée il y a quelques années par ce biais-là. Et il en manque un ; le goût, pour faire les cinq sens. Il y a une exposition qui s’est faite à Oxford, où sont exposées les cinq et il y avait un cadre vide pour le goût et les enfants ou les adultes pouvaient s’amuser à dessiner comment est-ce que le tableau aurait pu représenter le goût par rapport aux autres sens. Et c’est justement retrouver ce tableau-là ; j’ai fait les recherches pour comment on y arriverait. On est donc plus dans l’histoire inventée que dans le réel. En attendant de retrouver le goût, moi je l’ai retrouvé dans mon bouquin.