Capturer « La Vie Rapide »

©lavierapide

INTERVIEW • Kevin, plus connu sous son nom d’artiste La Vie Rapide, est un jeune tatoueur genevois qui vit et travaille actuellement à Paris. Spécialisé dans le lettrage, les mots qu’il tatoue donnent une voix aux histoires, aux souffrances ou aux espoirs de ses client·e·s. L’auditoire a eu la chance de rencontrer cet artiste sincère et passionné.

Tu as d’abord travaillé dans le social. Comment es-tu arrivé au tatouage ?

Depuis mes 16 ans, j‘ai toujours travaillé dans le social. J’ai travaillé dans plusieurs domaines, mais j’étais surtout avec les jeunes, en foyer. J’ai toujours eu le lien facile avec les gens et ce besoin de les aider. Depuis petit, je suis très créatif, j’adore la musique, la photo et j’écris beaucoup. Très jeune, je voulais déjà avoir beaucoup de tatouages, cet art me fascinait.

La vie est si fragile, même si elle est compliquée, il faut la chérir et en profiter

Durant le premier confinement, j’avais des horaires allégés, j’ai donc pu m’intéresser plus sérieusement au tatouage. À cette période, je commençais à fréquenter un salon de mon quartier et les gens dont je me suis rapproché m’ont poussé à me lancer. Depuis que c’est mon métier, cela a changé ma vie, je me rends compte désormais que si j’aime quelque chose, je peux le faire.

Quelle est l’origine de ton nom La Vie Rapide ?

C’était déjà mon nom sur Instagram un an avant que je tatoue, c’était donc un concept qui m’était propre. Au début, il y avait cette idée de fast life, je travaillais beaucoup et je faisais plein de trucs à côté, j’avais et j’ai toujours ce besoin constant de mouvement. Si je dois donner une définition plus globale de La Vie Rapide, c’est tout simplement que la vie est très courte et qu’elle ne tient à rien. Il faut utiliser cette vie pour faire quelque chose qui nous plaît. La vie est si fragile, il faut la chérir et en profiter, malgré le fait qu’elle soit compliquée.  

Tu tatoues principalement des phrases. D’où te vient cet attrait pour les mots ?

J’ai toujours énomément écrit car je me retrouvais beaucoup dans l’écriture. J’ai ce rapport aux mots, où j’ai plus de facilité à exprimer de manière intense les émotions par écrit. La musique m’a également beaucoup inspiré. Les paroles ont toujours été pour moi un vecteur d’émotions.

Quel est, selon toi, le pouvoir du tatouage ?

Le tatouage est puissant. Lorsque tu te tatoues, c’est la réapropriation de ton corps : tu décides ce que tu en fais et personne ne peut te l’enlever. Par exemple, quand j’étais petit, je détestais mes bras, mais depuis je suis tatoué c’est devenu la partie préférée de mon corps.

Nous trouvons ensemble le tatouage qui correspond à son histoire

Dans la vie, les modes sont éphémères, mais le tatouage, lui, est permanent : tu mourras avec. Personnellement, je change énormément de centre d’intérêt et je passe vite à autre chose. Les tatouages que j’ai me sortent de ce truc, où je suis constamment en mouvement, cela me permet d’être plus ancré avec moi-même.

Comment se passe le processus de création avec les client·e·s ?

Il y a plusieurs possibilités, soit les gens me contactent pour un flash, soit ils.elles me contactent pour me parler de leur projet personnel ou alors sur le projet « Raconte-moi ». Le projet « Raconte-moi » c’est un concept que j’ai créé.

La lecture derrière la volonté de tatouer ses cicatrices est propre à chacun·e

Lorsqu’une personne a envie de se faire tatouer quelque chose en lien avec son histoire ou en lien avec une émotion, nous organisons une discussion pour parler de ce qu’elle a vécu. À la fin de la discussion, nous trouvons ensemble la phrase et nous faisons le tatouage qui correspond à son histoire, le jour même. À mes yeux, ce partage est essentiel.

Tu tatoues parfois sur des cicatrices de scarification. Est-ce que tu y vois une dimension thérapeutique ?

Je tiens tout d’abord à préciser que je ne fais pas du tatouage thérapeutique, je n’ai pas de formation de thérapeute, toutefois je peux comprendre que se faire tatouer soit une forme de thérapie et que cela fasse du bien. Je n’aime pas cette idée de vendre mon travail pour sauver. Il est vrai que je tatoue des mots forts, souvent liés à la thématique de la santé mentale. À travers mon parcours, j’ai donc travaillé avec plusieurs personnes qui avaient des cicatrices de scarification. Il est important de dire que je ne les recouvre pas, mais que je tatoue par-dessus. La lecture derrière la volonté de tatouer ses cicatrices est propre à chacun·e. Certain·e·s me disent qu’ils.elles ne veulent plus les voir, mais qu’ils·elles veulent y voir un message positif tandis que d’autres se tatouent pour ne plus se faire du mal.

Vois-tu une dimension sociale derrière ton métier ?

Oui totalement. Je dirais que c’est la continuité d’une forme de travail social qui passe par le tatouage. Des gens viennent vers moi pour me raconter leur histoire, ils·elles s’ouvrent à moi et me confient leur corps. Je ne me vois pas les tatouer sans un minimum de contact humain. Il y a beaucoup de rencontres qui me rendent très sensible. C’est une question d’équilibre : il faut être dans l’empathie, mais se créer une bonne protection.

Quelle est la plus grande leçon que tu as apprise en tant que tatoueur ?

Je suis quelqu’un de très exigeant avec moi-même, surtout lorsqu’l s’agit du travail. J’ai appris qu’il faut parfois lâcher prise. Dans le travail social, tu apprends que tu ne peux pas aider tout le monde.

Dans cette quête d’aider les autres, je ne dois pas m’oublier moi

Ton travail ne peut pas être en constante montée, parfois cela fluctue. Surtout il ne faut pas oublier que dans cette quête d’aider les autres, je ne dois pas m‘oublier moi. Je dis souvent la phrase « prends soin de toi », mais il faut parfois aussi que je me le dise à moi-même. J’ai également compris qu’en aidant les autres, je me soignais moi-même. Dans la profession de tatoueur·euse, il y a parfois des moments très compliqués, surtout quand on est indépendant, mais je suis très reconnaissant d’avoir le privilège de pouvoir faire un métier qui me passionne.

Propos recueillis par Sarah Pfitzmann

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.