Les Quatre Sœurs Berger – Alice Bottarelli

Photo : ©Valentine Girardier

Rédigé par : Maxime Hoffmann

Alice Bottarelli est lauréate 2022 du Prix Georges-Nicole (prix qui a comme fin de primer l’œuvre d’une autrice ou d’un auteur n’ayant pas encore publié). Elle a aussi gagné la deuxième place du Prix de la Sorge 2021. Passionnée d’écriture, elle anime des ateliers d’écriture, initie les participant·e·s à la joie des mots.

Une disparition et une multitude d’objets. Les quatre sœurs Berger, ces quatre personnalités issues d’un même monde, se réunissent à nouveau pour vider le chalet où vivait leur mère récemment décédée. Quelques paroles, quelques gentillesses et le travail commence. Ainsi, très tôt, les retrouvailles se confondent avec l’odeur de poussière et de la résine des pins alentours. Que faire de ces objets minéralisés par la mort, qui ravivent l’absence nouvelle, encore douloureuse, et qui, à chaque redécouverte, déterrent les souvenirs d’enfances enfouis par le temps et l’oubli ? Ce mouvement est celui du battant de la pendule qui oscille entre les époques. Il sert aussi de tempo au livre et à ses variations.

Le récit se construit comme une fugue musicale. Les sœurs forment un quatuor qui, au fil des pages, maintient une polyphonie à quatre voix. Structure en contrepoint, une sœur, ou parfois un binôme, assume le développement d’un épisode individuel ou alors collectif, un solo ou une chorale. Lorsqu’elles se retrouvent, qu’elles travaillent ensemble, elles s’accordent parfois. Sinon, elles s’entrechoquent, laissant les disharmonies naître dans l’éclat d’un objet qui se brise ou dans l’estimation approximative d’une valeur. L’art de la fugue, si savant, n’est pas facile à tenir et les sœurs en font l’expérience. Leurs voix se chevauchent de plus en plus et les tensions irrésolues resurgissent. Tout du moins durant la première partie du texte.

C’est aussi un récit qui aborde le processus d’éloignement propre à la famille. Gisèle et Edouard Berger, le couple originel, forment à eux deux le noyau d’où germent des natures semblables et pourtant différentes, quatre êtres qui grandissent de manière unique, épanouis vers les espaces libres et rabougris à l’ombre des autres sœurs. Très vite, le déménagement devient un brassage forcé du passé. Celui-ci se mélange alors avec le déplaisir de voir trembler les défauts personnels face aux autres sœurs : quand l’une donne un ordre, elle assume le rôle qui lui a été attribué, réactive les forces qui régissent le groupe et rappelle aux autres leurs fonctions d’obéir à l’autoritaire détachée. Il aura suffi d’une phrase. Pourtant, ce sont des femmes uniques, qui dirigent leurs vies propres, avec leurs aléas et leurs réussites. L’enfance est terminée et les dynamiques familiales demeurent, engendrant les tensions que l’on sait.

Le haut de l’arbre généalogique, l’images des deux parents, s’étiole légèrement dans l’archéologie du foyer, lors des fouilles menées dans les décombres des défunts. Le père était un homme solide, sans simagrées, mais pas que ! La mère était une femme dévouée pour sa famille, mais pas que ! Les dossiers, les lettres, la décoration s’avèrent des artefacts qui témoignent d’une histoire jusqu’ici cachée. Le récit familial se réécrit. 

Un incident, dernier sursaut de chaleur où achève de se disloquer la famille, divise le texte en quatre voix, devenues des solos éponymes : chaque sœur a son chapitre à elle.

Les Quatre sœurs Berger est une fresque familiale décrite avec un souci du détail, qu’Alice Bottarelli formule au moyen d’un style léger au vocabulaire riche. Un bel ouvrage où l’écrivaine tisse les instants avec le fil de la vie.