Déconstruire le bien-être

@ Elliot Bürki
ARTS VISUELS · Diplômé de la HEAD en arts visuels, Elliot, nous plonge dans son monde, oscillant entre ready madeet création pure. Actuellement en pleine préparation d’une exposition, il nous dévoile sa réflexion sur le capitalisme du bien-être. L’Auditoire est parti à sa rencontre pour comprendre son univers artistique.
Peux-tu nous parler de toi et de ton art?
Je suis un artiste lausannois de 23 ans, j’ai eu mon Bachelor en arts visuels à la HEAD en juin 2024 et depuis je travaille pour différent·es artistes. Ma pratique artistique joue avec le vrai et le faux. Je suis à la recherche de ce qui rend une situation, un objet vraisemblable à mes yeux. Je m’amuse beaucoup sur ce spectre-là, ce qui commence au ready made et finit à la création d’une œuvre. En ce moment, je partage un grand atelier à Renens, avec beaucoup d’ancien·es étudiant·es de l’ECAL. C’est très enrichissant de pouvoir avancer sur mes pièces tout en étant entouré.
Travailles-tu sur un nouveau projet?
Je travaille actuellement sur plusieurs pièces d’œuvre d’art que j’aimerais bien exposer. L’idée serait de présenter une exposition qui critique le capitalisme du bien-être. Pour la création de mes pièces, j’utilise souvent le second degré, il est rare que je critique de manière frontale. Dans l’exposition, il y aura aussi des œuvres plus personnelles qui parlent de ma santé mentale.
Qu’est-ce que le capitalisme du bien-être?
La vision du bien-être sous le capitalisme s’est transformée. Il y a aujourd’hui cette idée qu’il faudrait absolument faire ou acheter quelque chose pour aller mieux, par exemple faire un bain ou un masque pour le visage. Le bien-être, c’est le secteur économique le plus croissant ces dernières années. La société va mal alors les gens essaient désespérément de trouver quelque chose à faire. Certain·es influeur·euses vont jusqu’à se réapproprier les pratiques d’autres cultures en les commercialisant et en les adressant à un public européen, comme c’est le cas pour le yoga. Le contenu bien être sur les réseaux connait un boom. Il se calque sur la culture du bonheur, l’idée qu’il faudrait absolument être heureux et surtout qu’il faudrait chercher le bonheur. Je partage la vision du philosophe Moritz Schlick qui dit que le bonheur semble s’éloigner lorsque l’on cherche à l’atteindre.
Quel a été le point de départ de ta réflexion?
Je dirais que ça a été ma première peinture de cheval. C’était une œuvre que j’avais dû faire dans le cadre d’un exercice à la HEAD, où nous devions produire quelque chose sans parler de nos intentions afin de se concentrer plus sur l’œuvre que sur la justification. J’ai alors peint un tableau pour parler de ma dépression dont je souffrais depuis des années. Un jour, j’ai lu que la dépression commençait le jour, où on ne trouvait plus de sens à refaire son lit. Cela ne marchait pas pour moi puisque je n’ai jamais fait mon lit, en revanche, pour moi c’étaient les chaussettes. En effet, la dépression pour moi ça commençait avec cette question: à quoi bon mettre des chaussettes non-dépareillées? En d’autres mots, c’était le début de la négligence. J’ai donc peint un cheval qui fuit à toute allure, ses quatre chaussettes dépareillées et mal ajustées semblant prêtes à s’échapper. Ce qu’on devine en regardant le tableau de plus près, c’est que le cheval s’apprête à tomber. Pour cette création, je ne voulais pas utiliser un ton dramatique, d’où le choix de peindre la figure majestueuse d’un cheval, avec des chaussettes. Je voulais prendre la dépression sous un autre angle. Je me sentais coupable d’aborder ce thème alors que la santé mentale, c’est quelque chose de très personnel mais je me suis vite rendu compte que ce tableau pouvait parler à quelqu’un d’autre. Pendant ma dépression, j’ai moi-même tout essayé et j’étais le premier client du capitalisme du bien-être. C’est donc là, où je me suis rendu compte que la capitalisation du bien-être était hyper formatée.
Que cherches-tu à transmettre dans ton exposition?
A travers différentes œuvres sur lesquelles je travaille en ce moment, j’aimerais mener les gens à se rendre compte de l’intérêt qu’il y a derrière cette nouvelle notion de bien-être. Leur présenter le wellness washing et mettre en avant que dans cette logique, le bien-être est réservé pour celles et ceux qui peuvent se le payer.
Propos recueillis par Sarah Pfitzmann
Retrouvez l’artiste sur Instagram: @elliotpaulronald