Cold Bath à Unilive: Interview avec le chanteur Alex Merlin

En feuilletant les pages du numéro 250, vous pouviez découvrir le groupe genevois Cold Bath. À la veille du festival Unilive où il sera présent, L’auditoire vous invite à plonger dans l’intimité de son chanteur, Alex Merlin. Rencontre.

Comment t’es-tu lancé dans la musique ? Qu’est-ce qui t’en a donné envie ?

Je suis tombé amoureux de la musique quand j’avais 7 ans, après le divorce de mes parents. Mon beau-père est alors arrivé avec des centaines de disques de rock. Je me souviens encore de la première fois qu’il a mis un CD : c’était une compil de morceaux de rockabilly. Quand j’ai entendu cet album, il s’est vraiment passé un truc. J’ai découvert par la suite qu’il y avait d’autres disques cool et je n’ai plus arrêté d’en écouter. Vers mes 14 ans, mon beau-père m’a proposé qu’on prenne des cours de guitare ensemble mais après 6 mois je lui mettais une telle pâtée qu’il a laissé tomber (rires). Il y avait aussi la possibilité de faire des ateliers facultatifs dans mon école, dont un atelier rock. J’aimais tellement ça que j’ai décidé de monter mon propre groupe avec des potes et on utilisait les salles de musique un midi par semaine. On faisait des reprises des Sex Pistols et des Pixies, et on a même pu donner un concert durant lequel j’étais hyper coincé. Mais à un moment donné j’ai eu un élan de rébellion et j’ai fait un doigt d’honneur au public, ce qui a scandalisé ma prof de musique et ma grand-mère. Ensuite, j’ai fini le cycle et je suis sorti avec la copine de mon guitariste. Mais au bout de trois mois, elle est retournée avec lui et ça a démonté le groupe (rires).

Comment as-tu monté Cold Bath ?

Dans ce premier groupe qui est devenu un peu sérieux avec qui on a vraiment commencé à faire des concerts, il y avait déjà le guitariste actuel de Cold Bath, Jérémy. Une fois, quand on avait 16 ans, on a donné un concert auquel il n’y avait vraiment personne. J’ai marché sur mes câbles donc je n’avais plus de son et Jérémy s’est trop énervé. On s’est pris la tête et on a arrêté le groupe (rires). Après ça j’ai monté un groupe avec d’autres musiciens que je ne connaissais pas mais que j’ai contacté après les avoir vu jouer à gauche à droite et Jérémy nous a rejoint plus tard, lorsqu’on a changé de guitariste. C’est donc comme ça qu’est né le projet. Mais à l’époque, il avait un autre nom : The Old Bones. Seulement il y avait déjà d’autres groupes qui avaient le même nom que nous en Allemagne et on voulait quelque chose d’unique. On a donc finalement choisi Cold Bath car il y avait déjà un de nos premiers morceaux qui s’appelait comme ça et on aimait bien l’idée que ça sonne comme une douche froide. Du coup, on a officiellement changé de nom quand on a sorti le premier single « Mama I wanna live in the woods » pour bien démarrer.

Comment définirais-tu la musique du groupe ?

On est quatre musiciens qui écoutons énormément de musique. En termes de style, on peut donc très bien écrire un morceau pop, comme un morceau hyper hard. C’est ça qui nous plaît : nous challenger et explorer. Mais ça peut aussi nous porter préjudice parce que le public ne sait parfois pas à quel groupe ou à quel style il a affaire. Dans le fond, on est au XXIe siècle et on a déjà toute la musique enregistrée de la terre, donc c’est absurde de ne se revendiquer que d’un style. Quand je veux faire simple, je dis qu’on fait de la « pop destroy putassière ». On a aussi un vrai désir dans Cold Bath, au-delà du style de musique et du son, de proposer des performances scéniques avec des invités, des choses surprenantes et une vraie énergie corporelle.

Comment s’est déroulée la réalisation de votre dernier album Something Left ?

On a beaucoup plus composé ensemble sur cet album. En général, soit j’arrive avec une idée et tout le monde travaille autour, soit on se retrouve au local et on commence à improviser ensemble pour ensuite travailler l’arrangement. La seule chose qui m’appartient à 100%, ce sont les paroles. Les autres ne s’interposent pas du tout dans ce qui concerne le texte et ils sont toujours assez satisfaits. Ils le découvrent d’ailleurs souvent en studio (rires). Je crée donc le message que je souhaite véhiculer, et eux sont là pour le soutenir.

Entre votre premier album, Nomad, et celui-ci, qu’est-ce qui a changé ?

La moitié des membres du groupe a changé, donc c’est déjà une sacrée transformation. En dehors de ça, je pense cet album est une vraie continuité du premier. On a essayé de prendre plus de risques. Nomad, au niveau des textes, partageait surtout des rêveries et des utopies d’adolescents hippies qui rêvaient de grands espaces et de mondes différents. Something Left est plus résigné et a plus les pieds sur terre. Le temps a passé, on a grandi, on doit gagner notre croûte, et on est aussi passés par des moments difficiles. Cet album parle justement beaucoup du fait de vivre avec la tristesse et de l’importance de la considérer comme une étape à travers laquelle tous les êtres humains passent ; il faut savoir l’accepter et l’embrasser. Il y a énormément de choses à tirer de ces périodes de tristesse et, même si on n’arrive pas à en voir la fin sur moment, ça va toujours nous apporter quelque chose. Loin des idéologies plus bouddhistes de bonheur absolu qu’il y avait dans le premier album, dans le deuxième je véhicule plus l’idée que dans la vie il y a des hauts, et il y a des bas, tout est bien et il faut savoir l’accueillir. D’où le titre de l’album : Something Left. Ça montre qu’il y a quelque chose qui est parti et, pour ma part, c’était ma bonne humeur. Je n’arrivais pas à retrouver cet état constamment joyeux qui me caractérisait. Il y a une ambiguïté en anglais avec cette expression: ça signifie que quelque chose est parti, mais ça veut aussi dire qu’il y a quelque chose qui reste: there is something left. J’avais en effet l’impression d’avoir perdu quelque chose, mais j’avais aussi cette nouvelle tristesse, que j’avais à expérimenter et à vivre. C’est aussi cette idée-là que montre la couverture de l’album : l’immeuble est un peu abîmé, c’est le vestige que quelque chose, mais ça tient toujours droit.

Est-ce que tu t’adresses à un public qui grandit avec toi ? Parce que tu abordes des thèmes semblent en effet très liés à ta génération.

Comme le public d’Harry Potter ? (rires) Bien sûr, je m’adresse surtout à un public de mon âge car j’écris sur des choses que je vis et que je découvre, tandis que des personnes plus expérimentées sont déjà passées par là. Donc c’est clair que pour ce qui est des thèmes abordés, c’est très axé jeune adulte en crise existentielle. Mais du fait que j’écrive en anglais, les gens ne sont pas trop rattachés au texte et on a un public très large en termes d’âge. Il y a notamment une jeune fille qui doit avoir environ 11 ans et sa mère qui sont super fans de nous. Elles témoignent de la largesse du public qu’on touche.

Est-ce que tu écris justement en anglais parce que ça te permet en toucher un plus large public ?

Non, au contraire ; je pense malheureusement que l’anglais enlève du caractère au propos. La majeure partie de la musique populaire est en anglais, du fait de la mondialisation et de tout cette espèce de néo-colonialisme américain qui ont fait que c’est devenu LA langue que tout le monde doit parler. Mais si je chante en anglais, c’est surtout par mimétisme de ce que j’ai écouté comme le rock n’roll, qui est essentiellement une culture anglo-saxonne et américaine. Mais dans cet album il y a deux phrases en français ! C’est une transition que je suis en train de faire car j’ai vraiment envie de chanter dans cette langue, mais je suis beaucoup plus pudique qu’en anglais. Je pense quand même que maintenant je me suis pleinement dirigé vers le français, mais ça prend du temps avant que ça sorte. Il y a une vague de nouvelles choses qui se préparent et j’aimerais d’ailleurs bien que le prochain album de Cold Bath soit en tout cas à moitié en français.

© Léo Lacan

Votre dernier single « Everything Everything » véhicule, tant au niveau du clip que des paroles, un message fort quant à la construction identitaire. Peux-tu nous en parler un peu plus en détail ?

Entre mes 20 et 23 ans, même si ça paraît peu de temps, le monde a énormément changé, notamment en ce qui concerne la place de la femme, mais aussi celle de l’homme. Devant ces changements motivés par le féminisme et les communauté LGBTQ+, je me suis retrouvé face à moi-même à me poser plein de questions : « Qu’est-ce que je suis ? Pourquoi ai-je telle ou telle attitude ? Pourquoi suis-je comme ça et qui me l’a inculqué ? » Je me suis rendu compte que c’est en fait un immense système oppressant et injuste dans lequel j’étais à la fois énormément privilégié, mais aussi coincé. J’ai pas mal lu sur ce sujet, notamment King Kong Théorie de Virginie Despentes, qui est un témoignage extrêmement fort. Il y a un passage qui m’a frappé, lorsqu’elle demande quand les hommes vont finir par se rebeller contre eux-mêmes et ce qui est imposé. Je me suis pris cette réalité en face et j’ai commencé à cultiver ma féminité parce que je trouve cela nécessaire. Il y a certaines valeurs vraiment importantes qu’on associe aux femmes, comme la bienveillance, l’empathie, ou la sensibilité, et qu’on ne pousse pas du tout à développer chez les garçons. Du coup, je me suis retrouvé à mettre du vernis à ongles, des paillettes et à être plus maniéré. C’était une évolution évidente et maintenant je me sens mieux dans quelque chose qui me correspond bien plus : pas juste être un garçon qui répond à des codes. Suite à cela, je me suis retrouvé face à des insultes en soirée ou dans la rue, et à des catégorisations hyper rapides sur ma sexualité. Tout ça pour finalement en arriver à la déconstruction totale de ce besoin d’être dans des cases. La binarité de genre, ça n’existe pas : il y a plein de gens qui ne sont ni l’un ni l’autre et qui méritent leur place dans la société mais qu’on ne peut pas définir. C’est très personnel, mais je transmets tous mes parcours de vie dans la musique à un moment donné. C’est donc pour cela que dans le clip de « Everything Everything », je suis travesti et que je parle de ces choses-là et des insultes que j’ai reçues pour des bêtises.

Comment perçois-tu la scène musicale en Suisse ? As-tu l’impression qu’elle est favorable à l’essor de jeunes musiciens comme vous ?

Je la perçois comme étant incroyablement fertile et indépendante du fait du manque de structures et d’institutions qui la soutiennent. Du coup, les artistes en Suisse n’ont pas d’autres choix que de faire les choses par eux-mêmes et comme ils le veulent. Dans d’autres pays, un artiste sera chapeauté par un producteur et une maison de disques pour le pousser, mais nous n’avons pas ce type de structure ici. Les artistes sont donc pleinement indépendants, ce qui laisse place à une scène hyper foisonnante, libre, et très créative. Je trouve cela incroyable et la plupart des artistes qui m’inspirent sont suisses.

Quels seraient tes conseils pour des jeunes qui souhaiteraient se lancer dans la musique ?

Il faut écouter beaucoup, beaucoup de musique, et de tout. J’invite vraiment les jeunes musiciens et toutes les personnes motivées à s’ouvrir l’esprit et à écouter de la musique de tous styles parce ce que chaque style est une culture en soi avec un historique et c’est fascinant. Je pense que plus quelqu’un aiguise sa curiosité au fil de son voyage musical, plus ce dernier sera riche. Il faut sortir de sa zone de confort : aller jouer avec des jazzmen, se frotter à l’univers hip hop, se frotter au rock, au métal, etc. Il y a dans toutes ces cultures des choses fascinantes à découvrir qui vont nourrir l’imagination, l’inspiration et la vie.

Le 2 mai prochain, nous pourrons vous retrouver sur la scène du festival Unilive. Tu y es déjà venu il y a quelques années. En quoi est-ce particulier de jouer dans un festival universitaire ?

Je me réjouis de jouer car les festivals universitaires, c’est toujours super et il y a toujours beaucoup de monde. On y est très bien accueillis. J’ai déjà eu l’occasion de passer par Unilive avec un de mes groupes et je me souviens qu’il pleuvait mais le public était quand même très enthousiaste et on avait foutu un beau bordel. C’est toujours un plaisir d’être invité et d’y participer. Qui plus est, la foule est attentive et énergique.

Quels seront les projets de Cold Bath après cet évènement ?

Suite à la sortie de l’album, on a pas mal de dates de concert prévues et on va jouer un maximum. J’ai pour projet d’emmener le groupe faire une résidence dans un lieu reculé. J’aimerais bien trouver une maison cet été en montagne ou quelque part assez loin pour qu’on puisse y passer quelques jours et composer le troisième album. On aimerait proposer un tournant assez considérable à l’esthétique du groupe en termes de musique : ajouter beaucoup de français, se surprendre, aller plus loin et prendre des risques.

Si tu visualises le groupe dans cinq ans, où aimerais-tu qu’il soit ?

J’aimerais que chacun des musiciens qui le composent soit là où il avait envie d’être et d’arriver : accomplis et en phase avec les chemins de vie qu’ils auront choisi. Peut-être toujours avec le groupe, peut-être au sein d’autres formations. Mais si Cold Bath venait à continuer, j’espère que le projet ira le plus loin possible et qu’on aura continué à se renouveler en termes de performances live, et de musique, et de textes afin de développer et d’offrir un propos artistique encore plus évolué, plus mature et plus important que celui qu’on propose actuellement.

Y a-t-il une question que tu aurais toujours voulu qu’on te pose en interview et à laquelle tu n’as jamais pu répondre ?

Je crois que j’aimerais bien que les interviews soient peut-être plus politiques et qu’elles me mettent un peu plus en danger. J’aimerais qu’au fil des années et de mes changements personnels, je puisse voir l’évolution en fonction de ces avis un peu plus tranchés. Je pense qu’à travers la musique et mon art je véhicule quand même des idées et j’aimerais qu’on me demande mon avis sur l’état actuel des choses comme pour la question du climat. Je souhaiterais inviter la jeunesse à suivre le grand élan de marches qu’il y a un vendredi par mois pour soutenir ces questions. J’aimerais l’inciter aussi à se rendre compte que la marche est très belle et que c’est beau d’être soudés comme ça, mais que le changement, c’est plus qu’une nécessité ; c’est une urgence. J’invite donc la jeunesse et les gens, tout le monde, à réfléchir sur des vraies façons efficaces de se faire entendre, de se révolter contre les injustices sociales et la situation climatique actuelle.