Moins pour vivre mieux

© Timothée Parrique
ÉCONOMIE · Face à l’urgence climatique, la décroissance émerge comme une alternative à la croissance économique. Entre critique du PIB, remise en question de la croissance verte et pistes concrètes de transition, L’auditoire a rencontré l’économiste à HEC-UNIL Timothée Parrique, qui éclaire les enjeux de ce modèle et ouvre les horizons de pensée.
Bonjour, merci d’avoir accepté cet interview. Pour commencer, pourriez-vous présenter brièvement les principes clés de la décroissance ?
Dans Ralentir ou périr (2022), je la définis comme une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. On peut la résumer comme un phénomène – le ralentissement économique – guidé par 4 principes : la durabilité, la démocratie, la justice sociale et le bien-être. La décroissance postule qu’une baisse de la production et de la consommation serait plus efficace que les stratégies existantes visant à seulement essayer de verdir la croissance. Il faut imaginer une sorte de grand régime macroéconomique avec des instruments de déconsommation et de renoncement production visant les biens et services qui alourdissent le plus l’empreinte écologique – c’est l’aspect durabilité. Comme toute stratégie de transition, la décroissance doit être politiquement acceptable, socialement juste, et humainement désirable.
La décroissance agit sur l’effet volume : produire et consommer moins.
La contrainte démocratique nous permet de différencier décroissance et récession ; la première étant planifiée et choisie, alors que la seconde est imposée et subie. Le critère de justice sociale demande une transition à plusieurs vitesses avec un niveau d’effort proportionnel aux différentes empreintes individuelles. Et enfin, par « souci du bien-être », on doit comprendre que ce délestage économique doit être fait de la manière la plus prudente possible, en commençant par les biens et services les moins essentiels pour en pas mettre en péril la qualité de vie.
En quoi la décroissance vous semble-t-elle être une alternative crédible – voire nécessaire – face au modèle économique fondé sur la croissance, ou sur la croissance dite « verte » ?
Pour que la croissance économique soit réellement soutenable, nous devrions complètement dissocier hausse du PIB des pressions environnementales, à un rythme suffisamment rapide pour revenir à temps sous le seuil des limites planétaires.
Travailler moins, c’est libérer du temps pour vivre mieux.
Cette croissance-là n’a jamais existé et je n’ai vu aucune preuve convaincante montrant qu’elle pourrait se matérialiser, encore moins dans les années qui viennent. Si nous voulons voir baisser l’empreinte écologique totale d’une économie, tout semble indiquer qu’il va falloir produire et consommer moins. Concernant la croissance verte, les deux approches sont plus complémentaires qu’on ne le pense. L’approche de la décroissance (simplification des besoins, sobriété, minimalisme, meilleur partage des infrastructures existantes, etc.) permet d’éviter de produire des choses dont on pourrait se passer. Les choses que l’on ne peut pas éviter de produire doivent l’être de la manière la plus écologiquement parcimonieuse possible ; on retrouve ici des outils classiques (énergies bas carbones, matériaux recyclés, longévité des produits, réparabilité, etc.). la décroissance agit sur l’effet volume (moins) et la croissance verte sur l’effet composition (mieux).
Existe-t-il déjà des exemples de pays, villes ou régions qui mettent en place des politiques ou pratiques en résonnance avec les principes de la décroissance ?
La suppression des publicités pour les produits à forte empreinte carbone à La Haye, la mise en place d’alternatives au PIB pour mesurer l’activité d’un pays (les budgets bien-être en Nouvelle-Zélande, par exemple), les expérimentations de réduction du temps de travail en Islande et en Suède, la fermeture de lignes aériennes en France après la Convention Citoyenne pour le Climat. Toutes ces initiatives résonnent avec certains des principes de la décroissance. Si un pays venait à introduire toutes ces politiques (et de nombreuses autres) en même temps, et que cela entraînait une baisse de son niveau d’activité économique total, on pourrait alors parler de décroissance. Pour le moment, ça reste un scénario hypothétique.
Enfin, quels seraient selon vous les co-bénéfices d’un modèle de décroissance pour la population, au-delà de sa soutenabilité écologique ?
Si l’on peut se permettre de produire et de consommer moins, cela veut aussi dire que l’on peut travailler moins, avec tous les bénéfices que cela suppose, à condition que cette baisse du temps de travail ne vienne pas aggraver la précarité. Travailler moins, c’est libérer du temps libre pour des activités à forte utilité sociale comme le bénévolat, l’éducation des enfants ou la participation à la vie politique. « Moins de biens, plus de liens », disaient les premiers théoriciens de la décroissance.
Tout semble indiquer qu’il va falloir produire et consommer moins.
Une économie qui décide d’allouer moins de ressources humaines à la production de marchandises pourrait donc, en théorie, allouer ces ressources ailleurs, avec des gains en termes de qualité de vie.
Merci. Il semble en effet que la décroissance, loin d’un simple ralentissement, invite à repenser notre rapport au progrès, au bien-être et à la nature. Une piste audacieuse pour un futur durable.
Propos recueillis par Leif Favre