Romantisme noir

LITTERATURE · Né à la fin du XVIIIe siècle, le romantisme noir incarne la face obscure du mouvement romantique. Là où la nature sublime et la quête d’idéal dominent le romantisme classique, le romantisme noir explore l’angoisse, la folie et les mystères insondables de l’existence.
Ce courant littéraire et pictural s’est inspiré de la fascination pour le macabre et l’irrationnel, il puise dans les récits gothiques anglais et les légendes folkloriques européennes. Avec l’essor de l’ère industrielle et l’érosion des certitudes des Lumières, le romantisme noir est né comme une réponse littéraire au bouleversement des sociétés européennes. Loin des rêveries bucoliques du romantisme classique, ce courant explore les ténèbres de l’esprit humain, les frissons du surnaturel et la mélancolie face à une modernité déshumanisante. Alors que la machine commence à façonner la société, les écrivain·es du romantisme noir se préoccupent des conséquences sur l’humain, de ce changement. Par ailleurs, le thème de la folie y est souvent exploré. Cette fascination pour l’esprit malade reflète une société en perte de repères. Dans certains romans, l’automate incarne cette crainte: il brouille la frontière entre l’humain et l’artificiel, semant le doute sur ce qui définit la vie et les émotions authentiques.
Amour, folie et chute fatale
En 1816, E.T.A. Hoffmann publie Der Sandmann, roman qui s’inscrit dans le romantisme noir. Le récit met en scène Nathanael, un jeune homme hanté par un traumatisme enfantin lié à Coppelius, une figure sinistre qu’il associe au marchand de sable, personnage légendaire qui arrache les yeux des enfants pour les endormir. Cette obsession marque toute sa vie et l’éloigne peu à peu de Clara, sa fiancée. L’esprit de Nathanael vacille lorsqu’il croise Coppola, un opticien inquiétant qui semble être une réincarnation de Coppelius. Sa descente vers la folie s’intensifie lorsqu’il tombe amoureux d’Olympia, une femme énigmatique et parfaite dans son apparente sérénité. Ce n’est que plus tard qu’il découvre qu’elle est en réalité un automate, une création artificielle du scientifique Spalanzani avec la complicité de Coppola. Cette révélation brise définitivement l’équilibre mental de Nathanael. Son amour pour Olympia symbolise une quête désespérée d’un idéal inaccessible. Aveuglé par son obsession, il préfère l’illusion d’une perfection mécanique à l’amour sincère mais imparfait que lui offre Clara. Cette préférence traduit une rupture avec une réalité devenue insupportable pour lui. Incapable de revenir à une existence rationnelle, Nathanael sombre dans la folie et finit par se donner la mort. Bien que publié en 1816, Der Sandmann trouve une résonance troublante dans notre monde contemporain. La fascination de Nathanael face à l’automate Olympia, symbole d’une perfection artificielle, évoque les préoccupations actuelles liées à l’essor de l’intelligence artificielle et des robots humanoïdes. Aujourd’hui, les avancées technologiques transforment nos modes de vie, remettant en question la place des émotions et de l’authenticité dans nos interactions. Face à cette modernité déroutante, la littérature joue un rôle fondamental. À travers l’imaginaire, elle reste une boussole essentielle pour naviguer dans un monde en constante mutation.
Sarah Pfitzmann