Changeons le système, pas le climat
Vendredi, des milliers d’étudiants se sont mobilisés dans toute la Suisse pour manifester. La cause de leur préoccupation ? C’est bien simple, l’avenir de notre planète. Gymnases, universités, hautes écoles ; tous étaient au rendez-vous pour tirer la sonnette d’alarme. En ville de Lausanne, c’est au Petit Chêne que la manifestation débute. Des jeunes, des très jeunes, des moins jeunes également. Même Jacques Dubochet est de la partie. Le temps est au beau fixe, l’ambiance aussi. Toutefois, les étudiants ne sont pas là pour plaisanter ; le rassemblement n’a rien d’un coup de gueule passager. Les discours sont clamés d’un ton ferme, pancartes et banderoles brandies avec détermination : « Si le climat était une banque, il serait déjà sauvé », « Il n’y a pas de planète B », « Moins de biens, plus de liens ». Le flot d’étudiants déferle dans les rues, débordant d’enthousiasme. Des slogans divers et variés retentissent tout au long du cortège. « Et un, et deux, et trois degrés, c’est un crime contre l’humanité ! », « On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat ». La foule triomphante débarque finalement sur la Place de la Riponne, où les derniers discours sont prononcés dans une atmosphère chaleureuse.
À Genève, c’est à l’entrée du parc des Bastions que se donne rendez-vous la foule de jeunes manifestants. Selon les estimations de la Tribune de Genève, ce sont quelque 5’000 adolescents qui se mettent en route Place de Neuve, descendent la rue de la Corraterie pour traverser le pont de la Machine, avant de longer le quai du Mont-Blanc. En passant devant l’Hôtel des Bergues et le Kempinski, on entend résonner de retentissants « anti, anti, anticapitalistes ! », tandis qu’une jeune fille exhibe fièrement sa pancarte ornée d’une célèbre citation de Gandhi « Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour la cupidité de tous. » Aux balcons des grands hôtels, quelques hommes d’affaires curieux observent le cortège, des sourires complaisants aux lèvres. La foule avance dans la bonne humeur, au rythme des différentes enceintes qui répandent house, techno, drum and bass ou encore rap dans la ville. Bien que porteurs d’un message alarmiste, les jeunes gens souhaitent garder une vision optimiste de l’avenir. Finalement, les manifestants terminent leur marche devant la Place des Nations. Leur message est clair : la lutte pour la sauvegarde de nos écosystèmes revêt d’une importance mondiale et sa réussite ne pourra voir le jour sans une prise de conscience et une volonté d’action internationale.
Des revendications concrètes
L’ampleur du mouvement parle de lui-même : l’heure du changement a sonné. Les revendications, loin d’être anodines, ne sont toutefois pas un simple délire utopique d’écolo-bobo-gauchiste illuminé. Les étudiants exigent que les autorités mettent en place des mesures concrètes, notamment afin d’atteindre un bilan carbone neutre en Suisse d’ici à 2030. L’état d’urgence climatique doit être déclaré au niveau national et le gouvernement se doit de reconnaître la catastrophe climatique comme une crise à surmonter. Si ces requêtes ne peuvent être mises en œuvre dans notre système actuel, il sera donc nécessaire de changer ce dernier. Quoi qu’il en soit, nous serons contraints d’étancher notre intarissable soif de croissance.
L’engagement de la jeunesse
Bien que l’on puisse exprimer le regret que peu d’universitaires se soient mêlés à la manifestation, cette mobilisation importante des 14-21 ans reste néanmoins porteuse d’espoir. Que 22’000 adolescents, généralement décriés pour leur individualisme et leur abstentionnisme devant les urnes, soient sortis défiler pour défendre leurs convictions, démontre deux points essentiels : la jeunesse est maintenant prête à s’engager pour faire évoluer la société, mais elle ne se reconnaît malheureusement pas dans les politiques actuelles.
Le caractère apartisan et horizontal du mouvement est aussi à mettre en évidence. Pour les jeunes, l’urgence climatique à laquelle est aujourd’hui confrontée l’espèce humaine transcende les clivages politiques habituels : la question écologique est l’affaire de chacun.
Une classe politique partagée
Reste encore à poser la question de la cohérence du mouvement. En effet, de nombreuses personnalités politiques ont pointé du doigt l’écart qui existe entre les revendications des étudiants et leur mode de consommation. Parmi eux, Benoît Genecand, conseiller national PLR, qui, dans une opinion-courrier de la Tribune de Genève du 16 janvier, invite les jeunes Suisses à observer plus de cohésion entre leur souci écologique de principe et leur insouciance en pratique. Il utilise, pour appuyer ses propos, une statistique de l’Office fédérale de l’environnement révélant que les 18-24 ans seraient la frange de la population suisse qui, en moyenne, effectue les plus longues distances annuelles pour le loisir (près de de 19’000 kilomètres). Le conseiller évoque aussi la sous-information des jeunes en ce qui concerne le dossier climatique au niveau fédéral, ainsi que leur non-engagement politique.
L’auditoire a interrogé Léo Brockmann, déléguée à la communication pour la marche de Genève et élève en troisième année au Collège Emilie-Gourd : « On avait anticipé toutes ces critiques. Premièrement, Benoît Genecand parle des jeunes en évoquant la catégorie des 18-24 ans; or, la classe d’âge qui a participé à la manifestation se situe entre 14 et 20 ans. Plus de précisions seraient donc souhaitables. Ensuite, et j’en arrive au point le plus important, il s’agit de se demander pour quelles raisons les jeunes consomment ainsi. Ce que nous constatons, c’est que la jeunesse suisse s’est adaptée à l’environnement dans lequel elle a grandi. Notre mode de vie et nos habitudes de consommation ne sont finalement que les produits du formatage de notre société. Il est trop simple de nous mettre maintenant face à des responsabilités qui incombent en réalité aux politiques éducatives et de sensibilisation mises en place par les générations passées. » Elle termine : « La jeunesse et la population suisse en général sont prêtes à changer leurs habitudes, seulement il faut qu’un cadre légal les accompagne et les incite à adopter les petits comportements qui feront au final une grande différence. Il est essentiel, si l’on veut que les changements nécessaires soient atteints, que s’établisse une synergie entre les politiques et la conscience écologique qui est en train de naître chez les jeunes générations. »
L’heure du changement
L’ampleur du mouvement est bien la preuve que la jeunesse se rend compte de l’urgence de la situation. Nous sommes en train de foncer dans le mur, et continuons à appuyer allègrement sur l’accélérateur. Cette génération, certes critiquée pour son esprit de contradiction entre requêtes irréalistes et mode de vie tout aussi démesuré, est le produit d’un système qui l’a éduquée depuis sa plus tendre enfance à la surconsommation. Le changement ne sera facile pour personne, mais chacun est tenu de prendre conscience de l’état d’urgence et de transformer ses habitudes à son échelle : se déplacer en transports publics ou à vélo, réduire drastiquement sa consommation de viande, se retenir de faire un aller-retour à Londres sur le week-end… Les jeunes ont manifesté leur désir d’évoluer en ce sens. Aux autorités maintenant de sensibiliser la population, et surtout de prendre les mesures nécessaires qui ne dépendent pas de nous. La date de la prochaine manifestation est agendée au 2 février. Reste à voir ce qui ressortira concrètement de cette mobilisation.