Le racolage, bientôt derrière les écrans?

PROSTITUTION – Avec l’utilisation des outils numériques, le travail du sexe change considérablement. Rencontre avec l’association Fleur de Pavé, présente sur le terrain pour aider les travailleur·euse·s du sexe.

6’000. C’est le nombre de travailleur·euse·s du sexe en Suisse, selon une estimation tirée d’une étude menée par l’Office fédéral de la police (Fedpol) en 2023. La plupart d’entre eux·elles sont issu·e·s de la migration et sont arrivé·e·s en Suisse en étant dans une situation des plus précaires. Pourtant qui dit précarité ne veut pas nécessairement dire fatalité. C’est le crédo de l’association lausannoise Fleur de Pavé. Si certains individus pratiquent cette activité par nécessité économique, d’autres ont décidé d’en faire un métier à part entière. C’est ainsi que la prostitution se déploie désormais sous différentes formes. «Il n’est plus possible de parler seulement de prostitution de rue», déclare Silvia Pongelli, directrice de Fleur de Pavé.

 «Il n’est plus possible de parler seulement de prostitution de rue»

Silvia Pongelli, directrice de Fleur de pavé

Une activité comme les autres

L’association est née en 1996. Presque entièrement subventionnée par les pouvoirs publics, elle est composée d’un comité de six membres et d’une dizaine d’intervenantes sociales. L’équipe se relaie 5j/7j, pour garantir une présence au bureau sur le terrain ou encore au sein des salons. «La mission principale de Fleur de Pavé est d’accueillir, soutenir et accompagner toutes les personnes qui à un moment donné décident de pratiquer la prostitution.», commente la responsable. Il y a aussi tout un suivi de réduction des risques liés à cette activité tout comme de la prévention liée à la consommation de substances. Les services proposés par Fleur de Pavé sont nombreux. En partant des visites nocturnes avec un camping-car qui stationne dans le périmètre concerné jusqu’aux permanences de bureau (suivis administratifs entre autres) sur rendez-vous en passant par les visites de salons, l’équipe intervient sur tous les fronts. Fleur de Pavé est présente dans tout le canton de Vaud, bien que sa présence se concentre surtout à Lausanne, ville qui a légiféré sur la prostitution de rue en imposant un périmètre et des horaires bien définis. La particularité chez Fleur de Pavé c’est que «la prostitution est considérée comme une activité économique réglementée pour autant que la personne qui l’exerce soit âgée d’au moins 18 ans et qu’elle exerce de manière indépendante sans aucune forme de pression», explique Silvia Pongelli. Cela signifie que ces individus ont un statut d’indépendant et peuvent pratiquer ce métier pour autant qu’ils ont un permis de séjour valable. Concernant la fixation des tarifs, l’association n’en est pas en charge. Néanmoins, elle peut intervenir pour aider à une certaine prise de conscience. Certaines prostituées n’ont peu, voire pas du tout conscience du système suisse ou encore du coût de la vie comme l’explique la responsable. Pour celles qui démarrent l’activité, l’association donne une fourchette de prix et peut les conseiller. Il est expliqué aux prostituées que le client n’a pas à imposer un prix de lui-même c’est à elles-mêmes d’avoir ce droit et cette liberté de demander le tarif comme bon leur semble.

Changement dans la pratique

Fleur de Pavé défend aussi les droits des prostituées. L’association est donc chargée, en collaboration avec d’autres réseaux, de faciliter l’accès à des services juridiques, médicaux ou encore sociaux selon les besoins. La pratique s’est néanmoins bien transformée avec les années. À ses débuts dans l’association, vers 2010, Silvia Pongelli se souvient d’avoir vu près de 80 personnes dans la rue en moyenne chaque soir. La cause principale de cette évolution ne tient pas seulement à la pandémie de Covid-19 comme beaucoup pourraient le croire. Au contraire, la prostitution de rue reste toujours quelque chose de stigmatisée et de mal perçue et cela s’est accentué ces dix dernières années. Les travaux d’urbanisation lausannois au sein du quartier de Sévelin accentuent d’autant plus la visibilité publique de cette population qui se doit de cohabiter avec les nouveaux·elle·s habitant·e·s.

La technologie s’invite dans les relations intimes

Une nouvelle tendance se dessine aussi, celle du sex cam, autrement dit des relations sexuelles derrière un écran. En 2018, est née Callmetoplay.ch une plateforme d’annonces érotiques, d’information et de prévention grâce à une collaboration avec l’association Aspasie de Genève et l’association Fleur de pavé. La plateforme aide les personnes qui ne travaillent ni en rue ni dans des salons. Elle fournit des informations liées à la prévention et à la promotion de la santé. «La nouvelle réalité adapte nos pratiques et champs d ’ action, pour s’aligner aux besoins» détaille la directrice.

«Il a fallu qu’on adapte nos pratiques et champs d’action»

Silvia Pongelli, directrice de Fleur de pavé

Et devrait-on se soucier de la place croissante que l’IA prend dans notre quotidien? Va-t-elle peut-être un jour aussi remplacer ce travail de service à la personne?

Jessica Vicente

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