Questionner la natalité
ECOLOGIE • À l’heure où les effets du changement climatique se font de plus en plus ressentir, l’une des mesures pour y remédier serait de renoncer à faire des enfants. Solution drastique, est-elle pour autant efficace et nécessaire? Entretien avec Mathilde Krähenbühl, doctorante à l’Université de Lausanne.
Vous arrive-t-il de vous poser sérieusement la question de faire des enfants? Si oui, vous n’êtes pas seul·e, bien au contraire. La crise climatique et environnementale constitue l’un des enjeux les plus importants auquel l’humanité est confrontée. Face à cela, toujours plus de personnes expriment leurs inquiétudes par rapport à leur vie future. Parmi elles, les jeunes semblent être les plus concerné·e·s. En 2021, une étude menée par l’Institut de Psychologie de l’Unil a mis en évidence des niveaux d’anxiété climatique supérieurs à la moyenne chez les étudiant·e·s au sein de certaines facultés (Géosciences et environnement, Lettres, Sciences sociales et politiques), ainsi qu’un lien de causalité entre éco-anxiété et attitude négative à l’égard de la reproduction. À l’échelle mondiale, d’autres recherches montrent que plus de la moitié des personnes âgées de 16 à 25 ans se disent être fortement inquiet·e·s face à la crise climatique. Et si la solution était plus simple qu’elle n’y paraît? En 2017, les travaux de Wynes & Nicholas ont souligné que renoncer à faire des enfants serait le moyen le plus efficace pour réduire son empreinte carbone. De plus en plus de personnes se montrent alors hésitantes, voire renoncent à procréer. Ces questionnements semblent être plus présents chez les femmes cisgenres, où l’injonction à la natalité est plus forte. Outre les démêlés éthiques que cela pose, doit-on considérer qu’il est nécessaire d’en arriver là pour sauver la planète?
Différentes motivations
L’auditoire a eu l’occasion de s’entretenir avec Mathilde Krähenbühl, doctorante en anthropologie à l’Unil dont la thèse interroge la manière dont la perception de la catastrophe environnementale refaçonne les parcours reproductifs, les formes de famille et la parenté. Alors que toujours plus de personnes renoncent à faire des enfants, la chercheuse rappelle que la crise climatique n’est pas l’unique raison pour laquelle les couples et/ou individus justifient ce choix. Les raisons écologiques sont courantes mais rarement seules: il existe une multitude d’autres motifs comme l’insécurité globale actuelle, l’instabilité et les craintes liées au futur, ou encore la volonté de sortir du système capitaliste et patriarcal dominant. Ainsi, elle explique qu’une grande partie de ses enquêté·e·s considère l’absence de procréation comme un choix politique «qui ne résulterait pas que de la peur du futur mais d’un choix actif dans le présent».
Pas de solution miracle
Pouvons-nous sauver la Terre en renonçant à faire des enfants? La réponse semble mitigée. D’un côté, il est indéniable qu’un·e enfant de plus consommera à son tour les ressources planétaires et participera à l’émission de gaz à effet de serre. C’est cette idée qui est à l’origine des mouvements GINK (Green Inclination no Kids). Toutefois, certaines recherches semblent avancer qu’aussi drastique soit la réduction de taux de fécondité, elle n’a pas d’effet significatif sur le court terme. Le changement climatique est caractérisé par l’urgence qu’une natalité contrôlée ne peut endiguer. En effet, il existe un phénomène d’inertie démographique. Malgré l’instauration de politiques restrictives sur la procréation, la population mondiale ne baisserait que très progressivement.
Une étude de l’INSEE, en 2021, démontre qu’avec l’établissement d’un taux de fécondité à 1.5 enfant par foyer en France, la croissance démographique diminuerait de seulement 8% en 50 ans. D’ici là, les limites planétaires seraient certainement déjà atteintes. De plus, de telles mesures ne toucheraient pas la population plus âgée qui consomme davantage de ressources. Réduire la population plus jeune sans réduire celle plus âgée n’aurait alors que finalement très peu d’effets. En outre, la diminution de la population mondiale ne résulterait pas nécessairement en une réduction des émissions car ce ne sont pas les pays à densité démographique élevée qui génèrent le plus de pollution par habitant·e. En fin de compte, qu’elle soit écologique ou non, la décision de concevoir un enfant relève d’une motivation personnelle qui ne devrait impliquer aucun besoin de justification.
Thomas Antille