Des universités bondées?
UNIVERSITÉS • Depuis les années 1990, les effectifs estudiantins au sein des universités ne cessent d’augmenter. Cette problématique pose aujourd’hui des questions organisationnelles cruciales aux institutions les hébergeant. Discussion avec Giorgio Zanetti, vice-recteur de l’Université de Lausanne et responsable de l’enseignement et des affaires étudiantes.
Le 20 septembre 1990, les universités suisses mettent fin aux vacances et laissent accéder aux amphithéâtres 86’000 étudiant·e·s. le 17 septembre 2024, alors que les Hautes Ecoles Universitaires (HEU) ouvrent le semestre d’automne 2024, 170’000 étudiant·e·s franchissent leurs portes. Cette augmentation impressionnante des effectifs suisses trouve ses causes dans des évolutions démographiques et sociétales. En effet, alors qu’aucune université n’a été fondée en Suisse depuis trente ans, c’est surtout l’explosion du nombre de femmes et d’étranger.ère.s dans les académies qui explique ce bond. Alors que ces deux catégories représentaient respectivement 39% et 19% des effectifs au début des années nonante, ils·elles sont aujourd’hui 52% et 34% dans les murs des alma mater romandes, alémaniques et tessinoises.
Un défi structurel
Malgré cette impressionnante augmentation numérale des étudiant·e·s universitaires suisses, les institutions les accueillant semblent appréhender ces chiffres d’une manière pragmatique et plutôt confiante. Le vice-recteur de l’Université de Lausanne et professeur dans la Faculté de biologie et médecine, Giorgio Zanetti, nous explique qu’il « ne qualifierai[t] pas cela d’une mauvaise chose. Notre attitude n’est pas de vouloir grandir, il n’y a pas de démarche active ; en revanche, il y a une volonté de répondre aux besoins. C’est un défi, mais je ne voudrais pas le qualifier de menace, parce que s’il n’y a plus de personne qui veulent faire une formation universitaire et venir chez nous, très bien, il faut qu’on y répondre le mieux possible. »
Il est important de mentionner que depuis la pandémie de COVID-19, les effectifs se sont stabilisés. Mais la Confédération n’exclut pas une recrudescence de nouvelles immatriculations au sein des HEU. Dans un rapport publié en 2022, l’Office Fédéral de la Statistique prévoit en effet une augmentation de 15% du nombre d’étudiant·e·s universitaires d’ici 2031. Un tel changement impliquerait forcément des adaptations structurelles, parfois mises à mal par les temporalités asymétriques d’un ajustement du campus (bâtiments à construire, modalités d’enseignement à adapter, personnel technique à structurer, etc.). de plus, ces modifications structurelles des sites des universités, notamment à l’Unil, posent des questions supplémentaires. Selon Giorgio Zanetti, « on se rend compte qu’il y a une certaine tension entre répondre avec des locaux appropriés et la responsabilité écologique, car on n’aimerait pas une empreinte au sol pire que ce qu’elle est maintenant ou sacrifier des espaces verts ».
Conserver la qualité
Ces contraintes matérielles s’imposent aux universités suisses et viennent ajouter une considération aux enjeux de l’enseignement, qui représentent aux aussi une composante très importante de l’augmentation des effectifs étudiants. Dans leur « Stratégie relative à l’évolution des effectifs étudiants au sein du Domaine des Écoles Polytechniques Fédérales », le Conseil des EPF, organe de direction de l’EPFL et de l’ETH, s’inquiète de devoir changer les modalités d’enseignement et que cela impacte considérableemnt la qualité de l’enseignement. Giorgio Zanetti partage cette inquiétude, mais se veut moins alarmiste : « la courbe des subsides que nous donne le canton et la courbe de notre personnel ont suivi la même pente que la courbe du nombre de nos étudiant·e·s, on a donc pu garder le même taux d’encadrement ».
En revanche, cela n’exclut pas une certaine adaptation des facultés concernées, le vice-recteur se demande : « est-ce qu’on met beaucoup de cours à option à tout petits groupe qui consomment, si j’ose dire, beaucoup d’enseignant·e·s ? Est-ce qu’on fait des TP à petits groupes ou des activités à groupes plus grands ? Voilà des outils de régulation que les facultés peuvent avoir, sur une temporalité plus agile ». Le télétravail reste lui aussi une solution à disposition des facultés, tout en gardant à l’esprit que l’Unil « ne veut pas devenir une université à distance ».
Numerus clausus ?
Pour que cette pratique et celle de la recherche puissent continuer à se faire de manière qualitative, les HEU se préparent à mettre en place d’autres mesures à l’avenir.Alors que la question de l’augmentation des taxes pour les étudiant·e·s étranger·e·s fait beaucoup parler à l’EPFL, l’Unil ne semble pour l’instant pas prendre cette voie-là. « La question des taxes est en réalité politique, l’Unil n’a pas la compétence de choisir son montant. Cela dit, la Direction actuelle ne souhaite pas d’augmentation de taxes », précise Giorgio Zanetti, ajoutant que le niveau plutôt bas de ces dernières « est une force du système suisse ». la question du numerus clausus répond à la même logique. Si mise en place il y a (sans prendre en compte la situation complexe des études de médecine), la décision reviendra au Grand Conseil vaudois ou au Conseil d’État, et reste ainsi plus incertaine à l’avenir. Le vice-recteur de l’Unil insiste : « tant que c’est gérable, nous préférons être ouverts, accueillants, d’offrir la possibilité de suivre un projet de formation », mais il nuance aussi, précisant que « ce n’est pas impossible un jour que nous soyons contraint de resserrer le goulet ». la situation ne pousse donc pas à l’urgence, mais il n’est pas exclu qu’à un moment, ces préoccupations retrouvent le devant de la scène et n’aillent pas forcéement dans le sens des étudiant·e·s.
Simon Zbinden