Géopolis occupé
CAMPUS • Alors que la vie académique reprend gentiment son cours sur le campus, l’occupation de Géopolis en mai dernier et la mobilisation étudiante pour la Palestine n’ont pas fini de faire parler. Événements, revendications et débats, retour sur ce mouvement d’envergure avec des membres du collectif Camp’Unil’Pal.
La mobilisation pour la Palestine a rassemblé une coalition inédite de personne, politisées ou non – et, le cas échéant, issues de cultures politiques très diverses : écologiste, zadiste, autonome, antifasciste, anticapitaliste et queer – et ayant des besoins différents. Dans ces conditions, « la cohésion au sein même du mouvement représentait un enjeu majeur », selon une membre du collectif marquée par cette expérience de vivre-ensemble, où « [les] diversités pouvaient s’exprimer pleinement ». Au bout de quelques jours seulement, le hall de Géopolis est devenu le centre d’une attention médiatique et publique importante, y compris à l’international. Le mouvement a par ailleurs été suivi par une cascade d’occupations dans d’autres campus du pays. À l’Unil, étudiant.e.s et membres de la société civile se sont retrouvé·e·s pour assister à deux assemblées générales par jour, à des conférences, à des projections et à des ateliers artistiques ou d’auto-formation au droit de manifester. Lors de quelques manifestations qui ont ponctué les négociations avec le Rectorat, « la priorité était de garantir que l’espace reste ouvert et sûr pour tous·tes les participant.e.s, tout en évitant au maximum une confrontation avec les autorités », selon les explications d’un autre membre du collectif responsable du service d’ordre.
Au cœur d’un débat de société
L’occupation de Géopolis a rencontré de nombreux soutiens parmi les enseignant.e.s et chercheur·e·s de l’Unil – par moins de quatre cent d’entre eux·elles ont signé une lettre de soutien – ainsi qu’auprès de député·e·s du Grand Conseil vaudois et du Parlement suisse. En même temps, une contre-pétition, intitulée « UNIL : Pour la liberté académique » a été signée à ce jour par 156 enseignant.e.s et chercheur·e·s. de l’université. En outre, un sondage de la RTS lancé le 6 mai montre une opinion plus divisée encore de son public : sur 1574 participant.e.s, 49% considéraient comme positives les manifestations universitaires, contre 51% qui les désapprouvaient. Parmi les critiques, un argument régulièrement invoqué était que la politique n’avait pas sa place à l’université, lieu de construction de savoirs et de débats scientifiques.
Aux antipodes de cette idée d’une tour d’ivoire académique, l’un des membres de Camp’Unil’Pal nous a rétorqué que « l’institution académique n’est pas neutre : elle est traversée par des rapports de pouvoir et des influences économiques et politiques en tant qu’étudiant.e.s, nous avons voulu réaffirmer que l’université […] a la responsabilité de soutenir des causes justes, de se positionner et d’offrir un espace où les voix dissidentes peuvent se faire entendre. »
Contacts avec le Rectorat
C’est à de tels échanges qu’incitait le rapport sur les collaborations de l’Unil avec des universités israéliennes, publié par le collectif le 14 mai dernier. Mais l’initiative n’a pas trouvé le relais escompté chez les médias ou la Direction de l’Unil, comme le déplore aujourd’hui un des membres chargés du travail de recherche : « ce que je retiens surtout, c’est que la Direction n’a pas voulu lire le rapport, et que j’aurais souhaité que ce rapport encourage les médias à s’intéresser à nos revendications, plutôt qu’au seul rapport de force avec la Direction. » À ce sujet, le collectif nous a confirmé être toujours en contact avec la Direction, pour suivre les avancées de la cellule d’expert.e.s mise en place pendant l’été pour évaluer les collaborations avec des instituts scientifiques en contexte de conflit armé.
Épilogue… et suite
Si on ignore quelle direction va prendre le mouvement en fonction des conclusions de cette commission et des décisions du Rectorat, les enjeux sont nombreux, à en croire la tension qui a traversé les derniers jours de l’occupation. Une autre membre de Camp’Unil’Pal, active dans les négociations, se souvient entre autres des pressions politiques : « Frédéric Borloz, le conseiller d’État en charge de l’enseignement supérieur, voulait une intervention policière ; il y avait aussi une campagne politique et médiatique contre nous de députés du Grand Conseil. »
Elle nous raconte aussi le jour où, devant le risque d’arrestation et d’intervention policière – qui s’étaient déjà produites à Genève, à Zürich et à l’EPFL – le collectif a décidé d’évacuer Géopolis : « On est quand même sorti·e·s en faisant une grande manifestation sur le campus, avec une conférence de presse où ont été mises en avant des choses graves qui se sont passées du point de vue de la liberté académique et de la présence policière sur les campus. » Pourquoi, alors, a-t-il fallu en arriver là ? « Je pense qu’on ne se rend pas compte », nous dit cette même membre, « de l’impact que ça a sur nous de voir des images de génocide en temps réel. L’occupation était aussi un des premiers espaces à la fois d’action et de deuil collectif. C’est vrai que, avant, tu te sentais impuissante, tu allais peut-être aux, mais rien ne changeait concrètement ; je pense que c’est aussi pour ça que ça a fonctionné. Maintenant, il est important de remobiliser les personnes qui sont venues et qui ont senti ce truc : quand on se mobilise et qu’on est ensemble, on peut gagner des choses et construire un rapport de force. »
Anthony Gérard