Avril 97, l’Unil se révolte

RECIT · En avril 1997 éclate une grève de trois semaines sur le campus de l’Unil, Un des acteurs de l’époque, Olivier Voirol, aujourd’hui maître d’enseignement et de recherche en SSP, retrace les causes, moments forts et conséquences du soulèvement qu’il a vécus en tant que membre du comité de grève.

Le climat d’avant-grève

Depuis le début des années 1990, les étudiant·e·s percevaient une dégradation de leurs conditions d’étude. Il y avait beaucoup d’activités sur le campus, quelques manifestations avaient eu lieu autour de 1993, lorsque j’ai moi-même commencé mes études, notamment des tentatives de connexions entre étudiant·e·s et apprenti·e·s. Les principales questions qui étaient discutées concernaient le programme de restriction budgétaire annoncé par l’Etat de Vaud et qui touchait près de 10% du budget de l’université.

La première mesure marquante était la hausse des « bons de repas », passés en l’espace d’un an de 4.50.- à 6.50, si je me souviens bien. Il était clair pour nous que nos conditions d’études commençaient à se dégrader et que ce n’était que le début. La suite s’annonçait mal, avec toutes les mesures annoncées par le Conseil d’Etat. Il y avait des problèmes de sureffectif dans les cours et séminaires, et un taux d’encadrement qui baissait d’année en année, particulièrement en SSP (Sciences Sociales et Politiques) et en Lettres, avec des effectifs en croissance, mais aussi dans d’autres facultés. Tout cela était très perceptible pour nous, on en voyait les conséquences immédiates, à la cantine et dans nos études ! Les annonces du Conseil d’état indiquaient qu’on était au tout début, et que ça allait s’empirer dans les années à venir.

Au début, peu d’étudiant·e·s étaient sensibles à ces questions. Mais la prise de conscience ne s’est pas fait tarder. Il y avait comme une évidence pratique. Fin 1993, se sont déroulés des « Etats généraux de la formation », une journée entière de réflexion sur le devenir de la formation universitaire et les réformes annoncées – qu’on n’appelait pas encore « néolibérales », mais qui en avaient tous les traits. C’était clair que tout ça allait nous tomber dessus. 

Source: archives de 1997 de L’auditoire

Une série d’actions ont alors été tentées pour inverser la tendance, notamment au niveau du taux d’encadrement: des pétitions au niveau politique en suivant les canaux classiques, du côté de la FAE (Fédération des Associations d’Etudiant·e·s), de l’AESSP (Association des étudiant·e·s en sciences sociales politiques) ou d’autres. Plusieurs manifestations ont eu lieu, encore petites par rapport à ce qui a suivi, mais qui regroupaient quand même 500 à 600 étudiant·e·s. C’était une réaction à la pression induite par le fait que nous allions au-devant d’une logique de coupes budgétaires dans le service public et donc aussi le secteur de la formation. Tout cela se cristallisait autour du plan « Orchidée II » décidé par l’Etat de Vaud, dont l’objectif était de réaliser d’importantes économies dans le secteur public.

Le contexte social et politique

La grève est née de ce sentiment, qui était partagé par beaucoup d’étudiant·e·s, même si nous n’étions qu’une poignée au départ. Un comité de liaison contre Orchidée à l’Université (CLOU) s’était mis sur pieds, en lien avec les syndicats et les mobilisations du service public. Les réunions hebdomadaires, durant la pause de midi, regroupaient une trentaine de personnes. Il y avait plusieurs groupes, plusieurs tendances et manières de voir les choses. Ça discutait beaucoup et nous n’étions pas forcément d’accord. Mais pour nous tous, le programme « Orchidée » incarnait tout ce que nous ne voulions pas, l’esprit de ce qu’on a appelé plus tard le « néolibéralisme » : les coupes dans le service public au nom des « caisses vides » et de « l’esprit d’entreprise », arguments que nous avions appris à torpiller.

Source: archives de 1997 de L’auditoire

Un campus actif 

Le mouvement sur le campus était donc connecté à ce qu’il se passait en dehors de l’université et surtout dans la fonction publique. Mais pas seulement. Le campus était très animé au milieu des années 1990. Plusieurs groupes organisaient régulièrement des débats ou conférences, qui étaient très suivis. Il y avait un collectif féministe, les Bad girls go everywhere, qui portait la question genre et critiquait le sexisme à l’université. Le Groupe regards critiques portait quant à lui un discours critique sur la question sociale et la politique universitaire. Dans le sillage de la grève apparurent d’autres groupes, comme les Insurgées ou encore des groupes de solidarité avec l’Amérique latine. Des journaux ou revues sont nés dès 1995, comme Flagrant délit. A l’Anthropole, il y avait surtout la CAP (Cafétéria Autogérée Provisoire), qui organisait quotidiennement des repas avec des associations. C’était un lieu central de rencontres, de discussions et de débats politiques. La CAP a joué un rôle absolument décisif dans tout le mouvement étudiant ainsi que dans la logistique de la grève.

Un nouvel horizon politique

Et puis, il y avait tout le contexte de l’époque. Nous sortions à peine de la séquence « chute du Mur » (de Berlin), de la guerre froide, tout cela semblait signifier une ère de paix retrouvée, en étant présentée par certains idéologues conservateurs comme la « fin de l’histoire ». Or, au même moment, se déployait à droite une attaque sans précédent contre l’Etat social et les appels au détricotage du service public étaient légion.

Fin 1995, les grandes mobilisations du secteur public en France furent un catalyseur. Le sociologue Pierre Bourdieu sortait en prononçant un discours devant les cheminots en grève de la Gare de Lyon. Il y parlait de « rupture de civilisation » incarnée par le « néolibéralisme » et appelait à combattre ce dernier. C’était très stimulant et donnait du sens à nos impressions. Mais Bourdieu était loin d’être le seul à s’exprimer de la sorte. Cela mettait des mots sur ce que nous percevions assez vaguement comme une vraie régression. Et puis émergeaient aussi, çà et là, de nouveaux mouvements sociaux et politiques, portant des formes politiques inédites, comme par exemple le zapatisme au Mexique dès 1994, l’Action mondiale des peuples à Genève, Reclaim the streets, plus tard Attac, etc.

Source: archives de 1997 de L’auditoire

On avait l’impression assez étrange d’entrer, d’un côté, dans une nouvelle ère, cette prétendue « fin de l’histoire », alors que, de l’autre, le capitalisme continuait à engendrer ses inégalités et ses injustices. L’énorme programme de restructurations et de détricotage de l’état social et du service public, articulé à un nouvel imaginaire politique émergeant produisait comme un clash dont l’expression ne pouvait être que de nouvelles révoltes sociales et de nouveaux conflits politiques. 

Les éléments déclencheurs

A ce moment, toutefois, l’idée d’une grève sur le campus paraissait assez saugrenue. Les grands mouvements ne sont devenus une habitude que plus tard. Cependant, autour de 1995, tout avait déjà été tenté pour faire valoir la cause étudiante, notamment du côté de la FAE où une certaine impatience se faisait sentir. Au sein du mouvement, certain·e·s voulaient passer à des modes d’action plus décidés. D’autres préféraient continuer sur les mêmes modalités (faire des rapports, signer des pétitions, interpeller les autorités, etc.), mais leurs arguments ne portaient plus.

En novembre 1995, la grande manifestation du service public a joué un rôle décisif. Il y a eu une grosse mobilisation sur le campus, les bâtiments étaient recouverts de banderoles aux slogans percutants et drôles. Le matin, une action coup de poing des étudiant·e·s avait bloqué la ligne de métro (M1) à l’aide de barricades, tout était perturbé. Nous sommes beaucoup intervenu·e·s dans les cours pour parler des revendications et inciter les étudiant·e·s à rejoindre la manifestation. 

Source: archives de 1997 de L’auditoire

Cela a très bien pris en Lettres et en SSP, un peu moins dans les autres facultés, et à l’Internef où parfois les feuilles volaient dans les auditoires occupés. Une manif de plusieurs centaines de personnes a ainsi serpenté le campus d’un bâtiment à l’autre, en s’allongeant sans cesse. On s’est ensuite rendus au bas de l’Anthropole (qui s’appelait « BFSH II » à l’époque, le « B2 » disions-nous) et c’était bourré de monde. Une assemblée s’est tenue dans un 1031 bondé avant de monter en ville pour participer à la grande manif de la fonction publique, qui rassemble plus de 15’000 personnes. Un vrai succès.  Ce fut un moment galvaniseur. La mobilisation avait pris sur le campus, pour durer, et un mouvement se développait dans tout le canton. 

Un sleep-in à Anthropole…

Un autre événement important ayant préparé la grève est le sleep-in en janvier 1996, une occupation de l’Anthropole pendant trois jours, en y dormant, pour marquer notre opposition aux politiques en cours. Ce qui nous a permis de prendre nos marques dans le bâtiment et d’apprendre à organiser toute une logistique qui allait se révéler décisive par la suite. Durant ces trois jours de résistance, de discussions intenses, de « contre-séminaires », mais aussi de fête, nous discutions de l’université qu’on ne voulait pas et de celle que nous voulions !

Source: archives de 1997 de L’auditoire

Tout cela nous a mis en confiance et montré que nous étions capables d’habiter le bâtiment en le gérant par nous-mêmes. D’y vivre et pas seulement d’y étudier. On a vu que la CAP (Cafétéria Autogérée Provisoire) permettait d’assurer des repas pour beaucoup de monde et d’être une sorte de plaque-tournante d’activités multiples. Sur le moment, nous n’en étions pas pleinement conscients, mais ça a été décisif pour préparer la grève. On se rendait compte de tout ce qu’on pouvait faire collectivement et nous étions devenus maîtres dans l’appropriation des bâtiments du campus, qui étaient vraiment devenus les nôtres.

Pour une « autre université »

Un des points centraux de nos revendications était le retrait de la LUL, la nouvelle loi sur l’université, qui faisait reculer nos droits et signait l’entrée de l’université dans une gestion « néolibérale ». Nous étions opposé·e·s à une gestion axée sur un contrat de prestations entre l’Unil et l’Etat de Vaud, nous demandions l’arrêt immédiat des plans d’austérité visant l’Unil et le secteur public, et parapublic. Nous demandions à ce que le gouvernement s’engage à créer de nouveaux postes pour revenir au taux d’encadrement antérieur aux mesures d’économie – dont, on l’a dit, les effets sur nos conditions d’études étaient perceptibles. Nous demandions en outre le développement du pluralisme des savoirs, ce qui passait notamment à nos yeux par la création de chaires d’enseignement d’économie alternative et d’études féministes. En bref, nous ne nous opposions pas seulement au programme d’économies, nous questionnions aussi l’université dans son fonctionnement, ses contenus, avec une forte attente et exigence de ce qu’elle pourrait – et devrait – être à nos yeux ! Une « autre université » était possible !

Source: archives de 1997 de L’auditoire

L’entrée en grève

Les gens ont fini par être de plus en plus remontés, et prêts à passer à des modes d’actions plus radicaux. La question de la grève était donc posée, mais elle apparaissait comme le dernier recours. Nous discutions de plusieurs variantes pour débloquer la situation et faire avancer le mouvement. On voyait peu de perspectives et la fonction publique bougeait beaucoup, ça parlait de plus en plus de grève.

Début avril 1997, le vendredi 9 plus exactement, une AG s’est tenue dans un 1129 presque-plein. La question est très discutée, et disputée. Si bien que nous décidons de voter. Il a fallu compter les voix par deux fois tellement c’était serré ! Et tout à coups c’était clair : une majorité était pour la grève ! On s’est alors regardé les uns les autres : « On l’a vraiment fait? On a voté la grève? Ouais, c’est ça ! Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait? ». On l’avait votée pour lundi matin, on était vendredi. Sur le moment, nous étions un peu dépassés par notre propre décision collective ! Mais nous nous vite organisés et ce fut un boulot intense tout le week-end. C’était comme une étincelle, les gens se sont réveillés d’un coup. Le lundi matin, il y avait des piquets de grève aux principales entrées du campus. L’Anthropole était quasi bloquée. On a rédigé et sorti des tracts présentant nos revendications et c’est là que le mouvement a pris tout à coup une tout autre ampleur. 

Source: archives de 1997 de L’auditoire

A ce moment, l’Anthropole et le bâtiment des sciences étaient recouverts en permanence de grandes banderoles sprayées de slogans percutants, drôles, parfois très travaillés. On a constitué différents sous-groupes, dont un « groupe action », un comité de grève composé de cinq à sept personnes, dont je faisais partie. Il préparait les assemblées générales quotidiennes, aidait à structurer les discussions, synthétisait des options ou des scénarios, assurait le suivi des problématiques. 

Le comité d’action a inventé des formes d’action très originales et qui ont très vite permis de rendre visible le mouvement en ville, où l’on sortait en manif quotidiennement. La journée, il y avait des discussions un peu partout sur le campus, sur des thèmes comme « une uni non sexiste », l’accès à la formation, « une autre uni », la destruction du service public, l’économie alternative, l’enseignement critique, etc. La discussion était permanente, c’était un peu un « séminaire autogéré » sans fin. L’après-midi se tenait l’assemblée générale suivie d’une manif  ou d’« actions symboliques » au centre-ville. Le matin, nous étions très tôt déjà sur les piquets aux différents postes sur le campus, pour empêcher les étudiant·e·s d’aller en cours et les convaincre à participer au mouvement.

Au début, c’était compliqué, certains étudiant·e·s passaient à travers les barrières. D’autres n’étaient pas d’accord et voulaient se rendre dans les amphis sans se soucier des questions posées par la grève. Parfois ça chauffait au peu. Il fallait convaincre, argumenter et s’organiser. On a fait un monstre boulot d’information. Il y avait aussi la nécessité d’organiser la logistique: permettre aux gens de se nourrir et de dormir sur place pour assurer l’occupation du lieu. C’étaient des journées qui commençaient à 6h du matin et se terminaient tard dans la nuit, souvent autour d’une bière à la CAP. Au comité de grève, nous nous voyions parfois vers 6h le matin, en particulier lorsqu’il fallait organiser le contact avec les médias, pour préparer nos interventions en public. Pour ma part, durant ces trois semaines, j’ai dormi max. 3 heures par nuit, et j’ai terminé cette période de grève complètement exténué !

Source: archives de 1997 de L’auditoire

Pour beaucoup, la grève fut un immense moment de discussion, de débats, mais aussi de conflits et de disputes politiques entre différentes propositions et modes d’action. Mais ce fut aussi un immense moment d’échanges, de créativité et d’imagination politiques. Ce fut aussi un moment « poétique », peuplé d’ateliers-slogans, de confections de banderoles, d’inventions de chants, de slogans, mais aussi de musique, de concerts, de réappropriation des bâtiments et de toute sorte de choses par cet « esprit de grève ». Certains soir, la fête dura la nuit entière à l’Anthropole. A coup sûr, certain·e·s personnes ont vécu la grève autant comme un moment politique que comme une sorte d’explosion festive jour et nuit.

Chaque jour, on décidait si on reconduisait la grève ou non, par un vote en AG. Ce n’était pas toujours très clair, sans cesse rediscuté, quotidiennement. Les enjeux étaient importants : il fallait parvenir à faire avancer nos revendications, gérer les étudiant·e·s soucieux·euses de reprendre les cours et inquiet·ète·s pour les examens. Bref, c’était une démocratie à l’état brut, rejouée au jour le jour, avec son côté explosif et très créatif, mais aussi ses tensions et ses prises de décisions disputées. Et puis, quelques étudiant·e·s politisés à droite, en HEC et Droit, avaient constitué un comité antigrève qui intervenait assez régulièrement en AG ou ailleurs pour saper le mouvement en exigeant l’arrêt immédiat de la grève. Ça ne nous facilitait pas la tâche. 

Source: archives de 1997 de L’auditoire

Notre objectif était d’entrer en négociation avec le Conseil d’Etat sur la base de notre plateforme de revendications : l’abandon de la LUL, le retour à un taux d’encadrement d’avant les coupes budgétaires, l’abandon de la logique « néolibérale », etc. C’était aussi la défende de l’idée d’une université ouverte d’accès, critique dans ses contenus, participative dans son fonctionnement, et pleinement démocratique. Nous demandions également la création d’une chaire d’études genre et une chaire d’économie alternative, représentant un point de vue critique en économie. Il faut dire qu’en HEC à l’époque, certains profs très médiatisés appuyaient fortement les mesures d’économie – alors qu’ils étaient eux-mêmes financés par le service public ! Il n’y avait aucune place pour un autre discours en sciences économiques. Nous attendions mieux de l’institution que nous défendions. 

En trois semaines de grève, nous avons tout fait pour obtenir des négociations avec le Conseil d’Etat. Très vite, cependant, ce dernier a temporisé. La première semaine, on n’a eu aucune réponse, pas de tentative d’écoute, les autorités ont fait mine de ne rien voir ni entendre. Mais dès la deuxième semaine de grève, le mouvement s’est radicalisé. Toutes les salles ont été condamnées, chaises et tables sorties et entassées en barricades. Bref, l’uni était désormais bloquée, en tous cas dans l’Anthropole et le bâtiment des sciences. Ce n’était plus possible de dispenser et suivre des cours. Les portes étaient condamnées par un système ingénieux, même les techniciens n’y accédaient plus. 

Et puis, dès ce moment, les médias qui avaient jusque-là boudé le mouvement ont commencé à s’y intéresser. Il y avait tout à coup des journalistes partout dans le bâtiment. Ce n’était pas évident à gérer, mais cette « visibilité » nouvelle décuplait notre énergie et notre volonté d’obtenir ce que nous exigions.

Source: archives de 1997 de L’auditoire

La phase des « négoscussions »

A moment donné, nous avons fait une manifestation en ville qui a abouti devant le bâtiment du département de l’enseignement, à deux pas du Château. Tout le monde criait: « Négociations! Négociations! ». Soudain, une personne sortit du bâtiment et tout le monde s’y engouffra. En quelques minutes, il y avait des étudiant·e·s partout dans le bâtiment. Deux conseillers d’état s’y trouvaient encore et ont tenté de s’enfuir par une porte arrière. Ils furent vite rattrapés et encerclés. C’est ainsi que Jean-Jacques Schwaab, le Conseiller d’Etat responsable du département de l’éducation, entouré de plus de deux-cents manifestants criant « négociations ! », s’est engagé à venir sur le campus pour discuter d’un calendrier de négociations. 

Source: archives de 1997 de L'auditoire
Source: archives de 1997 de L’auditoire

Lorsqu’il arrive sur le campus, le grand auditoire 1031 est bondé. Il y a des gens jusque tout en haut dans la cafétéria. C’était clair : nous voulions entrer en négociation, il n’était pas question de « discutailler » avec un conseiller sans mandat politique du gouvernement. Nous ne voulions pas de « négoscussions » comme nous disions. Il fallait donc s’assurer que ce conseiller d’Etat avait bel et bien un mandat et qu’il n’était pas là seulement pour nous « écouter ».

Face à un bon millier d’étudiant·e·s, ce dernier commença à dire qu’il avait connaissance de nos revendications et qu’il entendait nos protestations. Vincent Bourquin, du comité de grève et de la FAE, lance alors : «Etes-vous prêt à entrer en négociations, avez-vous mandat du Conseil d’Etat? ». Il ne répond pas, on insiste. «Monsieur Schwaab, répondez, êtes-vous prêt à négocier avec le mouvement, oui ou non?». Après un silence hésitant, un « non » timide sort de sa bouche. 

Source: archives de 1997 de L’auditoire

A ce moment, tout le monde se lève et quitte la salle. Laissant le conseiller d’Etat  seul sur sa chaise, bouche-bée, littéralement ahuri. Les gens sont ensuite partis en manif, 1’500 personnes en colère, remontant à pied depuis le campus jusqu’au centre-ville, où tout est resté bloqué toute la soirée. C’était un moment très fort. Mais nous savions aussi que ça serait très compliqué désormais. Que le gouvernement refusait toute entrée en matière et que nous n’avions pas d’interlocuteur pour fixer un cadre politique de négociations.

Que faire dans une telle situation ? Renoncer ou radicaliser le mouvement, c’était l’alternative. Il n’y avait pas d’autre d’issue politique, on en cherchait une comme « faire une pause » et repartir, mais ce n’était pas très crédible. Et puis, radicaliser, le mouvement ? Nous avions déjà atteint degré assez élevé pour le canton de Vaud. Et nous commencions à nous épuiser, les examens approchaient et l’inquiétude étudiante était de plus en plus difficile à gérer.

La seule solution qu’on a trouvée a été de faire une pause et repartir plus fort à la rentrée. Mais nous avions  atteint une sorte de paroxysme durant ces trois semaines, et nous n’avons jamais réussi à recréer une telle dynamique, une telle intensité par la suite. Mais nous avions déjà fait quelque chose d’incroyable.

Propos recueillis par Killian Rigaux