La muse: structure patriarcale?
DOMINATION • Dans l’art occidental, la muse est associée depuis l’Antiquité à une femme qui guide et inspire les artistes. La libération de la parole des femmes dans les milieux artistiques aujourd’hui devrait nous pousser à repenser le concept.
Dans la mythologie grecque, les neuf Muses représentent autant de domaines poétiques et intellectuels. Elles sont dépeintes sous les traits de femmes, celles-ci étant les filles de Zeus. Mais si initialement les muses étaient des êtres mythologiques et métaphysiques, la postérité les a incarnées. Dès lors, une muse fait d’avantage référence à une femme qui accompagne et pose pour un artiste, qui se trouve être dans l’immense majorité des cas, un homme.
La muse, un objet
La muse n’est célèbre que par les représentations visuelles ou poétiques qui sont faites d’elle. À vrai dire, elle n’est qu’une image passive. L’homme qui l’a peinte utilise alors son modèle pour s’inspirer et produire son œuvre. Cette femme qui pose pendant des heures devant le peintre est quelque part réduite à la nature d’objet. Un objet de désirs et de fantasmes pour l’homme qui les partage via la représentation artistique, mais pas que. Actuellement, dans le monde du cinéma, des voix féminines s’élèvent justement contre ces acteurs ou réalisateurs qui font d’elles des poupées vivantes. Elles sont perçues comme un objet qu’on peut utiliser et toucher à sa guise, minimisant leur rôle d’artistes.
Effacer la femme
Même en étant au centre de la toile ou au milieu de la scène, la femme est reléguée au statut d’objet de l’œuvre. On l’associe quasiment exclusivement à l’homme qui l’a mise en scène. Emilie Flöge est d’abord une toile de Gustav Klimt avant d’être une femme à la remarquable carrière de styliste. On retrouve là un processus de domination masculine assez récurrent dans l’histoire de l’art, qui place la femme sur un piédestal pour mieux l’effacer. La volonté de domination peut être induite par les valeurs de la société patriarcale ou être clairement motivée, à l’image de Pablo Picasso qui ne pouvait pas supporter que sa muse, la photographe Dora Maar, ne rencontre le succès en tant qu’artiste. Le peintre espagnol a tout fait pour que sa notoriété chute et qu’elle ne se dédie plus qu’à lui.
Être muse pour s’émanciper?
Malgré tout n’y-a-t-il pas des contre-exemples? Des artistes féminines qui ont su s’élever dans le monde culturel via leur statut de muse? Sans doute. Nous pouvons penser à la carrière de l’actrice et chanteuse Jane Birkin, qui n’aurait sans doute pas été la même sans Serge Gainsbourg qui l’a prise sous son aile mais aussi maltraitée. Cependant, cet exemple induit l’idée selon laquelle la réussite de la femme artiste ne se produirait que grâce au rôle d’un mentor homme. Un artiste masculin permettrait de lancer la carrière d’une femme, très souvent d’abord prise pour amante. Aujourd’hui des voix s’élèvent pour montrer que la réussite en tant que femme et artiste peut se faire sans être dépendante des choix d’un homme. Il reste cependant clair que le milieu de l’art ne fait exception au système de domination patriarcale dont la société est profondément empreinte. Ce sont les femmes qui sont peintes, les hommes qui peignent. La tradition artistique en déborde d’exemples et le public ne semble pas encore avoir réussi à retourner le chevalet.
Mathieu Nerfin
Photo: Gustav Klimt – Emilie Flöge. Emilie Flöge était créatrice de mode et Gustav Klimt la considérait comme sa muse.