Prix Nobel, la dynamite du prestige

CEREMONIE · Le 10 décembre 1902 démarrait la première cérémonie des prix Nobel, qui récompense les accomplissements scientifiques et humanitaires les plus importants de l’année. Le nom Nobel fait à présent partie de la culture populaire: une réputation qui se construit et qui se maintient. Mais dans quel but?
La cérémonie des prix Nobel vise à récompenser celles·eux dont le travail a le plus apporté à l’humanité au cours de l’année. Divisé en 6 catégories, le prix récompense des scientifiques, mais aussi des activistes et des organisations. Les gagnant·e·s reçoivent une médaille, un diplôme et 11 millions de couronnes suédoises, c’est-à-dire à peu près 890’000 francs: une récompense à partager si le prix est décerné à un groupe de chercheur·euse·s, le maximum de lauréat·e·s par catégorie étant de 3 personnes. Mais la récompense va bien au-delà des trophées: le prestige entourant le Nobel transforme les scientifiques en figures médiatiques et leur confère une image de savant·e·s au conseil toujours pertinent, même en dehors de leurs domaines d’expertise. Et il n’y a pas que les scientifiques qui sortent gagnant·e·s de la cérémonie: les universités profitent aussi de la réputation du prix. Et lorsque leurs chercheur·euse·s deviennent le visage de leur discipline, elles ne cachent pas leur fierté. Lors de vos balades sur le campus, vous êtes sans doute passé·e devant le Biophore, ce bâtiment vert pris en sandwich entre la Banane et l’Amphimax. Juste à côté de l’entrée principale, vous pouvez admirer (mais pas utiliser) la place de vélo réservée à Jacques Dubochet, Nobel de chimie 2017.
La science sur le devant de la scène
Au-delà du prestige, un autre intérêt de ce prix est de rendre visible des domaines plutôt méconnus. Les médias jouent le jeu en mettant en avant les résultats et les travaux récompensés, en particulier quand les gagnant·e·s sont de leur région. Les enseignant·e·s en parlent à leurs élèves pour illustrer la pertinence des thèmes étudiés en cours et qui sait, peut-être leur donner de grandes ambitions pour le futur. Le prix Nobel permet de tourner la science vers le grand public, de faire un pont entre le domaine de la recherche et le reste du monde. C’est alors un nouvel enjeu qui apparait, celui de la représentation de la science et des scientifiques, pour laquelle une cérémonie attirant un public aussi large est cruciale : le jury du Nobel a le pouvoir de sculpter ce que le monde imagine à travers «un·e savant·e». Les gagnant·e·s du Nobel sont à 84% originaires d’Europe ou d’Amérique du Nord – dont 50% d’européen·e·s. La disparité de genre est gigantesque: à peine 7% de lauréates, la première n’étant autre que Marie Curie en 1903, aux côtés de son mari et d’Henri Becquerel. L’âge le plus récompensé est 63 ans. Que cela soit par biais dans son choix final ou par les difficultés d’accessibilité des scientifiques issu·e·s de minorités aux sphères les plus prestigieuses de la recherche, le jury ratifie encore aujourd’hui une image du scientifique que l’on ne connait que trop bien. Mais la représentation n’est pas le seul enjeu sociétal de la cérémonie: le prix Nobel de la paix apporte une dimension sociale et politique explicite à la cérémonie. Il permet de mettre sous le feu des projecteurs des combats importants pour l’humanité ainsi que les activistes qui les représentent, comme dans le cas de Malala Yousafzai, qui a œuvré pour la scolarisation des filles au Pakistan et dans le monde en général. Le lien entre la distinction et la politique est très fort: l’Union Européenne fut lauréate en 2012 pour un prix fêtant ses 60 ans, et Gorbatchev, président de l’URSS jusqu’en 1991, reçut le prix un an plus tôt pour «le rôle majeur qu’il joua dans les changements radicaux des relations Est-Ouest».
Alfred Nobel, marchand de la mort
Sans doute, la personne à l’origine de ce prix devait être un grand philanthrope. Mais Alfred Nobel était avant tout un inventeur: il étudia la chimie aux Etats-Unis et suivit les pas de son père en s’intéressant aux explosifs, en particulier à la nitroglycérine. En 1867, il posa le brevet d’une innovation permettant de contrôler l’explosion de cette molécule: c’est la naissance de la dynamite. Grâce à ce brevet, il laissera à sa mort un patrimoine impressionnant, estimé à 179 millions d’euros. Il continua à développer ses inventions en toute insouciance jusqu’en 1888. Cette année-là, son frère décède et un journal les confond, annonçant à tort la disparition d’Alfred Nobel: «Le marchand de la mort est mort. Le Dr. Alfred Nobel, qui fit fortune en trouvant le moyen de tuer plus de personnes plus rapidement que jamais auparavant, est mort hier ». Par ce court récit que font les journalistes de sa vie, l’inventeur réalise comment le monde le perçoit, et décide d’agir pour changer son image. Dans son testament, il lègue les recettes de ses brevets à la création d’un prix qui récompensera «ceux qui, au cours de l’année précédente, ont apporté le plus grand bénéfice à l’humanité»: le prix Nobel. Le pari est plutôt réussi: lorsqu’on pense Nobel, c’est la médaille qui vient à l’esprit bien avant la dynamite. Aujourd’hui, l’histoire d’Alfred Nobel est loin d’être aussi célèbre que la cérémonie qu’il a créée. Ce n’est pourtant pas un secret et la fondation Nobel ne cherche pas à cacher son histoire. Cette année encore, la fondation récompensera une association s’opposant à l’utilisation des armes nucléaires. L’organisation japonaise Nihon Hidankyo, qui se bat contre l’armement nucléaire en portant la mémoire des rescapé·e·s des bombes atomiques, recevra le 10 décembre prochain le prix Nobel de la paix.
Eden Alves