Elargissements autoroutiers controversés
TRANSPORT • Des voix s’élèvent après la décision du Parlement fédéral d’octroyer 5 milliards pour l’élargissement de cinq tronçons autoroutiers : un projet fermement dénoncé par Thibault Schneeberger, coordinateur romand de l’association actif-trafiC.
En septembre dernier, l’Assemblée fédérale a voté en faveur de l’extension de cinq tronçons autoroutiers, dont un en Suisse romande entre Le Vengeron (GE) et Nyon (VD). Un peu plus de 5 milliards ont été débloqués par les autorités fédérales pour l’élargissement des autoroutes suisses. Cette enveloppe vise à désengorger le trafic autoroutier, principalement aux abords des grandes agglomérations helvétiques. Au rythme auquel croît actuellement le trafic, près de 20% de l’ensemble des routes nationales risquent d’être quotidiennement surchargé d’ici 2040, prévoit l’Office fédéral du développement territorial (ARE), de quoi inquiéter les automobilistes déjà victimes des bouchons en Suisse.
Ces projets sont toutefois très loin de faire consensus, notamment au sein des milieux écologistes. Soutenue par la gauche, l’association actif-trafiC n’a comme promis pas hésité à brandir l’arme référendaire, faisant ainsi planer la menace d’une décision par les urnes. Elle dénonce une aberration climatique et un total contre-sens vis-à-vis de la loi climat, adoptée en votation populaire en juin 2023. Thibault Schneeberger, coordinateur romand d’actif-trafiC en Suisse romande, souligne l’anachronisme de ces projets en pleine crise climatique: «Tou·te·s les expert·e·s et scénarios sont unanimes: il faut réduire le trafic motorisé! Et dans cette optique, construire de nouvelles infrastructures autoroutières n’est pas envisageable». Cessons d’injecter des milliards dans le béton et investissons-les plutôt dans l’indispensable transition vers une mobilité plus durable.
Les transports, méga-pollueur
En matière d’émissions carbones, le secteur des transports en Suisse occupe la première place du podium. Le transport terrestre représente à lui seul plus de 30% des émissions polluantes. Plus d’un tiers des émissions sur sol suisse proviennent ainsi directement du secteur routier. Ce dernier se présente comme un enjeu majeur dans la lutte climatique. Des efforts considérables de réduction des émissions doivent être entrepris en la matière pour espérer atteindre les objectifs climatiques de la Suisse. La tendance générale n’est de plus pas très enthousiasmante, relève Thibault Schneeberger: «les émissions liées au transports continuent d’augmenter, ou au mieux, stagnent lors de certaines périodes. D’une part, certes, nous avons des moteurs plus efficaces, mais les voitures sont toujours plus grosses, plus lourdes et donc consomment plus. On note aussi une augmentation des kilomètres parcourus. La Suisse a donc un sérieux problème avec les transports».
Ajouter des voies: solution efficace?
«Qui sème des routes, récolte du trafic », scandent les opposant·e·s au projet qui dénoncent un développement autoroutier totalement contre-productif. L’extension des infrastructures autoroutières déjà existantes impliquerait une augmentation du trafic induit. Élargir, en définitive, c’est déplacer le problème à une échelle toujours plus extraordinaire, explique Thibault Schneeberger. «On sait de fait qu’agrandir engendre une augmentation du trafic: des gens qui n’auraient pas pris la voiture aux heures de pointe, ou qui utilisent les transports publics en temps normal se rabattent sur l’automobile. L’offre autoroutière supplémentaire soulage dans un premier temps les embouteillages, puis crée un effet d’opportunité. Et cela suscite des flux supplémentaires de voitures». Tou·te·s les automobilistes ne font pas face aux mêmes contraintes. Certain·e·s disposent d’une marge de manœuvre plus importante dans leurs déplacements, alors que d’autres sont tout simplement dépendant·e·s des autoroutes aux heures de forte affluence. Une nouvelle voie reviendrait ainsi à absorber une partie de la population qui cherchait à éviter le trafic jusque-là. Résultat: en deux fois moins de temps qu’il a fallu à la construction de l’infrastructure, les bouchons refont leur apparition.
Alors que l’automobile a souvent été cadrée comme une liberté, Thibault Schneeberger affirme qu’elle s’est rapidement transformée en dépendance. On entend souvent de la part d’automobilistes qu’ils n’ont pas le choix que de se déplacer en voiture. Cette allégation est révélatrice de la situation actuelle. Aujourd’hui, tout est pensé pour la mobilité motorisée. Les zones commerciales en bordure d’autoroute, par exemple, uniquement accessibles en voiture, sont significatives de cette dépendance automobile croissante. Pour le coordinateur d’actif-trafiC, «la difficulté que l’on doit affronter consiste à sortir de ce que l’on a déjà construit et qui nous rend dépendants. Ajouter une nouvelle voie, c’est aggraver la situation de dépendance, c’est pourquoi il faut absolument limiter ça». Repenser nos comportements et l’aménagement du territoire, sur le principe de compacité afin de limiter au maximum les déplacements motorisés, paraît donc inéluctable.
Deux stratégies contradictoires
Ces dernières années, les villes suisses, confrontées à l’engorgement de leurs centres-villes, misent sur des politiques de mobilité plus durable pour lutter contre la congestion des grands centres urbains. Genève ne fait pas figure d’exception. La Cité de Calvin a notamment mis en place une stratégie climat visant à réduire d’un tiers le trafic et les places de stationnement dans les quartiers résidentiels et de moitié au centre-ville d’ici 2030. L’objectif est clair: le trafic motorisé en ville doit être réduit. Malgré cela, les cinq projets d’élargissement adoptés par le Parlement se situent tous aux abords de grandes agglomérations (Berne, Bâle, Saint-Gall, Schaffhouse et Genève). Le paradoxe est tangible souligne Thibault Schneeberger, qui ne voit pas comment conjuguer ces deux objectifs, «dans ces conditions, construire de nouvelles autoroutes qui ne vont qu’augmenter le trafic, c’est totalement contradictoire. Il n’y a absolument aucun moyen de combiner ces deux objectifs». Le débat helvétique autour de l’élargissement autoroutier fait écho au mouvement de contestation du projet de construction de l’A69, reliant Toulouse à Castres en France. De nombreuses associations environnementales et le militant Thomas Brail, leader du mouvement de contestation en France, s’opposent fermement au projet et n’hésitent pas à recourir à une action directe. Des deux côtés de la frontière, la controverse dénote une prise de conscience climatique. Pour actif-trafiC il est clair que «plus les années vont passer, plus cela va sembler évident que ces projets sont totalement dépassés», conclut Thibault Schneeberger.
Matteo Crescenti