Des festivals et du folklore

© Arc-en-Ciel d’Evolène

Rencontre : Edith Quinodoz

ENTRETIEN · Présidente de de la section nationale suisse du Conseil International des Organisations de Festivals de Folklore et d’arts traditionnels (CIOFF®), Edith Quinodoz nous propose une vision du folklore à travers le prisme de l’échange et de la découverte de toutes les cultures. Elle-même danseuse et assistante à la direction artistique dans le groupe de danse folklorique d’Evolène, sa passion pour la promotion du patrimoine immatériel se traduit par son engagement pour un folklore innovant et bien vivant.

Bonjour, merci d’accorder cet entretien à L’auditoire. Pouvez-vous tout d’abord vous présenter ?

Edith Quinodoz, je suis la présidente présidente du CIOFF® Suisse depuis 2020. Je suis née et j’ai grandi à Evolène. Le folklore est une histoire de famille pour moi, car mon père est le directeur des Célébrations Interculturelles de la Montagne à Evolène (CIME). Je danse aussi au sein du groupe de danse folklorique local, l’Arc-en-Ciel, et j’assiste mon père à la direction artistique du groupe. On peut dire que je suis tombée dans le folklore dès mon enfance, et que cette passion ne m’a pas quitté. J’ai étudié les sciences des Sociétés à Fribourg puis j’ai réalisé mon master en tourisme à l’UNIL, avant de revenir dans ma région natale pour travailler dans ce domaine. 

Qu’est-ce que le CIOFF®?

C’est avant tout une ONG internationale qui a pour but de promouvoir et diffuser le patrimoine culturel immatériel à travers des festivals. Le CIOFF® est un membre associé de l’UNESCO, ce qui est le plus haut niveau de partenariat qu’une ONG peut avoir auprès de l’UNESCO. On est donc accrédité pour la protection, la promotion du patrimoine culturel immatériel, qui guide l’action du CIOFF®. On a aussi toutes sortes de missions annexes, comme de créer l’échange ou promouvoir la tolérance. On a une philosophie orientée vers la paix entre les cultures qui sont accueillis dans nos festivals. On l’applique par exemple à travers l’égalité entre les groupes accueillis : chaque groupe a le même temps de scène, et on veille à ce qu’aucune culture ne prenne toute la place. Pour la section Suisse, notre rôle est à la fois d’aider des festivals suisses à trouver et faire venir des groupes étrangers, mais aussi d’aider les groupes folkloriques suisses à se développer, à monter sur scène ou aller dans des festivals internationaux. 

Que font ces festivals ? Combien sont présents en suisse ?

Pour moi, il y a un principe de base concernant le folklore : c’est un art vivant. Et un art vivant qui se nourrit presque exclusivement de l’échange. Cela signifie qu’il n’y a que la confrontation, la rencontre des cultures qui peut vraiment créer une prise de conscience de sa propre culture, de ses propres coutumes.

Toute la réflexion autour de la création d’un festival de folklore, c’est donc l’échange entre les cultures. Il y aussi la volonté d’offrir une vitrine de qualité au folklore suisse, en particulier en Valais où il y a de nombreux groupes.

Ces deux objectifs se regroupent sous un grand chapeau, qui est la promotion du patrimoine culturel immatériel, et qui est le rôle du CIOFF®. Outre les CIME, il y deux autres festivals de folklore labellisés par le CIOFF® en Suisse. A Fribourg, les Rencontres de Folklore international (RFI) ont lieu chaque année et fêtent leurs 50 ans cet été, et le Festival International Folklorique d’Octodure a lieu tous des deux ans à Martigny. 

Est-ce qu’il y a des critères pour mettre en lien festival et groupe folklorique ? 

Le CIOFF® utilise trois catégories de folklore pour décrire ce que font les groupes folkloriques : l’authentique, l’élaboré, le stylisé. Un programme authentique aura un contenu plutôt régional, dansé avec des costumes authentiques, la musique et la danse sont interprétées sans aucun arrangement. C’est par exemple le cas des danses apprises par les générations précédentes, qui sont souvent présentées à l’affilée, sans enchaînement. C’est le cas de beaucoup de groupes valaisans, où on a tous·toutes des danses que nos grands-parents dansaient et qu’on continue de danser de la même manière.

Le folklore élaboré, peut couvrir une à plusieurs régions, et les éléments du costume sont souvent adaptés. Mais avant tout, la musique et la danse ont été harmonisées, c’est une création de nouvelles danses, inspirées d’éléments traditionnels. Ce sont des programmes enchaînés. On commence à raconter une histoire aux spectateur·rices.

Par exemple dans mon groupe, l’Arc-en-Ciel, on a un tableau qui raconte un mariage, un autre qui parle de Carnaval, et on intègre dans les danses des formes de mimétisme. On mime des gestes de la vie quotidienne, comme les travaux des champs. Enfin, la catégorie dite « stylisée ». Là, on est dans quelque chose de moins enraciné, dans lequel on se concentre plus sur la technique et le spectacle, en s’inspirant des aspects nationaux du folklore et de l’art traditionnel. Les costumes sont recréés la plupart du temps. Il s’agit d’une transposition scénique moderne, qui est réalisée à partir de l’idée d’une création artistique. Ces catégories permettent de protéger les groupes et les festivals. Quand un groupe s’inscrit en tant que groupe authentique pour un festival, il sera dirigé vers les festivals qui recherchent ce genre de groupe. Et comme le CIOFF® joue ce rôle de contact entre les groupes et les festivals, c’est notre responsabilité de protéger les groupes et de les envoyer au bon endroit, car il n’y a rien de pire pour un groupe que d’être dans un festival et de ne pas se sentir à sa place. Il y a des festivals qui préfèrent présenter des groupes qui sont tous de la même catégorie, d’autres qui préfèrent tout présenter. C’est le cas de notre festival des CIME, où on tient à présenter autant de groupe authentiques, élaborés et stylisés. Cela pose quelque difficulté, car pour un groupe authentique grec, ou papoue, c’est difficile de danser sur la même scène qu’un grand ballet ou qu’un groupe semi-professionnel, qui ont tout un spectacle très stylisé. Il faut faire un effort de pédagogie afin d’expliquer au public ce qu’il va voir et découvrir. Le but des festivals est bien de pouvoir faire découvrir des cultures, d’ouvrir l’esprit des gens sans avoir besoin de partir. 

Qu’est-ce qui vous marque le plus dans votre festival à Evolène? 

Au CIME, la thématique qui revient est celle de la montagne. Nous nous en servons de fil rouge pour montrer que la réalité de la montagne est différente à travers le monde, mais qu’il y a plein de chose qu’on a en commun et qui nous rapprochent malgré des pratiques différentes. Par exemple, le respect voire la crainte de la montagne se retrouve aussi bien dans les cultures alpines que pour les peuples vivants proche de volcans. Et à mon avis, avec l’actualité, en particulier la montée de l’extrême droite, je pense que c’est ce qu’il y a de plus important dans nos festivals. J’ai toujours aimé ce que je faisais, mais là j’ai l’impression qu’ouvrir les esprits, permettre découvrir l’autre relève presque de la mission. Je vois ça à Evolène, tous ces petits moments passés à boire un verre ou danser avec une personne qui vient d’Ouganda, d’Inde ou d’ailleurs sont magnifiques. Tous les gens qui pensent eux-mêmes être réticent·es, quand iels sont en contact directement avec des gens qui viennent de loin, leur réticence disparaît. Et parfois, iels découvrent eux-mêmes qu’iels ne le sont pas finalement. Ces contacts sont permis par un contexte de fêtes, et ça libère les gens des préjugés qu’iels avaient. Le festival amène un cadre différent, de légèreté, dans lequel les gens osent se mélanger et découvrir qu’il y a de la place pour tout le monde, toutes les cultures.

Comment décririez-vous les danses et le folklore suisse ? 

On en revient à la notion d’échange. On le voit aussi très fortement dans le folklore suisse, à travers les pas de nos groupes de danses. La valse, ça ne vient pas de chez nous, la polka, ça ne vient pas de chez nous, la matzurka non plus. Tous ces pas sont arrivés dans les danses Suisse par la rencontre et l’échange.

A Evolène, on danse des tarentelles car on a un lien historique avec l’Italie. Avant que les routes carrossables se développent, il était plus simple de passer le col pour rejoindre nos voisin·es latin·es que de se rendre à Sion.

Nos costumes sont aussi variés, et ont des liens étroits avec la sphère germanique, même en Suisse Romande. Et ce n’est pas spécifique à la Suisse, les Mexicain·es dansent beaucoup de pas de polka. C’est important de comprendre que les démarcations qu’on fait au niveau de l’UNESCO permettent une protection et une promotion de notre patrimoine immatériel, typiquement on ne peut pas dire que le Jodel serait mexicain, mais cela n’empêche en rien l’existence d’autre forme de chant de montagnes, l’appropriation de certains pas et l’échange de certaines pratiques.  

Vous dansez vous-même en costume depuis votre enfance. Mais d’où viennent les costumes en Suisse et à Evolène? 

Cette importance de l’échange et du partage n’est pas toujours partagée, car certain·es pensent que le folklore doit uniquement se préserver. C’était beaucoup le cas dans les Fédérations cantonales de costumes en Suisse, qui ont été créées dans les années 30.  Elles ont transformé le costume en un uniforme, donc il a été décidé à un moment que le costume avait telles formes, telles pièces, telles couleurs, certains costumes se sont en quelque sorte figés au moment où on a cessé de les porter quotidiennement. Mais par exemple, dans notre groupe de l’Arc-en-Ciel, le costume officiel est le plus précieux, celui qu’on porte pour les célébrations ou les mariages. Cependant, il se porte de manières très régulières dans sa forme plus simple avec une personnalisation des parures. On est un peu une exception là-dessus, mais cela fait que notre costume est encore en train d’évoluer. Sur scène, en fonction de ce qu’on danse, nous avons encore le luxe de pouvoir porter différentes variantes de notre costume, tout en restant authentiques. Par exemple si nous faisons un tableau sur la vie paysanne, personne n’allait au champ bien habillé·e, mais si nous faisons notre tableau sur le mariage, alors le costume officiel a du sens. Dans ces fédérations, iels ont aussi défini des danses, donc pendant longtemps tous les groupes du Valais avaient le même répertoire musical et dansant. Cela a permis de créer un répertoire commun par canton, mais dans le même temps, à mon avis, cela tue la spécificité de chaque région.

Si à l’époque on avait abordé le folklore différemment, en mettant à disposition des groupes des outils comme l’apprentissage du rythme et de la mise en scène et si on avait créé des liens avec les conservatoires, nous aurions une qualité artistique différente aujourd’hui.

Le public serait plus intéressé et les groupes plus dynamiques. Et dans les faits, les groupes qui travaillent comme ça on l’air de mieux se porter. Les fédérations de costumes ont eu leur importance pour la protection des costumes, mais elles n’ont pas donné de base solide pour faire évoluer les groupes ensuite. Chez nos voisin·es, c’est une autre mentalité, une reconnaissance plus large, notamment par l’institutionnalisation de l’art traditionnel qui a sa place dans les universités et les académies de danse. Je pense qu’on est en train de comprendre que c’est vers cela qu’il faut aller. C’est pour ça que le CIOFF®et les groupes de danses folkloriques doivent aussi se faire connaître auprès des cantons, car c’est de là que pourrait venir ce soutien. 

Propos recueillis par Nicolas Hejda

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