D’une traduction à une autre: le classique Moby Dick décortiqué

© Réka Gaál
De g. à d. : Vincent David, Muriel Pic, Thierry Raboud, Josée Kamoun et Francesco Biamonte.

ÉVÈNEMENT — Afin de célébrer les 35 ans du Centre de traduction littéraire de Lausanne (CTL), deux journées inédites se sont déroulées à la Grange de l’Unil, les 7 et 8 juin 2024. Des discours, conférences, ateliers, une remise de prix et même un karaoké ont rythmé la fête, réunissant à la fois traducteur·trices et grand public dans une ambiance conviviale. Focus sur «En filature: les nuances de Moby Dick», une activité vivante et enrichissante.

Le CTL fête ses 35 ans !

Le Centre de traduction littéraire de Lausanne (CTL), institut de la Faculté des lettres de l’Unil actif depuis 1989 et fondé par Walter Lenschen, promeut et organise, en plus de plusieurs projets de recherche, des thèses de doctorat et des enseignements en traductologie, des événements autour de la pratique de la traduction littéraire. Proposant des lectures, des rencontres et de nombreuses autres offres culturelles rassemblant traducteur·trices et amateur·trices de littérature et de traduction, le CTL est dirigé depuis 1999 par Prof. Irene Weber Henking. Cette année, le CTL fête donc ses trente-cinq ans d’activité. C’est dans ce contexte que deux journées de festivités ont été organisées sur le campus au début du mois de juin avec pour thème «Suivre le fil…», afin de mettre en valeur les nombreux projets de collaboration du CTL ainsi que la relève en traductologie et en traduction littéraire. Avec notamment, une conférence menée par Francesco Biamonte sur les différentes traductions du classique Moby Dick écrit en 1850 par Herman Melville qui a surpris le public par son format original.

Un commentaire des traductions du géant des mers

En présence de trois personnalités de la vie littéraire francophone – Josée Kamoun, traductrice d’auteur·ices anglais·e·s et américain·e·s, Muriel Pic, chercheuse et autrice, et Thierry Raboud, journaliste et poète – Francesco Biamonte, lui aussi traducteur, journaliste et chanteur lyrique, a animé la conférence «En filature : les nuances de Moby Dick». Dans un format original s’inspirant de l’émission musicale «Disques en lice», le public a entendu Vincent David, comédien professionnel, lire à voix haute des extraits tirés de quatre traductions en français du célèbre roman – la plus ancienne, de 1941, de Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono; celle de 1954 du poète et traducteur suisse Armel Guerne; la version de Henriette Guex-Rolle de 1970, et enfin celle de Philippe Jaworski publiée en 2006. Le jury que composaient les trois expert·e·s devait élire la meilleure traduction en décortiquant dans chaque extrait les mots, les phrases et le sens apporté et dévoilé par la lecture à voix haute expressive du comédien. Au fil des versions, le jury a pu relever la singularité de chaque traduction, une expressivité plus ou moins marquée, ainsi que les effets de la posture énonciative. Afin de plonger l’audience dans l’atmosphère de Moby Dick, Francesco Biamonte a ouvert la rencontre en proposant l’écoute d’un chant de baleinier interprété par le marin Stan Hugill datant de 1924. Il a ensuite expliqué le principe de cet exercice particulier de comparaison auquel les invité·e·s allaient se prêter et présenté les intervenant·e·s qui ont à leur tour décrit leur sensibilité vis-à-vis de l’ouvrage de Herman Melville. Puis, l’animateur a contextualisé l’œuvre en précisant que dans ce roman, «le monde de la chasse à la baleine est décrit de manière tellement concrète et, en même temps, tout y est métaphore».

«La cible, c’est le cœur des gens»

Grâce à ces deux jours d’évènements, les organisateur·ice·s et participant·e·s ont eu l’opportunité de faire des rencontres mémorables dans une ambiance bienveillante de partage. La conférence «En filature : les nuances de Moby Dick» en est la démonstration parfaite. Mêlant l’aspect technique de la traduction et le partage de connaissances et d’expériences selon les ressentis et vécus littéraires de chacun·e, cet exercice particulier d’analyse a su notamment résonner dans l’esprit des étudiant·e·s présent·e·s vis-à-vis de leur parcours universitaire. L’une de ces rencontres est celle avec l’animateur de la conférence sur Moby Dick, Francesco Biamonte, qui, durant une discussion informelle et agréable, a apporté quelques éléments fascinants à propos de ce classique de la littérature américaine et de sa propre expérience en tant que traducteur. Il a relevé, entre autres, que comme tout classique de la littérature, Moby Dick traverse les époques et vogue d’une génération à une autre en transportant des images qui perdurent et qui fondent des mythes. En effet, il expliquait que le roman «fait culture» et que les classiques tels que Moby Dick sont des «histoires qui transportent des archétypes». C’est ainsi que le mythe du «capitaine fou qui poursuit une baleine blanche», selon ses mots, s’est ancré dans l’esprit du grand public. Enfin, comme chaque pratique est certes passionnante mais aussi complexe, l’un des plus grands défis de la traduction selon Biamonte est de «toucher», car «la cible, c’est le cœur des gens». Ainsi, ces deux jours d’évènements, à l’image des mots de Biamonte, ont créé des moments qui résonnent encore dans le cœur des participant·e·s.

Sibylle Cuenat

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