Au fil des œuvres : Créer, entre folie et génie

ART • De l’artiste maudit·e au·à la génie incompris·e, nombreux sont les qualificatifs qui associent l’acte de création à une forme de mal-être. Ce dernier est-il pour autant symptomatique d’une créativité exceptionnelle ?

« Il n’y a pas de génie sans un grain de folie », affirmait Aristote dans sa Poétique. Depuis l’Antiquité grecque, la thèse d’une corrélation entre folie et génie constitue un véritable mythe, reprise au XIXe siècle par le romantisme, puis par le surréalisme au XXe siècle, alimentant les fantasmes autour de la figure de l’artiste.

Des œuvres en miroir de la maladie

Plusieurs noms célèbres ont fait l’objet de spéculations quant à la fragilité et l’instabilité de leur santé mentale, comme Van Gogh, dont la relation épistolaire avec frère nous libre des éléments de sa personnalité et de son tempérament tourmenté. Un désespoir a d’ailleurs été régulièrement interprété dans certaines œuvres du peintre, par l’agitation qui s’en dégage, à l’instar de Champ de blé aux corbeaux, réalisé peu de temps avant son suicide, à l’âge de 37 ans. En littérature, dans le recueil Une saison en enfer, Rimbaud cherche à s’affranchir du carcan de la raison et à explorer des ressentis insoupçonnés en poésie, au moyen d’hallucinations. Des troubles que Maupassant connaît également à la fin de sa vie, atteint de la syphilis, l’écrivain est en effet en proie à de nombreux délires et autres symptômes psychiatriques semblables à ceux dépeints dans sa nouvelle fantastique intitulée Le Horla, dans laquelle le narrateur est traqué par une créature invisible éponyme. A travers les mots et les tableaux, les maux ont ainsi sublimé les créations de ces artistes, les élevant à la postérité, malgré une destruction à la fois psychique et physique.

Être dément·e, gage de talent ?

Une étude génétique islandaise, publiée en 2015 dans la revue britannique Nature Neuroscience, a démontré qu’il existe bel et bien un lien entre les métiers créatifs et certaines pathologies mentales. Le psychiatre français Raphaël Gaillard, quant à lui, s’intéresse également aux autres membres de la famille des personnes touchées, car ceux·celles-ci sont susceptibles de développer une fibre artistique. Ces constats méritent cependant d’être nuancés, dans la mesure où les spécialistes s’accordent à dire qu’une trop grande souffrance réduit l’aspiration à créer. La « folie » peut donc réfréner un·e artiste, comme en témoigne le cas de la sculptrice Camille Claudel, qui n’a plus produit aucune œuvre durant les trente dernières années de son internement. D’autres tournent en dérision ce diagnostic, tel que Dalí – au demeurant, controversé par ses prises de positions politiques durant la Seconde Guerre mondiale –, qui s’exclamait : « L’unique différence entre un fou et moi, c’est quoi moi je ne suis pas fou ! ».

Il existe un lien entre les métiers créatifs et certaines pathologies mentales

Fou·folle pour certain·e·s, génie pour d’autres ; la notion de « folie » demeure ainsi polysémique et subjective. Toujours est-il que des troubles psychiques ont indéniablement stimulé les démarches créatrices de plusieurs artistes, pour lesquel·le·s la maladie s’est avérée être une étape décisive de leur processus. Au-delà de toute considération médicale, cette souffrance a pu, parfois, révéler un désir contrarié de liberté.

Justin Müller

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