Poor Things, film féministe?

CINEMA – Le film Pauvres Créatures est en salle depuis quelques semaines. Il explore la vie d’une femme vivant avec le cerveau d’un enfant, elle découvre alors le monde qui l’entoure sans y avoir été socialisée.

Il y a des scénarios comme celui de Poor Things qui perturbent. Le réalisateur grec Yórgos Lánthimos s’est inspiré du livre de l’écrivain Alasadair Gray, publié en 1992 pour créer un film qui lui a valu le Lion d’Or à la Mostra de Venise en septembre dernier. Il raconte à l’écran l’histoire de Bella Baxter, jeune femme enceinte qui, après s’être jetée d’un pont, est «sauvée» par un docteur savant-fou décidant de la réanimer avec le cerveau de son fœtus. On suivra ainsi les aventures de ce personnage qui est une enfant dans un corps d’adulte, interprété majestueusement par l’actrice et coproductrice, Emma Stone.

Une adulte-enfant hypersexualisée

Le film aux décors surréalistes, se déroule à l’époque victorienne. De Londres à Paris, en passant par Lisbonne, nous suivrons les voyages de la protagoniste accompagnée d’un homme séduit par sa beauté et son innocence libératrice. Bella, dont on ne connaît pas l’âge mental (ce qui est passablement dérangeant) est confrontée, dès le début du récit, à toutes les caractéristiques imaginables d’un monde dirigé par des hommes : contrôle, enfermement, objectification sexuelle, etc. Certaines critiques saluent la réussite d’un récit d’émancipation, où le personnage principal se libère des normes patriarcales pour se frayer un chemin avec ses propres règles. Seulement, la représentation de sa sexualité dans la première partie du film est loin d’être féministe. N’ayant pas été socialisée, le film s’amuse à rendre «naturelles» ou innées les premières expériences de Bella. Les scènes ont tendance à l’objectifier et à refléter les fantasmes du réalisateur au lieu de nous transmettre ce à quoi ressemble la découverte de la sexualité d’un point de vue d’une enfant. Bien que l’histoire se focalise sur la découverte de son corps et du plaisir qu’il peut lui procurer, les séquences sont marquées par un «male gaze» tout en reproduisant certaines images des films pornographiques mainstreams.

«Mon corps, mon choix»?

La suite du long- métrage est légère- ment plus réjouissante. L’héroïne exclut effectivement de plus en plus la plupart des codes genrés qui lui sont infligés, ainsi que les hommes qui font partie de sa vie, dont on comprend qu’il s’agit de « Pauvres Créatures » que l’on méprise.  Après avoir travaillé en tant que travailleuse du sexe dans une maison close, c’est de la bouche d’un personnage masculin qu’on lui fait soudainement savoir que son corps lui appartient et qu’elle est libre. Une révélation imprégnée par une sorte de «Mon corps, mon choix» simpliste et dont on aurait préféré que le «créateur» de Bella soit alerte avant de faire des expériences sur son corps et celui d’autres femmes. Malgré les beaux décors et l’esthétique léchée, ce film semble reprendre des principes du féminisme de manière presque grotesque et dont on peine parfois à percevoir l’intention. Pourquoi ne pas avoir poussé le potentiel de cet univers et de ce personnage non socialisé pour découvrir un monde encore plus expérimental et révolutionnaire?

Clémence Reymond

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