Unil: nouvelles du doctorat de Mussolini
DEBAT : En 2020, l’Unil est revenu sur le doctorat honoris causa décerné à Mussolini 83 ans auparavant. La publication d’un rapport sur la question a proposé le financement de cinq programmes pour une politique mémorielle. Une décision qui ne fait pas l’unanimité. L’Auditoire revient sur le débat et se questionne sur l’avancée des programmes.
Il y a 120 ans, un jeune italien en exil suivait des cours à l’Unil. Son nom : Benito Mussolini. En effet, c’est au début du 20ème siècle qu’il étudie à la faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne. Quelques décennies plus tard, en 1937 dans un contexte de montée du totalitarisme en Europe, l’Unil lui décerne un doctorat honoris causa « pour avoir conçu et réalisé dans sa patrie une organisation sociale qui a enrichi la science sociologique et qui laissera dans l’histoire une trace profonde ». En 1987, pour le cinquantenaire de l’événement et face à une incompréhension et une opposition déjà persistante de la part du public, l’Unil publie un livre blanc sur la question. Cependant, celui-ci, ne répondant pas aux problèmes éthiques et historiques d’une telle démarche, est jugé globalement insatisfaisant.
Repenser la posture à adopter
Ce n’est qu’en 2020 que l’Unil décide de prendre une position institutionnelle sur la question. L’Université prend la décision de mandater le Centre interdisciplinaire en éthique (CIRE) et de constituer un groupe d’experts internes pour réfléchir à la posture qui doit être adoptée quant à cette distinction. A la lumière des événements passés, la question de son potentiel retrait est centrale. Toutefois, l’Université donne le ton en affirmant souhaiter gérer son passé de manière cohérente ; que tous puissent se saisir du problème, dans le présent ou dans le futur, afin qu’une telle erreur ne se reproduise plus. En février 2022, le Recteur Frédéric Herman s’oppose au retrait du doctorat honoris dans l’émission Forum de la RTS : « Le retirer, c’est l’enlever du débat démocratique. ». Le mois suivant, Ensemble à gauche Vaud réagit et dépose une motion au Grand conseil vaudois pour que le doctorat soit retiré. Celle-ci est jugée irrecevable : l’Etat de Vaud n’a pas de compétence pour obliger l’Unil à retirer le doctorat.
En mai, le groupe de travail du CIRE publie un rapport. Pour des questions juridiques et éthiques, il y est conseillé de ne pas retirer le doctorat : « la réalité des faits (une université, dans une situation démocratique, a honoré un fasciste notoire) est indélébile ». Entre autres dans une volonté d’ouvrir la discussion et de ne pas s’enfermer dans une binarité du « pour » ou du « contre », le financement de cinq programmes autour du fascisme est proposé. Pour encourager la constitution d’un savoir sur ce pan de l’histoire, sont proposés la mise à disposition de matériel pédagogique, la création d’un prix d’excellence et le déblocage de fonds pour des travaux spécifiques à la question. Pour inciter à la discussion : la mise en place d’un atelier à destination des écoles et gymnases et l’organisation d’un colloque pluridisciplinaire sur les enjeux mémoriels du fascisme.
Des actions jugées insuffisantes
Suite à la publication du rapport, le Recteur s’est exprimé une nouvelle fois sur le maintien du titre honorifique sur le site de l’Unil. Il affirme : « Le mode d’action d’une université va au-delà du simple rappel de valeurs. Il repose plutôt sur la constitution de savoirs, le développement d’outils d’analyse et de déconstruction, de mise en relation des composantes qui constituent une situation. ». Toutefois, ce mode d’action ne fait pas l’unanimité. En juillet de la même année, la députée de Gauche, Elodie Lopez, dépose un postulat pour que l’État de Vaud se positionne contre le maintien du titre. Une demande votée et rejetée par le Grand conseil vaudois qui suit la politique de l’université. En mars 2023, une nouvelle pétition est déposée contre cette décision par un comité de militants. Sans succès. Mais comment comprendre cette divergence d’opinions ? Stéphanie Prezioso, professeure d’histoire à l’Unil et conseillère nationale publie en 2023 un article sur la question pour la revue Laboratoire italien. Elle revient notamment sur les lacunes du rapport. On y lit que les revendications pour le retrait ne se sont jamais appuyées sur un désir d’effacer le passé et que la politique mémorielle ne répondrait donc pas à tous les enjeux de la question. Celle-ci aurait dû être jointe d’une révocation du titre. Un acte aussi fort aurait alors, entre autres, contribué à soulager « la dette que nous avons envers les vaincus des luttes passées » : des victimes dont la mémoire ne serait pas suffisamment honorée par la politique de l’université.
Des programmes, mais encore ?
Où en sont les plans deux après la remise du rapport du CIRE? «Ils sont sur le point de se concrétiser», nous apprend Nadja Eggert, directrice du CIRE. Une exposition devrait se tenir cette année pour «que cet épisode soit diffusé et raconté» hors des murs de l‘Université, pour permettre une appropriation plus globale de la question, notamment auprès des plus jeunes générations. En effet, elle ajoute : « On tenait à ce que les acteurs plus jeunes puissent aussi s’approprier cette question-là pour éventuellement dans 20 ans ou dans 10 ans, que cette jeune génération décide peut-être alors de retirer le prix. » Un colloque aura lieu à l’Unil et au Palais de Rumine du 7 au 9 novembre 2024 dans l’optique de «poser l’état des lieux de la recherche actuelle et d’identifier les pistes à creuser». Enfin, la directrice du CIRE parle d’une future collaboration avec le Festival Histoire et Cité, un événement romand annuel, qui remplacerait l’idée présentée préalablement d’octroyer un prix d’excellence pour des recherches sur le fascisme: «On s’est rendu compte que la pertinence du prix, son contour, n’était pas clair et cette collaboration avec le Festival semblait beaucoup plus adéquate pour assurer une pérennité. L’idée c’est d’avoir une activité, chaque année, qui puisse, non pas se remémorer le prix évidemment, mais se remémorer que l’Unil a fauté.»
Interrogée sur l’opposition quant au maintien du titre, Nadja Eggert insiste sur le besoin de prendre en compte la spécificité du cas suisse, qui doit être comprise et assumée. Si d’autres pays, sous occupation au moment des faits – notamment sous régime hitlérien – qui ont octroyé des dhc regrettables sous la contrainte n’ont pas tardé à organiser leur retrait, « dans notre cas, la situation n’est pas la même ». « Ce qu’on a pu voir en ayant recours à des experts c’est qu’il n’y a pas eu de ‘carte forcée’. Cette décision a été prise du plein gré de l’Université dans un contexte politique et philosophique fasciste. « Pour nous il est important d’insister sur cette nuance, de ne pas risquer de la balayer par un retrait, d’où l’idée de faire un colloque ». Une affaire qui, loin d’être clause, reste à suivre de très près.
Raquel Alonso Felgueiras