Ilaria: désobéir pour survivre

LITTÉRATURE – Avec son troisième roman, l’autrice d’origine italienne, suisse et anglaise nous plonge dans l’histoire d’Ilaria, une fillette de huit ans emportée, dans un voyage sans retour par son père. Entre la dépendance à un père instable et la quête d’une liberté impossible, Ilaria doit s’adapter à une vie marquée par l’imprévisible. 

Alors qu’Ilaria pensait, en sortant de l’école, voir sa sœur Ana arriver, c’est son père Fulvio qui vient la chercher et l’emmène au restaurant. Ce repas qui devait durer deux heures se transforma jours après jours, semaines après semaines, mois après mois, en un voyage de deux ans à travers l’Italie. Ilaria, huit ans, ne saisit pas très bien la situation. Père et fille s’inventent une vie dans leur voiture et dans les stations-service qu’ils traversent. Mais cette nouvelle vie forcée n’est pas facile à vivre pour Ilaria, le père fume, boit trop, c’est un homme instable et imprévisible. À chaque étape, à chaque ville sur leur chemin, Fulvio s’arrête pour téléphoner à la mère d’Ilaria ou lui envoyer des télégrammes. Après une séparation douloureuse, Fulvio n’accepte pas le départ de son épouse. Ilaria nous transmet la pression continue de ce mari désespéré d’avoir été quitté. « Sur l’autoroute il disait qu’il ne sait pas vivre sans elle. Qu’il ne vit que pour elle. ». 

Dans ce récit narré du point de vue d’une enfant qui ne comprend pas tout de suite ce qu’il lui arrive, le lecteur est saisi par la manière dont est retracée une réalité qui se dérobe sans aucune explication. Dans un monde fermé où Ilaria ne fréquente que son père, elle apprend à interpréter et démêler les attitudes de ce dernier. « Nous vivons de profil, papa et moi. Je connais bien la ligne de son nez, la forme ovale de ses oreilles, les poils qui dépassent de ses sourcils, juste au-dessus de la monture de ses lunettes. Je suis même capable de reconnaître ses humeurs à travers ses soupirs, ses grognements, ses gestes. ». Ilaria doit s’adapter auprès de ce père qu’elle aime autant qu’elle redoute. Elle doit vivre, survivre au milieu de cette tempête émotionnelle, dans une vie qui a perdu toute apparence de normalité. Ilaria conteste, se rebelle, elle apprend à désobéir. « Désobéir. Ce mot tombe en moi comme un caillou. Il me traverse tout entière. Quelque chose s’effondre, me vivifie. ». 

L’émotion avant l’explication

Une des forces du livre réside dans le concentré de mémoire que choisit Gabriella Zalapì, évitant ainsi la dispersion narrative que l’on peut retrouver parfois dans ce genre de texte. L’autrice ne cherche pas à tout expliquer en détail, laissant le récit de la fillette suffire pour transmettre les émotions et comprendre les enjeux. Il n’y a aucun jugement de valeur: Ilaria accepte sa vie d’errance, marquée par une scolarité irrégulière et une grande solitude. Elle trouve néanmoins des repères rassurants: son nounours, son seul ami et confident, le cochon pendu, les dessins… tout un monde enfantin qui l’aide à naviguer à travers une situation qu’une enfant de huit ans ne peut comprendre entièrement. Dès les premières pages, on constate que la narratrice est née en 1972, tout comme l’écrivaine, ce qui laisse penser que leurs souvenirs pourraient se croiser. Et lorsque Gabriella Zalapì rencontre le journal Le Monde pour leur rubrique « Le Monde des livres », elle répond être Ilaria et que les faits racontés sont en partie inspirés de son vécu.  

Le roman est également ancré dans le contexte de l’Italie des années 1980, période marquée par des bouleversements politiques et sociaux, ce qui ajoute une dimension historique à l’histoire personnelle d’Ilaria. Durant les nombreux trajets en voiture, la radio informe Ilaria et Fulvio des événements qui se produisent à ce moment dans le pays. 

En somme « Ilaria » est un récit poignant et puissant, qui ne cherche pas à offrir des réponses faciles, mais qui plonge le lecteur dans l’univers déstabilisant d’une enfant face à un père désespéré et à un quotidien sans repères. Gabriella Zalapì réussit à capter l’essence même de la désobéissance comme acte de survie. C’est un de ces romans qui ne laisse pas indifférent et s’impose comme une lecture marquante. 

Extrait du livre :

« Je n’ose pas dire « non », je n’ose pas dire que je ne comprends pas, que je m’en fiche complètement des choses plus importantes. Je veux aller à l’école, jouer, voir mes copines, aller aux anniversaires, aux cours de gym. Je veux faire des flic-flac, des roulades, m’entraîner à la poutre et faire comme Nadia Comaneci. Je veux rentrer. Puis l’idée de quitter Papa me glace. Je ne peux pas le laisser seul. »  

Nicolas Servais

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