Festivals, tout un business!

ÉCONOMIE · Derrière le show des artistes, les festivals cachent une réalité économique bien plus rude. Pour les organisateur·ices, la saison estivale rime souvent avec casse-tête budgétaire, contraintes logistiques et concurrence accrue. L’Auditoire lève le rideau sur ce défi de taille auquel font face nos évènements de l’été.

Au cours des dernières semaines, les informations sont enfin tombées. Comme chaque année, il s’agit de la période où les festivals annoncent leur programmation. Montreux JazzSion sous les étoilesFesti’neuch ou encore Balélec, chacun nous délivre les secrets de sa nouvelle édition et promet au public un lot de concerts mémorables. Au lendemain de ces annonces, c’est pourtant une approche bien diverse qu’adoptent ces organisateur·ices. Dès lors que les têtes d’affiche ont été révélées, il est déjà temps de planifier la billetterie. L’aspect financier de l’évènement reprend ainsi vite le dessus. 

Un bénéfice garanti?

S’il on en croit la SMPA, la société des professionnel·les suisses de l’événementiel musical, organiser un festival paraît plutôt rentable. En effet, près de 2750 festivals et manifestations ont été recensées sur l’année 2023, soit une augmentation d’environ 20% par rapport à l’offre culturelle de l’année précédente. Cette tendance semble aussi se retrouver dans les médias. « Paléo complet en seulement treize minutes », voilà ce que titrait récemment le 24 heures en Une de son journal, traduisant l’effervescence du public par un bénéfice économique assuré. Toutefois, cette idée est démentie par les professionnel·les, du secteur. « Même si le stade est plein, le match n’est pas joué » déclarait Daniel Rosselat, syndic de Nyon et président du Paléo au micro de la RTS.

Autrement dit, la billetterie ne fait pas tout, car la rentabilité de l’évènement se joue aussi sur d’autres terrains.

A cela s’ajoutent des dépenses souvent invisibles pour le public, comme les salaires du personnel technique, les coûts de sécurité ou encore les infrastructures temporaires, autant d’éléments qui pèsent lourd dans le budget final.

Une économie défavorable 

Avec un budget annuel de 3 millions de francs, Festi’neuch se situe dans la moyenne romande, mais se retrouve bien en dessous des 28 millions du Montreux Jazz. Le financement d’un festival implique ainsi forcément des choix budgétaires parfois complexes. D’une part, les cachets des artistes sont en forte augmentation. En cause, l’effondrement des ventes de disque depuis les années 2000 et la pandémie de COVID-19 ont donné un nouvel élan aux requêtes astronomiques de certains artistes. Actuellement, les tarifs oscillent entre 150’000 francs pour des têtes d’affiche francophones à près d’un million pour des stars internationales.

Pour répondre à ces prix démesurés et ne pas renoncer à certains artistes, les festivals doivent trouver des ressources financières supplémentaires. Parmi ces ressources, on compte le sponsoring, une pratique largement popularisée dans les évènements culturels, mais fragilisée par le contexte économique.

Comme le dit Rafaël Binggeli, directeur de l’agence Sponsorize, « plusieurs sponsors historiques en Suisse connaissent des restructurations. Dans ces situations, on coupe dans les dépenses, et le sponsoring-événementiel est généralement l’un des premiers budgets à être réduit ». Une autre méthode de compensation budgétaire est la hausse du prix des billets. Comme révélée par la SonntagsZeitung en 2024, assister à un concert ou un festival coute en moyenne 90 francs, un chiffre en hausse de 12% par rapport à 2019 et qui n’a jamais été aussi élevé. Cette augmentation soulève aussi la question de l’accessibilité: pour de nombreux festivalier·ères, ces tarifs élevés deviennent un frein, limitant l’accès à la culture populaire.

Un modèle à saturation

En soi, le modèle suisse des festivals est assez particulier. L’offre de festivals organisés chaque année est plutôt vaste pour un pays comptant à peine 9 millions d’habitant·es. Cette étendue peut donner l’impression que les festivals se marchent sur les pieds les uns des autres, et c’est bien le cas. La vastité de l’offre rend le marché des festivals bien saturé et, si ceux bien implantés parviennent à se maintenir, le développement des nouveaux « concurrents » est beaucoup plus complexe, comme le montre le cas de Vibiscum. En 2024, le festival veveysan a été contraint d’annuler sa 3ème édition en raison d’une vente de billets insuffisante. En réaction, le directeur de Sion sous les étoiles, Michael Drieberg, déclarait: « Il n’y a pas de place à prendre pour un nouvel acteur, qui met 4 ou 5 millions de budget sur la table. Ils ont beau avoir tout l’argent qu’ils veulent, on en oublie que l’essentiel c’est les artistes et ils ne poussent pas comme des petits pains ». Un avis partagé par Julien Rouyer, co-directeur de Caribana: « C’est une réalité. Aujourd’hui, les festivals n’ont plus les mêmes marges qu’auparavant. Dans ce contexte-là, un acteur économique d’une telle taille ne peut s’introduire dans ce secteur ». Malgré cette situation, les communes sont toujours plus envieuses d’avoir un festival chez elles. Pour les acteurs·ices politiques, la promesse de retombées économiques dans la région demeure un argument fort les poussant à projeter l’organisation d’un évènement de ce genre dans leurs environs.  

Diego Mignogna

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