Attention, ça gr(en)ouille!

ECOLOGIE – Les crapauds ne se transforment pas toujours en princes charmants; parfois, les voitures leur réservent un destin plus tragique. Ils sont ainsi de moins en moins nombreux à bondir dans nos jardins. La migration printanière des amphibiens, groupe désormais à risque, est une période particulièrement meurtrière.

Chaque printemps, l’arrivée des beaux jours incite les amphibiens (grenouilles, crapauds, tritons et salamandres) à migrer vers leurs sites de reproduction. Ils sont nombreux à traverser des routes qui bloquent inévitablement leur chemin et la circulation automobile met leur vie en danger. Le Centre de Coordination pour la Protection des Amphibiens et des Reptiles de Suisse (karch) met en place plusieurs initiatives pour leur protection. L’auditoire s’est rendu à la rencontre de Dr. Jérôme Pellet, biologiste spécialiste des batraciens et correspondant du karch pour le canton de Vaud. Il est également chargé de cours à l’Unil et fondateur de n+p, une entreprise offrant des conseils afin de promouvoir la biodiversité suisse.

La grande traversée

La date de la migration peut être estimée à l’avance par les herpétologues. «C’est la conjonction de température et d’humidité qui fait qu’ils vont migrer», explique Jérôme Pellet. Un équilibre fragile également influencé par les conditions météorologiques telles que la pluie. En moyenne, sur le Plateau suisse, le déplacement entre la forêt et l’étang se fait entre la mi-février et la mi-mars. La moindre variation d’humidité affectant les amphibiens, une sécheresse peut empêcher les populations de se rendre à leurs sites de ponte. Ainsi, la RTS indique dans un article paru en 2023 que les trois quarts des espèces de batraciens suisses sont menacés par l’assèchement de leurs habitats naturels à cause de la crise climatique. Les amphibiens passent l’hiver en forêt, où la canopée des arbres leur procure une bonne couverture. La période de reproduction arrivée, ils se déplacent vers un milieu aquatique (étang ou mare), afin de pondre les larves qui deviendront des têtards. Les particularités de la migration printanière, ou prénuptiale, font qu’elle est de plus en plus prédictible, et donc plus évitable: «La migration à l’aller est explosive et se fait en quelques jours, alors que la migration retour est beaucoup plus diffuse dans le temps», détaille Jérôme Pellet. Les moments de la journée où se déplacent les amphibiens correspondent également à la mobilité pendulaire humaine: à l’aube et au crépuscule.En Suisse, la migration concerne surtout les grenouilles rousses et les crapauds communs. Alors que les premières sont assez rapides, les crapauds, lents au déplacement, passent de longues minutes sur la route. Plusieurs espèces de tritons sont également de la partie, moins visibles à cause de leur petite taille.

Crapauducs et barrières

Le karch se bat depuis les années 1980 pour protéger les amphibiens, notamment du trafic routier, à des endroits à risque. «Il y a 321 sites qui sont problématiques, juste pour le Canton de Vaud», fait remarquer Jérôme Pellet. Un chiffre qui nous montre l’ampleur du problème, mais également des besoins en termes de bénévoles. Parmi ces 321 sites, c’est-à-dire tronçons de route, une trentaine ont des installations temporaires ou permanentes. Les solutions permanentes, qui fonctionnent le mieux, mais coûtent le plus cher, prennent la forme de crapauducs, ces tunnels sous la route qui permettent aux amphibiens de traverser en toute sécurité. Quelques sites ont également des installations temporaires: des barrières d’interception, qui bloquent les batraciens et les font tomber vers des seaux, qui sont ensuite traversés par des bénévoles. Cette solution permet également d’effectuer un inventaire d’espèces et de population. Selon les chiffres donnés par infofauna, le centre national de données et d’informations sur la faune de Suisse qui s’occupe également de karch, le travail effectué par les bénévoles a permis de sauver plus de cent mille amphibiens en Suisse chaque année. Sur le campus de l’Unil, les batraciens ont déserté les lieux, la majorité des plans d’eau étant à sec. Il est tout de même possible d’apercevoir la grenouille rousse, le crapaud commun et la salamandre tachetée. Afin d’augmenter le nombre de sites de reproduction sur le campus, Jérôme Pellet nous apprend que trois nouveaux plans d’eau seront aménagés en 2024 près de la forêt de Dorigny, où les amphibiens vont passer l’hiver. « ll faut qu’on aménage un étang à proximité de cette forêt, mais pas de l’autre côté de la route», explique-t-il. Aux abords de l’Unil, il serait même possible d’observer le crapaud calamite, le crapaud le plus menacé de Suisse.

Des animaux incompris

Peu de gens sont au courant du danger que vivent les batraciens. Pourtant, «si on regarde les listes rouges, c’est le groupe le plus menacé de Suisse », déplore Jérôme Pellet. En effet, l’Office fédéral de l’environnement suisse (OFEV) indique que quinze espèces d’amphibiens sur les dix-neuf évaluées sont en danger d’extinction ou vulnérables. «On les oublie parce qu’on ne les voit plus», affirme-t-il ensuite. Leur déclin est causé par le trafic, mais aussi la disparition de leurs sites de ponte et la perte de leur habitat. «On les oublie parce qu’on ne les voit plus» Il existe cependant une autre raison, celle de l’imaginaire humain. «Ils véhiculent beaucoup d’images négatives», s’attriste Jérôme Pellet. Visqueux, froids, sales…«Les stéréotypes sur les amphibiens, et surtout les crapauds, sont nombreux et rarement favorables.» Pour le biologiste, la conscientisation de la population passe par l’exposition à la nature. Une sortie en forêt, ça vous dit?

Alice Côté-Gendreau

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