Le white saviorism

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HUMANITAIRE • Partir en voyage humanitaire semble avoir la cote. Les clichés de jeunes influenceur·euse·s parti·e·s en mission de volontariat envahissent les réseaux sociaux: une pratique parfois problématique et éthiquement sensible. Eclairage avec Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’Université de Lausanne.

Bon nombre d’Occidentaux·ales éprouvent le désir, bien que souvent teinté de bonne volonté, de partir secourir «le Sud». Du fait de sa position privilégiée, le·la white savior se sent investi·e d’une mission: sauver les populations des pays en voie de développement. Le white saviorism se traduit ainsi fréquemment par des missions de volontariat auprès de communautés marginalisées. Néanmoins, cette pulsion altruiste masque, dans certains cas, des motivations bien plus personnelles. Le·la white savior envisage l’impact de ses actions uniquement de son point de vue. Elles sont guidées par un besoin de reconnaissance et la volonté de se donner bonne conscience. Nicolas Bancel, spécialiste de l’histoire coloniale et postcoloniale, prône un revirement des perspectives. «On ne répond pas ici prioritairement à un besoin des populations locales, mais à un désir proprement occidental».

Le rôle des réseaux sociaux

À l’ère des réseaux sociaux, le phénomène s’est encore exacerbé: il faut montrer que l’on fait le bien! Les pays du Sud sont ainsi présentés comme le théâtre de pseudo-héros·ines. Pour le Professeur ordinaire de l’Unil, Nicolas Bancel, cette autoreprésentation de soi comme sauveur·euse résulte d’un double héritage. Premièrement, l’ère coloniale, à travers un flot de représentations, a popularisé cette image du·de la héros·ine blanc·he partant civiliser l’Afrique.

Le travail humanitaire requiert des compétences spécifiques

La seconde représentation provient directement des missions humanitaires où, dès les années 60, dévouement, générosité et courage sont magnifiés. La frénésie actuelle de mise en scène de sa personne et de sa vie s’inscrit donc certainement dans cette configuration historique, souligne l’historien.

Un business rentable?

Ces dernières années, face à une demande grandissante, un véritable business de l’humanitaire se développe. Certains organismes tirent alors profit de cette croyance occidentale du·de la sauveur·euse blanc·he en proposant des voyages humanitaires à plusieurs milliers de francs. Les volontaires, souvent motivé·e·s par ce que «l’expérience» peut leur apporter, cherchent à lier volontariat et vacances. Cette tendance est décriée par plusieurs ONG professionnelles qui dénoncent cette marchandisation d’une partie du secteur humanitaire. Le travail requiert des compétences et ne peut être envisagé uniquement à des fins économiques. Nicolas Bancel relève, quant à lui, une double exploitation par certaines organisations, d’une part de la bonne volonté d’une partie des jeunes occidentaux·ales, et de l’autre des populations locales qu’ils instrumentalisent, sans que celles-ci, généralement, n’en tirent profit. Le phénomène du volontourisme a pris une ampleur considérable. Au Cambodge, un véritable business touristique s’est développé autour d’orphelinats, qui ont vu leur nombre triplé en trente ans dans le pays. Selon l’Unicef, le nombre d’orphelin·e·s est, quant à lui, passé de 7’000 à 47’000. Une augmentation surprenante qui suit le développement du volontourisme dans le pays. Des enquêtes ont ensuite révélé que plus de 80% des orphelin·e·s ne l’étaient pas vraiment et avaient été recruté·e·s par ces établissements. De plus, les orphelinats sont maintenus intentionnellement en mauvais état afin de continuer à attirer de jeunes volontaires et à faire tourner ce marché de la pitié. C’est pourquoi il est nécessaire que l’aide émane d’une demande précise de la population locale: le travail humanitaire doit être réalisé en collaboration avec elle. Un dialogue permanent doit être engagé avec les acteur·ice·s locaux·ales.

«On ne répond pas ici prioritairement à un besoin des populations locales»

Nicolas bancel

Le volontariat ne doit pas être considéré comme «une manière de réinventer sa vie, de se réincarner en acteur positif, et pourquoi pas en sauveur·euse, avec pour décor les populations aidées», selon Nicolas Bancel.

Matteo Crescenti

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