Dans l’ombre de Matilda

Article par: CLEA CORTOLEZZIS

SOCIOLOGIE • Retour sur l’Effet Matilda, concept sociologique analysant la tendance masculine à minimiser la contribution des femmes dans la recherche scientifique, point de départ d’une étude sociologique menée au coeur de l’Université de Lausanne.

D’après une étude sociologique menée en 2008 au sein de la faculté de SSP de l’Université de Lausanne, sur une période s’étendant de 1990 à 2005, les femmes auraient plus de chances de faire carrière au sein d’une faculté dite de sciences humaines qu’au sein de celle de médecine, ou encore de biologie. Les données sont sans équivoque : en comparaison, ces deux dernières facultés comptent le moins de femmes occupant des postes importants. Quels sont les éléments expliquant ce phénomène systématiquement répété ?

Des structures sociales à l’université
Farinaz Fassa, Sabine Kradolfer et Sophie Paroz, qui ont mené à bien cette étude, affirment qu’un tel phénomène s’explique par le simple fait que les débouchés professionnels du cursus de médecine sont, la plupart du temps, des postes à plus grandes responsabilités que celles permises par un cursus, par exemple, de SSP. En effet, il semblerait qu’aujourd’hui encore, ce genre de poste soit plus facilement attribué à des hommes. Donc, bien que le milieu académique soit censé fonctionner en tant que système méritocratique (c’est ainsi qu’il se définit), les chercheuses relèvent que le mérite s’accorde encore et toujours avec les facteurs structurels externes à l’institution tels que le genre, l’origine sociale ou encore l’appartenance géographique des individus.

Point de départ : l’effet Matilda
Cette étude prend pour point de départ « l’effet Matilda », concept sociologique qui analyse la tendance des hommes à minimiser la contribution des femmes, voir même à s’attribuer leurs inventions dans le cadre de la recherche scientifique. Ce phénomène, observé pour la première fois en 1993 par Margaret W. Rossiter, a provoqué l’effacement, du moins au sein de la mémoire collective, de nombreuses femmes scientifiques.

Dans l’ombre du génie
Tout le monde connaît Albert Einstein, mais qui a déjà entendu parler de sa femme, Mileva, qui a contribué à la plupart des découvertes scientifiques attribuées uniquement à son mari ? Plus flagrant encore, le cas de Lise Meitner. Cette dernière découvre, en collaboration avec ses collègues masculins Otto Hahn et Fritz Strassman, le principe de fission nucléaire (ce qui permettra de créer la bombe atomique). Pourtant, lorsque qu’en 1944, le prix Nobel de Chimie est attribué à cette invention, seuls les deux hommes se sont vus couronnés du prestigieux mérite.

Tout le monde connaît Albert Einstein, mais qui connaît sa femme, Mileva?

Il est sans doute éclairant de considérer un tel héritage lors de l’analyse de l’état actuel de la présence des femmes au coeur du monde scientifique. Selon les trois chercheuses de l’UNIL, la plus grande cause de discrimination découlerait d’une vision des femmes les ramenant encore à la sphère familiale. Alors perçues comme des mères potentielles, leur engagement professionnel est considéré comme complémentaire à un engagement privé.

L’idéal-type
De plus, les analyses menées par l’étude révèlent qu’un idéal-type de ce que devrait être un·e professeur·e d’université influence le tri des dossiers de candidatures. Cet idéal-type est un être considéré comme ayant l’opportunité de mettre toute son énergie et tout son temps dans sa profession, il est donc forcément de sexe masculin.

Les chercheuses relèvent que le mérite s’accorde encore avec les facteurs structurels tels que le genre ou l’origine sociale

Aussi caricatural que ce raisonnement puisse paraître, c’est apparemment toujours sous l’influence de cet imaginaire que sont sélectionné·e·s les futur·e·s professeur·e·s au sein des universités.

S’instruire pour mieux changer
Mais alors, comment faire évoluer la situation ? Fassa, Kradolfer et Paroz proposent quelques pistes de réflexion en appelant principalement à remettre en question le schéma classique de la carrière ainsi qu’il est, de nos jours encore, ancré dans les mentalités. Comme première étape, il est possible de se rendre à l’exposition Femmes de sciences, présentée en plein air sur le campus jusqu’au 27 octobre, où sont exposés des portraits de femmes scientifiques.

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