Un café comme métaphore

PUBLICATION ACADÉMIQUE · Création collective coordonnée par Moraya Knecht et Jean-Claude Métraux et publiée aux éditions Antipodes en septembre 2024, Un café pour métaphore est la mise en commun de réflexions et d’expériences d’un grand nombre d’auteur·rices. Construit autour de l’approche pratiquée par Jean-Claude Métraux, la pédagogie déconfinée, le livre est un appel à repenser la manière dont on enseigne et dont on apprend – deux rôles qui gagneraient à troquer leur herméticité pour une interactivité dynamique. L’ouvrage retrace plus de vingt ans de l’évolution du cours Santé et migration, que Jean-Claude Métraux, psychiatre et psychothérapeute, a lui-même donné à l’UNIL à l’Institut de psychologie en tant que chargé de cours et qui a notamment permis à certain·es ancien·nes étudiant·es de participer à cette œuvre.

Le café rassemble, crée des moments de partage. Nul besoin d’apprécier son goût quelque peu amer pour comprendre l’image véhiculée par ce titre. Les liens co-créés entre thérapeute et patient·e, professeur·e et étudiant·e, professionnel·le et stagiaire, bref, entre êtres humains, nous suivent à travers l’ouvrage, d’une plume et d’une voix à l’autre, et constituent le fil rouge d’un livre qui regroupe autrement des récits variés. Encore plus explicitement, le sous-titre Déconfiner universités et pédagogies nous annonce la couleur de l’ouvrage, profondément assumé et à contre-courant des approches académiques traditionnelles. Dans cette démarche novatrice, les savoirs des étudiant·es, « expert·es de leur propre vécu », ne sont plus relégués au second plan.

Ce qui marque le plus à la lecture de cet ouvrage est probablement son format collectif, qui donne la place autant à Jean-Claude Métraux, aux psychologues de son cabinet et aux étudiant·es, qui ont eu un passage beaucoup plus bref – mais clairement marquant – dans son monde. C’est en effet une expérience pour le moins unique pour des étudiant·es de Master de publier un tel ouvrage. Cette démonstration pratique d’horizontalité en pédagogie, qui sort des limites où elle a été « confinée », illustre parfaitement les propos de Un café comme métaphore. Le terme de « pédagogie déconfinée » a ainsi été donné par Moraya Knecht à l’approche soutenue, que ce soit un déconfinement géographique ou théorique. « D’autre part, j’ai toujours été motivée à faire face à l’inconnu et au défi de redéfinir la notion de thérapie », précise-t-elle. Au fil des chapitres, les différent·es contributeur·rices apportent leur point de vue et enrichissent l’ouvrage de leurs expériences. Jean-Claude Métraux, fort de ses nombreuses expériences communautaires, du Nicaragua à Sarajevo en passant par la création de l’association Appartenances, explique comment il a pris en charge le cours Santé et migrations. Les « assistantes clandestines » de ce cours (c’est-à-dire, non officielles) ont quant à elles ajouté leur touche tout au long du livre, à l’instar de Moraya Knecht qui a participé à la coordination de l’ouvrage et Mauranne Laurent, dont l’interview sur son expérience d’assistanat au cours Santé et migrationsse trouve au dernier chapitre. Les étudiant·es de ce cours ont également pu discuter de leurs vécus dans le cadre de l’enseignement, autant en présentiel qu’en ligne – pandémie oblige. Durant cette période d’isolement et de confinement, ce cours les a poussé·es à construire et entretenir des liens humains dans toutes les circonstances, et même avec les membres de leur propre famille. Certain·es étudiant·es de ce cours ont par la suite décidé d’écrire leur mémoire sous la supervision de Jean-Claude Métraux. Cet ouvrage résume quelques-uns de ces travaux, qui dépassent pour la plupart le cadre attendu à ce niveau – travail de terrain de plusieurs mois dans un pays étranger, création d’une exposition ou d’un groupe de parole… 

Les chapitres du livre se poursuivent au fil des étapes d’un parcours estudiantin typique; autrefois étudiant·es, puis mémorants, quelques-un·es deviennent psychologues stagiaires. Et Jean-Claude Métraux, en sa qualité de psychothérapeute, en a accueilli bon nombre dans son cabinet, leur donnant la possibilité d’une expérience professionnelle d’une richesse inestimable. On peut comprendre la valeur de cette opportunité en lisant les textes de cinq d’entre ceux et celles qui furent à un moment ou un autre stagiaire dans ce cabinet. Lors de ces nombreuses rencontres avec l’autre, où les connaissances théoriques apprises en classe ne suffisent pas, la mise en place d’une relation horizontale avec les patient·es a permis une meilleure confiance entre les deux parties, malgré les différences inévitables et une asymétrie qui ne pourra jamais complètement être effacée. Deux psychologues expriment cette idée avec des mots très semblables, qui se complètent et s’approuvent. Kuëlan Vandel fait part de ses réflexions par rapport à sa profession : « […] je me suis rendu compte que le psychologue n’est pas celui qui sait, », – « même si un peu sûrement », nuance Esther Ortuño –, « mais avant tout celui qui apprend de l’autre », termine Kuëlan. Les jeux de rôle, ou sociodrame initiatique, selon le terme de Jean-Claude Métraux, qui peuvent se présenter sous diverses formes, permettent également de mettre un pied dans la chaussure de l’autre le temps de quelques heures. Sans avoir besoin d’une formation en psychologie, c’est une manière accessible « d’aller à la rencontre de l’altérité », idée relevée à maintes reprises tout au long du livre. 

C’est donc un ouvrage qui fait décidément réfléchir, surtout dans le contexte universitaire. Cette approche implique une redistribution des pouvoirs dans notre système académique profondément hiérarchisé, où les étudiant·es, tout comme les personnes que nous étudions – idée qui prend toute son importance dans les domaines humains comme la psychologie ou l’anthropologie –, devraient être libres d’utiliser leur voix et, surtout, d’être écouté·es. Les savoirs sont en tout temps co-construits, dans un jeu de va-et-vient entre deux interlocuteur·rices donc les connaissances et le vécu revêtent la même valeur. L’ouvrage nous offre ainsi des pistes de réflexion, et surtout une manière de penser la pédagogie autrement; une pédagogie communautaire, horizontale, et déconfinée. 

Pour tous·tes les intéressé·es, une présentation sur Un café comme métaphore aura également lieu le 27 mars 2025, dans la salle 2097 à l’Anthropole, à 17h30. Ce sera l’occasion de discuter avec les auteur·rices principaux·ales de l’ouvrage et d’échanger sur les réflexions et pensées qu’a fait surgir la lecture de ces pages.

Alice Côté-Gendreau

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