Le culte réformé au féminin

Rencontre: Line Dépraz

INTERVIEW · Arrivée dans la profession un peu par hasard, Line Dépraz, pasteure de la cathédrale de Lausanne, s’engage pour sa communauté depuis plus de trente ans. Face à la montée de l’individualisme, elle cherche autant à faire dialoguer celles et ceux qui se rendent à la cathédrale que celles et ceux qui n’y vont pas, au-delà des préjugés.

Pour commencer, comment êtes-vous devenue pasteure?

J’ai grandi avec des parents engagé·e·s dans l’Eglise protestante donc j’ai été habituée depuis petite à fréquenter l’Eglise. J’ai des souvenirs en famille ou ailleurs, où l’on me racontait les histoires de la Bible, et j’avais envie d’être dans ces histoires. Ensuite, j’ai détesté le catéchisme. Là où plus jeune j’avais établi une véritable connexion avec les histoires, au catéchisme j’avais l’impression qu’on voulait m’enfoncer des choses dans le crâne. J’ai commencé les études de théologies un peu par hasard, intriguée par la large palette des disciplines enseignées et j’ai trouvé cela passionnant. Puis, je me suis posé la question des débouchés. J’ai donc fait un stage pastoral, et j’ai décidé que tant que cela me plairait et que cela aurait du sens pour moi, je continuerai. Et après avoir été pasteure en paroisse durant quinze ans, j’ai été élue au Conseil synodal (organe exécutif des Eglises réformées vaudoise), où je suis restée dix ans avant de rejoindre ce poste un peu particulier, celui de pasteure à la cathédrale de Lausanne.

Qu’est-ce que cela implique pour vous d’être une femme d’Eglise?

Être une femme dans l’Eglise change indéniablement quelque chose. Les premières femmes dans l’Eglise réformée vaudoise ont été consacrées en 1972, moi en 1994. Je ne suis donc pas de la première génération et je n’ai pas eu à tracer la route. L’expérience au sein de la première paroisse dans laquelle j’ai été installé s’est avéré un peu compliqué. Ce sont davantage mes idées libérales en termes de théologie qui ont posé problèmes à certain·e·s, plutôt que mon identité de genre. J’ai rarement été confrontée à du sexisme directement, mais je connais pas mal de collègues qui ont essuyé des piques. Aujourd’hui, il me semble qu’au sein des études de théologie, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. En ce qui concerne les pasteur·e·s, on doit avoir un gros tiers de femmes, et la tendance est plutôt exponentielle. On voit que le métier attire de plus en plus de femmes.

Le métier attire de plus en plus de femmes.

En tant que femme et pasteure comment appréhendez-vous les textes religieux? Est-ce qu’il est nécessaire selon vous d’entreprendre une réhabilitation du rôle des femmes au sein du protestantisme et du christianisme en général?

La seule tradition chrétienne où les femmes ont accès aux mêmes fonctions que les hommes, ce sont les Eglises Réformées. Cela est quand même problématique, car si on lit la Bible, les premières personnes qui ont prêché la résurrection, ce sont les femmes! Alors bien sûr l’on a eu de la peine à les croire, mais ce sont elles. Il y avait chez Jésus un mouvement libérateur incroyable, il était d’une émancipation impressionnante, y compris par rapport aux femmes. Mais très vite la tradition est redevenue patriarcale, sans doute dès le 2ème siècle. Le fait qu’on laisse les bonnes œuvres aux femmes mais que la prédication et l’enseignement soient une affaire d’hommes, c’est une pratique davantage culturelle que biblique. Les femmes sont de tous les instants de la vie de Jésus: sur le chemin de Croix, ce sont elles qui l’accompagnent tandis que les Apôtres restent à distance, ce sont elles qui feront les soins du corps, elles n’ont jamais fui ni ne l’ont trahi. Mais dans une société patriarcale comme l’était le bassin méditerranéen, les femmes ont très vite été reléguées aux rôles assignés par les hommes. Cependant, si on prend le temps d’étudier les textes bibliques , ils sont éminemment subversifs par rapport aux structures de pouvoir, et donc aux rôles des hommes et des femmes. Ce mouvement d’émancipation ne s’est malheureusement pas instauré de manière pérenne et le système patriarcal perdure encore jusqu’à aujourd’hui.

La perte de fidèles est observable autant au sein de l’Eglise catholique que dans l’Eglise réformée. Avez-vous des stratégies afin de conserver les fidèles?

Il y a une érosion autant chez les catholiques que chez les réformés, même si l’hécatombe de ces derniers mois chez les catholiques en raison des affaires d’abus sexuels ne se retrouvent pas dans les mêmes proportions chez nous. Dans l’ensemble de la société, nous sommes dans une période de perte de confiance dans les institutions, crise à laquelle les Eglises n’échappent pas. Il y a une perte de crédibilité globale des institutions et une individualisation croissante. Toutefois, je pense que les questions spirituelles perdurent, quelles que soient les générations. Elles demeurent tout aussi virulentes aujourd’hui qu’hier, peut-être même plus. Les valeurs qui nous guident, là où l’on donne du sens et ce qui nous donne des repères; ces questions sont encore très présentes aujourd’hui. Cependant, les personnes se posent ces questions hors des institutions et de manière plus individualiste qu’avant. Aujourd’hui au sein de l’Eglise réformée vaudoise (EERV), nous essayons d’avoir des ministères pionniers. Etant donné les personnes ne fréquentent plus le culte le dimanche, mais que les questions spirituelles restent prégnantes, nous tentons d’inventer de nouvelles formes de présence. Ce qui est nouveau, c’est que nous essayons de réfléchir par public-cible, ce qui aurait été impensable il y a vingt ans. Le pari qui est fait du côté de la cathédrale, monument le plus visité du Canton, est d’ouvrir et de créer des liens entre la manière dont moi je perçois le monde, avec mes références chrétiennes, et la manière dont d’autres personnes avec leurs valeurs propres pouvons entrer en résonnance sur des thématiques communes. Pour moi, les Eglises ont un problème de langage. Nous avons l’art de cultiver un patois de Canaan, c’est-à-dire d’utiliser des termes qui ne sont plus compris. Il y a un immobilisme dans le langage liturgique, phénomène sur lequel nous travaillons à la cathédrale. Nous avons modernisé et féminisé le langage pendant le culte, tout en faisant participer d’avantage l’assemblée.

Depuis le mois d’octobre 2023, l’Eglise catholique fait face à de multiples accusations d’abus sexuels en Suisse. Les mécanismes systémiques de violence et de dissimulation des abus sont-ils comparables au sein de l’Eglise réformée?

Ce ne sont pas uniquement les catholiques qui sont confronté·e·s à ces problèmes d’abus. Début 2024, un rapport de l’Eglise protestante allemande a été rendu et un plan de mesure sera présenté en novembre. Selon moi, les problèmes systémiques au sein de l’Eglise réformée sont différents de ceux de l’Eglise catholique. Cela dit, partout où il y a du pouvoir, il y a des abus qui peuvent être d’ordre physique, psychologique ou spirituel. Maintenant que cela a été documenté en Allemagne, il devient crucial de dresser un état de lieux chez nous afin de documenter le passé et améliorer le présent, sachant que toutes les Eglises réformées cantonales, sauf erreur, ont une structure qui permet de signaler des abus. Des choses bougent car nous sommes en train de prendre conscience que le problème existe également au sein des Eglises réformées, sans doute pas dans les mêmes proportions. La mixité dans le métier de pasteur·e a probablement induit un questionnement autour du pouvoir et de son partage. La plupart des abus dont nous parlons, consistent en de la violence d’un homme sur une femme, physique ou morale. L’inverse n’est pas impossible, mais beaucoup plus rare.

Il devient crucial de dresser un état de lieux chez nous afin de documenter le passé et améliorer le présent.

Face à la part de plus en plus faible de croyant·e·s dans notre société, les lieux de cultes ne devraient-ils pas être disponibles pour de nouvelles utilisations?

Pendant longtemps, ces questions n’ont pas été abordées. Aujourd’hui il y a des essais dans les Eglises, nous tentons d’inventer de nouvelles formes de présence. A la cathédrale cela a toujours été le cas car c’est un bâtiment d’Etat. A travers ma volonté de modernisation qui touche à plusieurs sphères du protestantisme réformé, j’essaie d’ouvrir la cathédrale à d’autres groupes avec lesquels je partage des thématiques communes. L’année dernière, nous avons accueilli deux expositions, l’une sur l’Iran durant les six semaines du temps de la Passion, l’autre durant Pâques appelé « Les cicatrices », qui consistait en dix-sept photos de femmes et de leurs récits de vie. Je tente ainsi de tisser des liens, au-delà de toutes nos pratiques, sur des questions communes. Il faut réussir à faire communiquer la spiritualité, la culture et la société pour construire ensemble afin de ne pas céder au repli sur soi et à l’individualisme.

Quelle est la place des personnes LGBTQIA+ au sein de l’Eglise réformée et comment y sont-elles accueillies?

Formellement, tout le monde est accueilli. Dans les faits, selon les personnes LGBTQIA+ elles-mêmes, ce n’est pas toujours le cas. De fait, il y a des célébrations spécifiques pour ces personnes-là. Dans une communauté traditionnelle, il peut y avoir des regards, des propos ou des gestes blessants. A mon avis, il faudrait idéalement que ce ne soit plus une question et que l’on n’ait plus besoin d’en parler. Cependant, il y a eu beaucoup de blessures et de discours qui ont été maltraitants pendant des années et il faut du temps pour les réparer. Ces dernières années, les discussions autour de la célébration d’une cérémonie pour les personnes en partenariat ont été virulentes, mais le Synode s’est prononcé de manière très nettement en faveur de ce projet. Cette décision a choqué certaines personnes et lorsque je défendais le projet auprès des médias, j’ai été sidérée de la violence des propos qui ont été tenus par certain·e·s. Mais je reste fière de mon Eglise qui a accepté, dans une large majorité, ces célébrations.

Que pensez-vous du lien entre interprétations bibliques et politique?

Je pense que le rapport au texte est déterminant. On dit que la Bible, c’est la parole de Dieu. Toutefois, c’est une parole transcrite par des humains longtemps après les faits évoqués. Est-ce que on peut vraiment reprendre ce qui a été écrit en l’an 50, avec les mêmes mots, et dire qu’il y a une immédiateté de la compréhension? Ou bien un travail de traduction, d’interprétation, d’herméneutique est-il à faire? Là, réformé·e·s et évangéliques ont des approches très différentes. Je pense que cela génère des manières d’être dans la société civile, voire dans le débat politique, très différentes également. C’est très personnel, mais moi cela me fait frémir de penser qu’un texte biblique aurait révélé sa vérité une fois pour toute. Si l’on sait ce qu’il veut dire, c’est lettre morte, c’était pour hier, ce n’est pas pour aujourd’hui ni pour demain. Il y a un travail d’interprétation à faire. Pour que le texte nous parle, il faut le lire et l’écouter avec de la distance et en saisir le contexte.

Propos recueillis par Nicolas Hejda

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