BDFIL, une ode au 9ème art
BD • Le festival BDFIL s’est déroulé à Lausanne du 15 au 28 avril 2024, accueillant le bédéiste Tom Tirabosco en invité d’honneur, la fribourgeoise Vamille ainsi qu’une centaine d’autres artistes et spécialistes du milieu de la BD. Retour sur une programmation bien chargée.
Cette année, c’est l’humour qui était au cœur du festival lausannois. A travers le scénario ou les dessins, les moyens de faire rire ne manquent pas. Et là, il s’agissait de rigoler autour d’une situation bien particulière: un colis qui n’arrive pas à bon port et un quiproquo avec le facteur. En collaboration avec la Poste Suisse et couleur 3, plusieurs bédéistes ont suivi la consigne en offrant un panorama de ce qui se fait de mieux en ce moment, avec la participation de Elodie Shanta, Vamille ou Debuhme.
Lausanne, ville de BD
A côté de cette pièce dédiée à ce projet nommé Rire en Plan(ches), se tenait, au cœur du quartier des arts Plateforme 10, à quelques pas de la gare de Lausanne, un cabinet des curiosités mis en place par le centre BD. Ce centre de conservation et de valorisation de l’univers de la BD constitue le deuxième plus grand fond d’Europe. Nous pouvons alors parcourir des vitrines truffées d’accessoires et d’objets en lien avec la BD, d’un sac à main, à des figurines de schtroumpfs revisitées par des artistes. De plus, le centre BD, dirigé par Estelle Gautschi et Sébastien Riond, s’enrichit cette année avec des bourses de soutien à la création.
Gare truffée de planches
Pour sa 18ème édition, le festival a décidé d’investir l’espace public et une partie de la gare de Lausanne. Avec une exposition temporaire en lien avec l’écologie ainsi que l’occupation de l’ancien dépôt de poste qui accueille le vernissage de l’œuvre de Vamille, qui a eu carte blanche pour cette édition. Cette artiste suisse, qui a passé quelques temps à Tokyo dans une résidence d’artistes, sort son premier manga, Histoire de Sakana Kid. S’ensuit le travail de Tom Tirabosco, qui pour l’occasion présente son nouvel album, intitulé Terra Anima (La joie de vivre), coécrit avec Patrick Mallet. L’invité d’honneur a aussi participé à des tables rondes autour de sujet comme les liens féconds entre la BD et l’environnement. Le monstre genevois de la BD suisse est un artiste engagé. «On a entre les mains des choses assez folles» Son œuvre est traversé par le sentiment et l’urgence d’agir. Il défend que les BD puissent constituer un médium fort qui peut servir comme levier pour exposer des enjeux importants, qu’ils soient écologiques ou politiques. L’auteur insiste sur tout le travail d’efficacité visuel et de lisibilité que font les artistes, ainsi que de la difficulté de résumer les problématiques en un seul dessin. Un peu plus loin dans le quartier de la gare, se situe également l’exposition Aya et Akissi, réalisée par Marguerite Abouet, qui dépeint le quotidien de deux jeunes filles en Côte d’Ivoire, rythmé par leur défis et rêves du quotidien, loin des clichés sur l’Afrique. Le festival a également décidé de proposer un cycle sur les métiers de la bande dessinée, en mettant l’accent cette année sur le métier de coloriste. Métier dont les enjeux ont été discuté lors d’une table ronde qui mettait en évidence la méconnaissance de la part des maisons d’édition de cette profession . Selon ces professionnels, cette méconnaissance se manifeste, d’une part, par peu de conscience autour de toutes les techniques spécifiques du travail avec la couleur et, de l’autre, par une tendance à percevoir la BD comme une œuvre complète qui se veut appartenir à un·e seul·e auteur·e.
Des liens avec l’Unil
Le festival a pu se constituer en partie grâce au travail de ces deux co-directrices. À la fin de la journée presse qui présentait l’ensemble de la programmation, Léonore Porchet, co-directrice du festival, en voyant l’équipe de L’auditoire, se rappelle ses moments passés comme présidente de la FAE. Plusieurs des modérateur·ice·s sont des chercheur·euse·s en bande dessinée à l’Unil Elle nous raconte alors les liens primordiaux qu’entretient le festival avec l’Université lausannoise. Bon nombre de conférences, de chercheur·euse·s de l’Unil ou même le groupe d’étude sur la bande dessinée (GrEBD), qui constitue un des seuls groupes d’Europe en lien avec la BD, collaborent avec le festival. Plusieurs tables rondes dans les salles de recherche universitaire ainsi qu’à la maison de quartier sous-gare ont eu lieu, notamment autour de la BD et l’environnement ainsi que l’influence du numérique et des IA. Plusieurs des modérateur·ice·s sont des chercheur·euse·s en bande dessinée à L’Unil, comme Maëlys Tirehote-Corbin, doctorante qui s’intéresse en partie aux questions de genre dans le milieu de la bande dessinée ou encore Gaëlle Kovaliv, également co-directrice du festival. Une programmation très riche, un moment de partage et des questionnements autour des enjeux qui traversent le monde de la BD, la manifestation lausannoise fut l’occasion de naviguer entre nost algie, émer veillement et espoirs pour le futur. Il faut donc profiter de ce 9ème art et comme le dit Tom Tirabosco,«on a entre les mains des choses assez folles:ces dessins narratifs, des mots et des possibilités de créer des leviers et d’interpeller les gens».
Olga Matveeva et Alexandra Bender
Illustration par: Cécile Guillard