Atelier d’écriture – Dire la chose !

Photo : Grange de Dorigny ©Maxime Hoffmann

Rédigé par : Maxime Hoffmann

En début mars, La Grange accueillait Alice Bottarelli pour un atelier d’écriture. Chercheuse en Faculté des lettres, elle prône une créativité réflexive, et même militante, qui questionne l’humain, son présent et son futur. Devant l’« Anthropocène », comment écrire face à cette nouvelle ère ?   

Un titre plein de promesses : « Écrire des lendemains qui chantent ». C’est ainsi qu’Alice Bottarelli conviait celles et ceux, qui aiment les mots et qui pensent au futur, à la rejoindre pour un atelier d’écriture. Une matinée de mars, le Foyer fraîchement rénové de la Grange, une quinzaine de personnes curieuses et une question : « Quelle est votre météo intérieure ? ».

Une intention

La mission que s’est donnée Alice Bottarelli, doctorante FNS en français, autrice et lauréate du Prix Georges Nicole 2022, est d’accompagner la mise en mots d’un enthousiasme ou d’une peur quant à l’avenir. Assis·es sur des chaises agencées en un grand cercle, les participent·e·s se regardent, sans doute anxieux·ses à l’idée de se confronter à l’écriture et de partager ses brouillons avec autrui. Le travail commence : l’animatrice donne la parole à chacun et chacune. Les gens se présentent, esquissent des humeurs tantôt joyeuses, tantôt mélancoliques. Puis les exercices suivent : former des binômes, écouter son prochain, écrire un court texte sur le prénom du partenaire, revenir à sa chaise initiale, se prêter à un jeu collectif d’associations d’idées et tant d’autres activités ludiques et créatives. La matinée s’écoule ainsi, en douceur. Sur les coups de midi, plusieurs pages d’un carnet sont couvertes de petites proses et l’esprit bouillonne d’images nouvelles. De l’expérience, il reste le souvenir d’une réaction chimique. C’était une ébullition discrète durant laquelle chaque personne glanait de la matière et notait à la dérobée une phrase qui sonnait ou une association inspirée.

Le projet porte ses fruits

La rencontre a en outre été l’occasion de réfléchir au monde. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le présent se vit à l’ombre d’un avenir menaçant. L’homme travaille chaque jour à l’édification d’un futur radieux, si radieux qu’il risque de se brûler les ailes. La terre se réchauffe. Le climat se dérègle. Et les conséquences dépassent sans doute toute projection. Face à l’urgence, la litanie se répète sans cesse : l’humain est l’acteur principal de son péril. Ses actions impactent tant l’environnement, que des chercheur·euse·s ont affirmé l’entrée dans une époque géologique nouvelle : l’anthropocène.

La notion est popularisée en mai 2000 par Paul Crutzen et Eugene Stoermer dans un court article : « The “Anthropocene“ » où les deux chercheurs postulent : « it seems to us more than appropriate to emphasize the central role of mankind in geology and ecology by proposing to use the term “anthropocene” for the current geological epoch. » (p. 17).

Que dire face à ce constat qui s’ouvre sur un futur incertain et qui nourrit toute tentation au pessimisme ? Comment penser quelque chose qui n’existe pas encore et qui a pourtant toutes les raisons d’éveiller des craintes ? L’écriture permet peut-être de donner une forme aux conjectures personnelles. « Encore faut-il trouver les mots ! » diront certain·e·s.

Les mots manquent !

Une question s’impose alors : de quelle nature est le drame qui se joue entre le mot et la chose ? La liaison entre le monde et les expressions qui y réfèrent est difficile à entretenir. On ne trouve pas toujours le lexique qui convient à ce que l’on regarde, entend ou sent. Circuler dans le monde sans le nommer, n’est-ce pas le quotidien ? Quelques personnes ont pourtant confronté le réel jusqu’à forger des formules qui y collent. Ce sont les poètes.

Francis Ponge, dont le regard patient perçait l’anodin d’objets quotidiens, écrivait une page sur le pain, un livre sur le savon. Il admirait, il savourait les mots et il travaillait jusqu’à atteindre l’essentiel. Il en résulte une description fascinante. L’exercice n’est pas simple, mais que serait-il sans objet ?

La psychanalyse opère une distinction entre l’Objet, que la conscience a identifié avec clarté, et la Chose, qui reste indéterminée, comme insaisissable, et qui exerce pourtant une influence sur la psyché. Toute la violence de la Chose réside dans la présence invisible qui hante l’esprit. « Il y a quelque chose, mais je ne sais pas quoi » se dit-on lorsqu’elle se manifeste. Ce sentiment peut d’ailleurs s’amplifier jusqu’à amoindrir la personne qui le vit. Ici pointe la perte d’équilibre, le blues, la mélancolie ou la dépression : « Le dépressif […] est en deuil non pas d’un Objet mais de la Chose » (Julia Kristeva, Soleil noir). Ponge consacrait sa plume à une miche de pain. Celle-ci reposait sur une table, devant lui. Elle était inerte mais palpable. C’était un Objet. Mais, que dire de l’avenir radieux qu’érige l’anthropocène ? Il y a là une Chose, une présence insaisissable et pourtant oppressante.

L’atelier d’Alice Bottarelli a fourni quelques pistes pour sublimer la Chose en Objet. Écrire s’avère alors un travail d’objectification qui porte sur l’émotion qui précède l’avenir. Celui-ci évoque aujourd’hui au mieux la crainte, au pire l’angoisse. Certains projets habilement conduits amènerons peut-être à des œuvres signifiantes comme celles d’Alain Damasio, d’Antoine Volodine ou, plus proche de nous, Antoinette Rychner. Chez eux, les émotions ont motivé la création d’univers futuristes qui parlent du présent. Avec modestie et persévérance, l’écriture transformera peut-être la chose, indicible et oppressante, en un objet saisissable. Voilà une belle invitation. Et qui sait ce qu’il peut en ressortir !

Maxime Hoffmann

Retrouvez les informations de cet atelier sur : https://www.grange-unil.ch/evenement/ecrire-des-lendemains-qui-chantent/

Questions/Réactions

Quelle est votre réaction spontanée face à cet article ?

Je remercie Maxime Hoffmann et L’Auditoire d’avoir porté l’écho de cette expérience d’écriture en commun, qui a constitué pour moi un moment précieux d’échanges autour de la littérature et de ses possibles. Nous étions nombreux·ses à cet atelier et j’avais envie de proposer assez d’exercices pour permettre à tout le monde d’explorer quelque chose de nouveau pour elleux.

L’avantage de la démarche : la diversité des formes et techniques explorées, et l’envie d’aller plus loin, que ces exercices ont générée chez nous. L’inconvénient : nous n’avons pas eu le temps d’écouter l’ensemble des textes produits durant la matinée. Il est curieux pour moi de suggérer un tremplin vers l’imaginaire, sans en connaître l’issue. Je veux dire par là que les ateliers d’écriture me donnent le loisir de vivre une belle expérience commune (voire communautaire), mais dont une grande part m’échappe.

Je peux offrir un cadre propice à la confiance et à la créativité, proposer certaines lignes de mire, ouvrir un espace bienveillant pour s’atteler à décrire des affects tristes ou joyeux, mais ensuite, le reste appartient à chacune et chacun.

Chaque participant·e vit singulièrement son rapport à l’écriture, aux difficultés de la création spontanée, au plaisir de voir les idées germer et s’aligner sur la page. En tant qu’organisatrice d’ateliers, je n’y peux pas grand-chose, à part m’émerveiller de la complexité des enjeux soulevés par chacun·e – et tenter moi-même de mettre des mots sur cet émerveillement !

Pourquoi articulez-vous vos ateliers d’écriture autour de la thématique de l’anthropocène ?

Ce n’est pas systématique. Je donne des ateliers d’écriture depuis 7 ans sur des thèmes, genres, techniques très variables (de l’exercice de style façon oulipo à l’uchronie de SF, de la liste poétique à la nouvelle érotique, etc), donc tout est possible et riche, en écriture.

En l’occurrence, cet atelier avait lieu dans le cadre de la semaine de la durabilité, donc ça s’y prêtait bien. Concernée par des questions d’engagement écologique, j’avais envie d’explorer des imaginaires alternatifs du futur, en contraste avec les discours catastrophistes ou faussement enchanteurs dont on nous abreuve jusqu’à plus soif.

Comment envisager des avenirs joyeux, ou même tout simplement des avenirs possibles, après avoir lu le dernier rapport du GIEC ? Comment ne pas tomber dans des imaginaires caricaturaux (qu’ils soient teintés malgré nous par un insidieux impensé survivaliste, ou par du blabla politique qui propose de tout solutionner en maintenant la croissance) ? Comment soigner ensemble la solastalgie qui habite bon nombre d’entre nous ? Et comment recréer du commun, dans tout ce cheni ?

Je ne crois pas que l’écriture suffise à résoudre magiquement l’effondrement écologique et social que nous vivons (sans toujours le voir, d’ailleurs). Mais je suis convaincue qu’elle permet beaucoup de choses. Par exemple, débloquer nos cerveaux pour entrevoir (et même concevoir !) des perspectives qu’on ne soupçonnait pas avant. Créer du lien avec autrui, et avec ce qui nous entoure, pour (re)trouver de nouveaux régimes attentionnels, de nouvelles façons de prendre soin (des choses, des personnes, de soi). Bref, refaçonner un monde…

Comment faites-vous pour éveiller la créativité des participant·e·s ?

C’est à elleux de le dire !

En vérité, il y a plein de manières de donner un atelier d’écriture, et j’affine (ou bricole) mes stratégies au fil du temps.

Bien sûr, il y a les exercices eux-mêmes (les contraintes d’écriture), qui permettent de donner un cadre propice à l’invention. Étonnamment d’ailleurs, la difficulté de la contrainte n’a rien à voir avec la difficulté à produire un texte convaincant pour y répondre : ce sont parfois les contraintes les plus ardues techniquement qui facilitent le plus l’écriture, la rendent audacieuse et inédite.

Mais le plus important, je trouve, ce sont les liens et l’atmosphère créée entre les participant·e·s – autrement dit, l’esprit de groupe. Permettre à chacun·e de se sentir pleinement accueilli·e dans un espace safe, bienveillant, marrant, joyeux et parfois grave, éventuellement profond et intime : voilà le défi – et la condition de possibilité d’une expression singulière. L’écriture, c’est aussi parfois se montrer à poil devant tout le monde. La confiance, donc, me paraît indispensable.

Et puis, ma petite tambouille personnelle vient aussi des outils que j’ai glanés en participant à des mouvements militants et diverses formations autour de la vie en communauté. La recherche d’alternatives offre énormément de perspectives pour réarticuler les relations humaines et les relations à l’environnement – du moins, j’ose le croire. Pour moi, tout ça ouvre les idées, ça émancipe, ça empuissante, ça booste la créativité.

Que dites-vous à celles et ceux qui n’arrivent pas à écrire ?

Hum… Vous êtes les très bienvenu·e·s au prochain atelier !

Si vous êtes désireux·ses d’écrire, n’hésitez pas à contacter alice.bottarelli@unil.ch. Peut-être qu’on arrivera ensemble à débloquer tout ça…

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