Nae, une quête musicale

@nightcall.studio pour @ta_ta_ki
RENCONTRE · Conscient de ses forces et faiblesses qu’il transforme en matière créative, ce jeune rappeur suisse partage dans sa musique une vision authentique de lui-même. Dans une interview avec L’auditoire, il évoque ses débuts modestes à composer des sons entre des caisses de rangement dans son garage, jusqu’à son ascension à la deuxième place des Tataki Awards.
Peux-tu te présenter en quelques mots et nous expliquer ton parcours vers la musique ?
Moi c’est Nae, j’ai grandi à Champlan, proche de Sion. Depuis gamin, j’ai toujours voulu marquer mon temps. Avant même de me projeter dans la musique, j’ai toujours eu des images de scènes. J’ai fait du piano plus jeune et nous avions l’habitude, en famille, de chanter avec ma grand-mère. Puis c’est mon grand frère qui m’a donné le goût du rap. Il nous amenait, mon frère jumeau et moi, à des soirées où il faisait du freestyle. Je le voyais avec des étoiles dans les yeux.
Comment les choses se sont-elles enchaînées ?
Grâce à mon frère, qui m’a plongé dans l’univers du rap alors que je n’y connaissais rien, je me suis mis à écouter de la musique plus consciemment, et pas seulement par divertissement. Un jour, il me dit qu’il faut qu’on enregistre, et on est parti acheter des micros dans un magasin de musique. On a ensuite sorti notre premier EP, 2 en 1. J’ai directement eu une dalle énorme, tandis que mon frère était plus sur la retenue et préférait se consacrer à ses études. J’ai ensuite sorti mon premier projet solo, Kintsugi. Pour officialiser la première écoute, j’ai loué un cinéma où je décryptais mes sons devant mes proches et une salle comble. Ça en a surpris plus d’un, moi qui étais de nature assez discrète, à ne pas faire trop de vagues.
Quand tu es transparent, les gens se reconnaissent davantage
Quelles difficultés as-tu rencontrées dans ton parcours de jeune artiste?
La première, c’est peut-être la difficulté de collaborer entre artistes. Pour sortir un projet, il faut être bien entouré et cha- cun à son rôle à jouer. J’ai passé deux ans, entre Lyon, Genève et Lausanne à chercher un beatmaker. Ce rôle est aussi important, si ce n’est plus que l’artiste qui pose sa voix, car l’âme de la musique, c’est l’instrumental. Ça a été un vrai combat pour trouver des gars avec qui je pouvais travailler comme je l’entendais. Quand on a un projet en tête de A à Z, partager sa vision, son projet, ce n’est pas toujours facile. Cela m’a poussé à créer mes propres accords. J’ai téléchargé une application qui me permet de poser ma voix et transformer ça en instrumental. Ça rajoute un côté ludique dans la création. Un autre aspect compliqué, c’est tout le côté administratif. La musique c’est pas- sionnant et libérateur, mais dès que tu commences à avoir des perspectives d’avenir, ta passion peut en prendre un coup. Il y a des moments de temps morts parce que c’est trop compliqué. Gérer son statut d’artiste, construire des demandes d’aides à la culture, qui ne sont pas toutes friandes de rap et recon- naissent davantage le théâtre ou d’autres formes d’art. Tout ça, ce sont des aspects qu’on apprend sur le tas et qu’on n’anticipe pas forcément.
Comment arrives-tu à combiner musique et travail?
J’ai réussi à m’organiser pour me libérer deux jours par semaine que je passe en studio. En expérimentant une année sabbatique, à me consacrer à la musique à plein temps, je me suis rendu compte que plus de deux jours de libre pour faire de la musique, c’était trop. Trop de temps et les passions se transformentencorvée.Travailleràcôté me permet d’avoir les pieds sur terre, de maintenir un rythme de vie normal et de délimiter les moments où je peux être plus créatif. Et quand je suis au studio, j’ai besoin d’être dans ma bulle pour pouvoir développer quelque chose d’au- thentique et de personnel. Jusqu’à maintenant, j’apprécie ma progression constante, de ma cave aux Tataki Awards. Je me dis que c’est juste incroyable ce qu’il se passe! Tant que j’arrive à progresser, c’est une victoire.
Tes sons sont à la frontière entre la pop et le rap, quel style musical te stimule le plus?
Venant initialement du freestyle et du rap, je me dirige énormément vers la pop. J’adore aussi l’Afrobeat. Tout ça est très expérimental, de nombreux·ses artistes dans le rap se cherchent. On est en train de prendre un virage où les gens essaient des choses. J’adore aller chercher la limite de ce qui est écou- table. Je ne veux pas m’enfermer dans des codes, mais avoir un équilibre, un juste milieu. Avant, l’accent était
beaucoup mis sur l’egotrip, sur le fait de cacher ses sentiments et de paraître fort. Je trouve que mettre en lumière ce côté sensible est beaucoup plus enri- chissant, sans en faire trop non plus. Ça parle peut-être plus aux gens: quand tu es transparent, ils peuvent se recon- naître davantage.
J’adore aller chercher la limite de ce qui est écoutable
Comment ta région d’origine, le Valais, a influencé ta musique?
J’ai un rapport assez ambivalent avec ça. Je suis fier d’où je viens, mais le fait que cela soit sans cesse mis en avant peut parfois me gêner. J’aime qu’on me reconnaisse pour ma musique et je ne mets pas l’appartenance à ma région d’origine trop en avant. Je ne veux pas que ça prenne le pas sur d’autres aspects de mon travail ou de ma personne.
Quels objectifs pour 2025? L’année prochaine, avec la sortie de mon nouvel album, j’aimerais essayer de mettre en place une tournée suisse et quelques scènes françaises.
Que penses-tu de ce qu’on appelle aujourd’hui les musiques TikTok? C’est un rapport ambivalent que beau- coup d’artistes entretiennent avec les plateformes comme TikTok. Les albums ne fonctionnent plus vraiment. Nous sommes à une époque de consomma- tion rapide, où l’on écoute 15 secondes de ta musique et ça passe ou ça casse. Je déteste ça, mais en même temps qu’est-ce que ce serait d’avoir une trend à soi!
Propos recueillis par Alexandra Bender
Retrouvez l’artiste sur Spotify (Nae) et sur Instagram (@nae.so_)