Photo : ©Christian Blancvillain

Propos recueillis par : Karen Ruffieux

ÉDUCATION • Christian Blanvillain, spécialiste dans le domaine de l’informatique et de l’enseignement, nous donne son avis sur l’arrivée des intelligences artificielles dans le milieu scolaire.

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Propos recueillis par : Karen Ruffieux

ÉDUCATION • Christian Blanvillain, spécialiste dans le domaine de l’informatique et de l’enseignement, nous donne son avis sur l’arrivée des intelligences artificielles dans le milieu scolaire.

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Propos recueillis par : Karen Ruffieux

ÉDUCATION • Christian Blanvillain, spécialiste dans le domaine de l’informatique et de l’enseignement, nous donne son avis sur l’arrivée des intelligences artificielles dans le milieu scolaire.

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L’IA au service de l’éducation

Photo : ©Christian Blanvillain

Propos recueillis par : Karen Ruffieux

ÉDUCATION • Christian Blanvillain, spécialiste dans le domaine de l’informatique et de l’enseignement, nous donne son avis sur l’arrivée des intelligences artificielles dans le milieu scolaire.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai 54 ans. J’ai programmé pendant plus de trente ans avant de commencer à enseigner l’informatique il y a dix ans. Depuis trois ans, je forme des enseignants à la didactique de l’informatique à la HEP Vaud. Je suis partisan d’une éducation qui remet le sens des savoirs et le goût d’apprendre au cœur des apprentissages. Je fais actuellement une thèse en didactique de l’informatique sur la question du développement de l’intelligence des élèves, pour les aider à apprendre à penser les algorithmes. J’aimerais créer une école du dimanche, plus proche de la nature et des besoins fondamentaux, centrée sur le développement personnel des enfants et sur la croissance de leur intelligence.

Pour vous, qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?

C’est un sujet qui me passionne depuis que j’ai écrit mon premier programme à 11 ans pour jouer au morpion sur un ZX81 [un ordinateur] avec une extension de mémoire de 16 kilo-octets, c’est à dire 0,000016 giga-octets. Encore aujourd’hui, je réfléchis à concevoir un algorithme capable de faire penser la machine. J’ai trouvé dans les années 90 des idées intéressantes. J’ai publié une première partie de ces idées en 2011 dans mon mémoire de master à l’EPFL. J’ai souhaité devenir enseignant pour mieux comprendre les processus cognitifs mobilisés dans l’acte d’apprentissage chez un être humain, de manière à pouvoir éventuellement les transcrire en algorithme au sein d’une machine. Il me tarde d’être à la retraite pour pouvoir coder et expérimenter la suite de ces idées, en me basant sur les IA qui seront alors disponibles, si j’en suis toujours intellectuellement capable d’ici-là.

Dans certaines universités, Chat GPT a été interdit, qu’en pensez-vous ?

C’est une réaction normale, que j’ai pu constater dans mes cercles de connaissance, des enseignants informaticiens ou des formateurs d’enseignants informaticiens. Il y a une phase de déni, suivi par une phase de remise en question puis d’acceptation. J’ai moi-même suivi ce processus pendant quelques jours à l’été 2021, au vu des performances d’une autre IA capable de générer du code sur la base d’un énoncé textuel, lorsque je me suis demandé si avec un tel outil il était toujours utile d’enseigner la programmation à l’école. La réponse est oui, mais pas de la même manière, et c’est ça qui est important. S’il y a bien une chose que j’ai apprise en tant qu’informaticien, c’est qu’il est nécessaire de constamment se remettre en question pour pouvoir rester à la page. C’est un état d’esprit moins courant dans le monde de l’éducation, qui a plus d’inertie. Pour moi, l’intelligence artificielle comme outil pour apprendre fait déjà partie des acquis avec lesquels il est nécessaire de composer. Certains ont juste besoin de plus de temps que d’autres pour le comprendre et l’accepter. La bonne question qu’une institution doit se poser est : quels sont les savoirs que l’on souhaite développer pour préparer les élèves à affronter les défis du monde de demain ? Il y a beaucoup de belles choses à enseigner aux enfants pour lesquelles l’intelligence artificielle n’est pas encore performante. Abandonner des pratiques et l’enseignement de savoirs devenus subitement obsolètes ouvre la porte à l’enseignement de compétences plus intéressantes et plus humaines, en délivrant les élèves d’un travail qu’une machine sait maintenant faire.

Actuellement, quels sont les bons usages de l’IA dans l’éducation ?

Je pense que les enseignants continueront d’utiliser dans leurs cours des exercices que ChatGPT est capable de résoudre et de corriger et qu’ils enrichiront leurs cours en ajoutant de nouveaux exercices plus intéressants, pour lesquels il faut utiliser ChatGPT pour réaliser des tâches devenues plus complexes. Pour moi, un bon usage de l’IA dans l’éducation est un usage qui aide les élèves, les enseignants et l’école à atteindre les objectifs que l’on se donne, à savoir instruire tous les enfants et les préparer au monde de demain. Dans cette optique, quelles sont les bonnes pratiques scolaires pour l’éducation de nos enfants ? Quel rôle l’école doit-elle jouer pour leur développement personnel ? Une fois que l’on est d’accord sur ces questions fondamentales, l’IA est juste un outil qui vient rendre service lorsque l’on a besoin de lui. Donc il y a des moments où l’on doit apprendre à faire ce que fait l’outil et dans ces moments-là, il peut servir à aider les élèves à apprendre, à vérifier que ce qu’ils ont appris est juste. Puis il y a des moments où les élèves doivent apprendre à faire des choses avec l’outil. J’utilise délibérément le mot “outil”, car l’IA telle qu’on la connait aujourd’hui n’est rien d’autre qu’un outil numérique, comme une calculatrice mais en plus puissant. Il y a toujours de bons usages de ces outils dans l’éducation et des moments où au contraire, il ne faut pas les utiliser, car on considère qu’il est important de savoir faire sans eux. Par contre, ne jamais utiliser l’outil en classe et donc ne pas apprendre à s’en servir, ne pas connaître ses points forts, ses faiblesses et ses dangers me semble être totalement absurde. Du moment qu’un outil existe, il faut apprendre à le maîtriser, tout comme la science informatique qui aurait déjà dû être incluse dans les plans d’étude il y a fort longtemps. On voit qu’il faut du temps pour que les gens non-initiés comprennent l’importance de certaines technologies. Ce sera certainement pareil pour les intelligences artificielles.

Mais pour revenir à votre question des bons usages de l’IA en général, c’est difficile à dire. Chaque enseignant devra prendre sur son temps de libre pour jouer avec ChatGPT, pour apprendre à s’en servir, comprendre ses extraordinaires possibilités et ses surprenantes limites, de manière à pouvoir répondre à votre question dans son domaine spécifique d’enseignement. Le premier bon usage qui me vient à l’esprit est d’inviter tous les élèves à questionner ChatGPT pour les aider à résoudre les différents projets et exercices sur lesquels ils travaillent, puis de partager avec le reste de la classe leurs découvertes et leurs apprentissages en termes d’interactions avec l’IA. Comment bien formuler sa demande pour obtenir ce que l’on cherche ? Comment trouver des sources fiables pour vérifier qu’une information est correcte ? Comment est-ce que l’IA va pouvoir les aider à construire leur réflexion ? Quelles sont les choses que l’IA fait bien et qu’il n’est plus nécessaire de faire à la main ? Comment cela va-t-il changer notre quotidien, nos vies, nos emplois ? Quels vont-être les impacts sociaux et économiques de l’arrivée de tels outils ?

Dans mon domaine, ce que je trouve absolument génial est de pouvoir demander à l’IA d’écrire du code. C’est vraiment cool ! Il est important de savoir quoi demander pour générer les jeux de tests qui couvrent tous les cas auxquels on pense, par exemple. Mais cela ne veut pas dire que les élèves ne doivent plus apprendre à coder. Comme je le disais juste avant, il a un moment pour tout, et il serait absurde d’interdire un outil qui rend service. Pour moi, intégrer les IA (je dis les, car il a aussi CoPilot depuis 2021 qui est vraiment bien pour la génération de code, et AlphaCode qui va bientôt arriver), donc pour moi, intégrer les IA est fondamental pour l’enseignement de la science informatique et en particulier pour l’enseignement de la programmation. Cela va permettre aux élèves de développer des projets beaucoup plus motivants !

Et dans l’avenir, voyez-vous un avantage à l’usage des IA pour les enseignant·e·s et les étudiant·e·s ?

Je n’ai pas encore pu jouer assez avec ChatGPT pour pouvoir dire que je maîtrise ce qu’il est possible de faire avec, bien que je l’utilise presque tous les jours depuis décembre. J’ai pu constater que cette IA ne comprend rien du tout à ce qu’elle écrit (ce qui est parfois marrant), qu’elle n’est pas capable de réfléchir sur un problème donné et surtout qu’on doit lui demander de nous poser des questions si l’on souhaite qu’elle en formule, ce qui prouve qu’elle est encore très limitée pour le moment. Il y dix jours elle était encore nulle en calcul, je n’ai pas retesté ses capacités en mathématiques depuis la dernière mise à jour fin janvier. Toutes ces limitations vont certainement disparaître avec les années et avec l’arrivée d’autres intelligences artificielles. Mais malgré ces limites, je vois déjà beaucoup d’avantages dans le présent ! Alors dans l’avenir, lorsque ces limitations seront levées, les IA pourront certainement aider les élèves autant que ce que font les enseignants aujourd’hui. Les enseignants auront alors plus de temps en classe pour s’occuper des élèves ayant des problèmes que l’IA ne saura pas gérer. Je pense par exemple à l’identification des difficultés personnelles et cognitives d’un élève, pour lui donner des conseils et des stratégies de remédiation personnalisées. Et peut-être qu’un jour une IA spécialisée dans ce domaine pourra faire ça aussi. Les enseignants deviendront alors des guides spirituels, mentors d’un épanouissement de l’élève à la recherche de sa joie de vivre, de sa raison d’être, pour qu’il puisse évoluer dans une société qui je l’espère sera plus vertueuse et plus respectueuse de l’environnement que la société actuelle ?

Finalement, est-ce que le métier d’enseignant·e va être modifié, voire remplacé ?

Être modifié, oui, c’est sûr, c’est déjà le cas en informatique ! Comme tous les métiers, l’enseignement va changer, s’adapter, comme cela a déjà été fait avec l’arrivée du numérique en classe. J’espère que le métier d’enseignant va pouvoir se recentrer sur ce que je considère être essentiel, à savoir la didactisation des savoirs, l’aide aux stratégies cognitives, l’enrichissement instrumental des élèves en difficulté, le développement des forces et du pouvoir d’agir des élèves. Être remplacé, par contre, ça m’étonnerait beaucoup. Mais peut-être… qui sait ? En tout cas pas à court terme, c’est sûr, car la dimension affective a une place centrale dans l’apprentissage et je ne crois pas que je verrais de mon vivant une machine capable d’émotions et d’empathie.

Avez-vous vu le film « Her » [un film de science-fiction] ? J’ai amené mes élèves le voir au cinéma lorsqu’il est sorti il y a dix ans. C’est peut-être ça notre futur ? L’IA devenant notre guide, notre confidente, en nous conseillant sur les savoirs à apprendre au moment où l’on en aura vraiment besoin. « L’école » prendra une autre forme et durera alors probablement toute notre vie sous la forme d’un apprentissage sur mesure, individualisé, adapté à nos forces, nos désirs, nos passions. 

Vous savez, j’ai la chance d’être un heureux grand-père depuis un an et demi. C’est pour elle [ma petite fille] que je souhaite créer cette école du dimanche. Malgré mon appétence pour les nouvelles technologies, je ne me sens pas du tout prêt psychologiquement à déléguer à une machine la tâche d’éduquer ma petite-fille. Et même si c’était possible, je n’en ai nullement envie !