Ville-campagne, fracture mondiale?

GLOBALISATION · Les clivages entre villes et campagnes sont étudiés autant par la géographie, la sociologie que la science politique. Ils s’observent dans de nombreux pays, même si ce ne sont pas toujours les mêmes phénomènes qui sont à l’œuvre. 

S’il y a bien un fait qui dépasse les frontières et les particularités helvétiques, c’est ce qui divise villes et campagnes. Que savons-nous à propos de ce clivage dans d’autres contextes nationaux et est-il plus ou moins marqué qu’en Suisse ? 

Contrairement à ce que l’on pense souvent, les différences dans la manière de voter entre zones urbaines et rurales sont moins marquées en suisse que dans d’autres pays, d’après le politologue suisse Claude Longchamp. D’une part, les agglomérations concentrent la vaste majorité de la population et font de la suisse un des pays les plus urbanisés de l’OCDE. Cette porosité entre zones rurales et urbaines et accentués par la mobilité pendulaire, de plus en plus importante. Finalement, les infrastructures ferroviaires très développées, la petite taille du pays et la décentralisation du pouvoir jouent un rôle prépondérant pour réduire ces inégalités territoriales. 

Le cas français 

Qu’en est-il dans des territoires moins denses et urbanisés comme en France ? La notion de «diagonale du vide» est utilisée pour signifier de manière cynique, mais dans certains cas revendicative comme le cite le géographe Max Rousseau, les inégalités territoriales. En effet, cette région qui va du Nord-Est au Sud-Ouest de la France en passant par le Massif central est assimilée à un désert en termes de densité, de services essentiels médicaux ou sociaux et d’infrastructures. Comme c’est le cas en Suisse, il est commun de constater des tendances de comportements de vote plus conservateurs dans les ruralités face à des villes plus progressistes. Mais il faut être attentif.ve, d’après des géographes et politistes comme Jean Rivière et Elie Michel, à ne pas tomber dans un «déterminisme géographique» qui associerait directement un lieu de vie à certains avis et une manière de voter. En effet, les comportements électoraux seraient davantage impactés par des variables socio-professionnelles, de niveau d’éducation ou de revenu, qui elles-mêmes interagissent avec des contextes historiques et locaux spécifiques. Un cas emblématique est celui de la région du Nord-Pas-de-Calais, qui vote historiquement socialistes ou communistes et a aujourd’hui une forte proportion d’électeurs du Rassemblement National. De même, les centres urbains ne sont pas homogènes et il peut y avoir des différentes marquées entre quartiers centraux ou plus populaires. 

Clivage inversé

Pour autant, il est globalement admis que les villes votent plus à gauche et les campagnes plus à droite. Mais il a des exceptions qui ne confirme pas forcément la règle. Si nous prenons le cas de la Suède, sa situation actuelle est influencée par l’historique des paysans suédois depuis 1900 : les petits propriétaires constituaient une part importante de l’électorat rural où les produits des paysans restaient compétitifs sur le marché et avec des industries moins concentrées dans les zones urbaines. Des partis paysans prospères ont émergé et ont formé des alliances avec les partis sociaux-démocrates de la classe ouvrière. L’auteur Jobim Steyermark, dans sa revue de littérature sur les fractures politiques mondiales entre les zones urbaines et rurales, dit qu’il y a des mécanismes qui permettent cette forme de loyauté géographique de se perpétuer dans le temps. Les chercheurs Domenech et Sanchez-Cuenca étudient un cas similaire en Espagne et démontrent que les niveaux actuels d’inégalité économique n’expliquent pas entièrement la popularité continue de la gauche dans des zones rurales. Cela s’explique car il existe une forte corrélation entre les tendances politiques d’un individu et le camp choisi par ses parents pendant la guerre civile espagnole.

Penser dans la globalisation

De manière générale, d’après Huijsmans et Rodden, les clivages se rendraient particulièrement saillants dans des systèmes majoritaires avec deux partis principaux – comme c’est le cas par exemple aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada – car ces partis regroupent leurs positions sur de nombreuses questions dans une dimension gauche-droite, (ou libérale-conservatrice) englobante. Dans les pays dotés de systèmes électoraux plus proportionnels, les principaux partis semblent agir comme un tampon contre la polarisation extrême entre zones urbaines et rurale. Mais la géographe Deborah Potts nous propose une grille de lecture qui intègre le clivage ville-campagne dans la globalisation. Tout d’abord, la globalisation ne produit pas toujours de migration linéaire du rural à l’urbain : par exemple en Chine et en Inde énormément de «migrants solitaires» vont travailler dans des villes alors que le reste de la famille reste dans des zones rurales. La migration vers les villes produit aussi des phénomènes d’inégalités qui dépassent les frontières étatiques, comme c’est le cas avec les migrants notamment d’origine asiatiques qui viennent travailler pour la construction dans les pays du Golfe. Leurs conditions de vie et de travail sont en général très précaires et difficiles, avec peu voire pas du tout de protection sociale et des droits très limités.

Elena Deiana

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