L’attrait du cloisonnement

LITTÉRATURE • Sujet à véritable résonnance actuelle, le confinement a souvent inspiré dramaturges et écrivains. Si, contrairement au théâtre, la littérature ne s’est pas munie de véritables règles,  nombreux sont ceux à s’être frottés à une telle expérimentation.

«À quoi bon bouger, quand on peut voyager si magnifiquement sur une chaise ?» Par cette simple phrase tirée de son roman À rebours, Joris-Karl Huysmans, écrivain français et critique d’art de la fin du XIXe, résume peut-être ce à quoi nombre de personnes concluent après plusieurs semaines passées dans un état de liberté de mouvement considérablement restreint, dû à une crise sanitaire mondiale maintenant bien connue sous le nom de «COVID-19». Il faut dire qu’en une telle période, les distractions restreignent leur champ de possibilité et bien souvent, la seule évasion de la réalité encore possible se fait par la lecture. L’on peut alors se glisser dans la peau d’un mousquetaire de chez Dumas, suivre les facéties de Gavroche du côté de chez Victor Hugo, ou encore maudire les ambitions du vicomte de Valmont de Choderlos de Laclos, tout cela sans quitter physiquement un seul instant le monde réel. Ce qui n’est pas forcément visible à la première lecture, surtout focalisée sur l’intrigue, c’est que bien souvent, nombreux sont les auteurs qui mettent un point d’honneur à attacher leur trame autour d’un lieu, clos ou non, bien précis et indissociable.

Un cloisonnement bien réglementé

Au théâtre du XVIIe siècle, parfois appelé « théâtre classique », une règle d’or a vu le jour, s’inspirant du théâtre antique: il s’agit de la règle d’unité. In concreto, cela signifie que dans toute nouvelle pièce de théâtre devra être consacrée une unité de lieu, de temps et d’action pour toute la durée de la pièce, ceci afin d’éviter d’ennuyer les spectateurs de détails futiles et de les perdre avec quantités de lieux et de dates qui, au final, n’ont pas grand rapport avec la trame. La pièce de théâtre s’en retrouve pour ainsi dire d’une certaine manière cloisonnée dans un espace limité. Ces règles ne sont pas le fruit du hasard: elles interviennent au XVIIe siècle, suite à une montée en puissance d’un besoin de vraisemblance, qui témoigne d’une maîtrise de la raison.  Les classiques s’inspirèrent d’Aristote, qui dans sa Poétique avait créé une sorte de doctrine des arts poétiques. Le théâtre antique voit un renouveau via la tragédie. Peu après, en 1637, suit l’épisode historique baptisé «la querelle du Cid», où Corneille est accusé d’avoir délibérément fait fi des conventions en vigueurs. Parmi les chefs d’accusation fomulés par M.Charpelain, l’œuvre contient notamment plusieurs distorsions temporelles, où certaines actions se déroulent extrêmement vite, d’autres, peut-être mineures, sont détaillées plus longuement.

Et dans la littérature ?

Moult œuvres mériteraient d’être abordées ici sous l’angle du cloisonnement: pourtant, deux sont retenues comme illustres exemples du phénomène. Jean-Paul Sartre, en écrivant Huis clos en 1944, choisit comme seul décor pour Inès, Estelle et Garcin un salon «style Louis XVI». Ces trois personnes, que tout oppose, se retrouvent condamnées à vivre en enfer dans cette pièce sans miroirs, où seul le reflet de l’un dans les yeux d’un autre est possible. D’une autre manière, Joris-Karl Huysmans expérimente lui aussi le confinement. Le héros de son roman À rebours, des Esseintes, s’enferme dans une maison de Fontenay avec pour seule compagnie deux domestiques taciturnes, aussi peu présents que possible, et une tortue, qu’il fait sertir de pierres précieuses, pour faire chatoyer les décorations de la pièce qu’il a si soigneusement choisies… Mais la tortue rend son dernier souffle peu après, écrasée sous le poids du luxe. Elle n’aura pas supporté ce changement radical de nature. Hormis l’épisode de la tortue, l’une des caractéristiques majeures de ce roman est qu’il se distingue par une quasie absence d’actions. En effet, Huysmans se contente de dresser un catalogue des plaisirs et déplaisirs de son personnage principal. Si Sartre et Huysmans ont les deux publié une de leurs œuvres majeures avec comme thème sous-jacent l’enferment, ce ne sont de loin pas les seuls à s’y être intéressés, de près ou de loin. De nombreux auteurs ont réalisé des œuvres si intimement liées à un lieu précis qu’il en est devenu aussi significatif que l’histoire elle-même. Par exemple, imaginerait-on le théâtre des aventures d’Heathcliff et de Catherine, des Hauts de Hurlevent, en bord de mer ? Non, trois fois non: les landes, vastes étendues austères de bruyère, sont aussi indissociables de l’œuvre que par exemple les cyprès et les pins de la Côte d’Azur dans Bonjour Tristesse de Françoise Sagan.

– Marine Fankhauser


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