Le Parloir : à la rencontre du studio de tatouage Lausannois

Dans le studio lausannois Le Parloir, cinq tatoueurs et tatoueuses tatouent avec plaisir une clientèle diversifiée. Mais que se passe-t-il en coulisse? Comment développent-ils leur style, quelles sont les relations avec les clients? C’est à travers une interview sur Zoom, covid-19 oblige, que L’auditoire a pu se plonger dans le monde du tatouage.

Tatouages réalisés par les membres du Parloir interviewé.

Comment définiriez-vous la scène de tatouage à Lausanne et en Suisse romande?

Gaëlle: Lausanne est une scène en pleine expansion, c’est-à-dire qu’il y a un peu tout à faire. Je réalise que c’est vraiment une ville où il y a de très bons tatoueur·euse·s. Le niveau de Lausanne est très reconnu dans le milieu du tatouage.

David: C’est vrai que quand tu parles de tatouage en Suisse, les gens, même des tatoueur·euse·s aux USA par exemple, connaissent Lausanne, notamment à cause de la famille Leu – qui sont des grandes stars du tatouage en Suisse. Rien que par rapport à ça, Lausanne est déjà bien placée sur la carte du tatouage. Et la clientèle est cool, ouverte, il y a beaucoup d’étudiant·e·s, beaucoup de gens qui ont une certaine affinité avec le milieu de l’art, qui sont habitués à avoir des trucs cools sur la peau.

Tatoobyjo: Moi je suis un peu plus critique je crois. J’ai l’impression qu’il y a certes tout à faire mais que le tatouage est encore trop nouveau et qu’on doit beaucoup éduquer notre clientèle.

Gaëlle: Mais justement – tu commences avec des clients novices que tu peux éduquer. Si je compare à Londres, où je travaille maintenant, c’est une scène déjà underground, les gens vont plus négocier ou ne pas être réglo. A Londres, il y a tellement de monde, tellement de clients. En Suisse, c’est vrai qu’il y a de plus en plus de gens qui veulent être tatoueur·euse·s, c’est vraiment le métier cool en ce moment, mais les shops déjà en place sont bien installés et bien reconnus.

Grim: Il n’y a jamais eu autant de monde. Tous les jours, nous voyons de nouvelles personnes et le niveau n’a jamais été aussi élevé que maintenant; mais paradoxalement aussi bas, car tout le monde fait du tatouage. Beaucoup de gens apprennent par eux-mêmes et le tatouage amateur peut être très mal fait comme très bien fait: ça dépend de ta rigueur, de ton talent et surtout de ton implication. Mais je pense que c’est problématique, ça ne peut pas continuer comme ça, il y a trop de monde par rapport à la demande. On verra comment ça évolue. Mais évidemment, si tu vas faire ton tatouage sur le canapé du pote de ton cousin, il n’y a pas le même gage de qualité que dans un shop.

Pourquoi avoir choisi le métier de tatoueur? Qu’est-ce qui vous plaît et vous déplaît dans ce métier?

Grim: Si tu choisis ce métier, c’est que le dessin te plaît. Pour moi, c’est ça la base du tatouage et le tatouage est une finalité. Donc les avantages, c’est clairement de pouvoir se réveiller chaque matin pour faire ce que tu aimes. Du côté des inconvénients, le seul que je vois, ce serait le fait d’être indépendant·e et de ne pas savoir combien tu vas gagner sur l’année.

David: La situation d’indépendant·e est très difficile, car en Suisse, on n’est pas très protégé·e. Pour moi, c’est le seul côté négatif de ce métier. Après, comme pour tous les métiers qui découlent d’une passion à la base, on a tendance à ne plus mettre de limite en travaillant tout le temps et ça peut être à double tranchant. C’est-à-dire que l’on peut laisser passer le travail avant les vacances, avant la santé, avant plein de choses. Il faut donc essayer de se réguler, ce qui n’est pas forcément évident.

Tatoobyjo: Il y a un super podcast, qui se nomme Books Closed. C’est un tatoueur qui prend comme thème les relations dans son couple et effectivement, il aborde ce sujet en disant que le tatouage, c’est extrêmement débordant. Certes tu dois en vivre, mais on pourrait presque plus parler de passion que de métier. Personnellement, j’ai deux enfants et je sais que parfois, je dois faire attention pour conserver du temps pour ma famille. Je pense que parfois l’on peut un peu s’oublier. On pense tout le temps au travail.

Gaëlle: Ce n’est pas un boulot qui se termine quand tu rentres chez toi. Tu es toujours en recherche d’idées, de comment améliorer tes techniques… C’est comme un apprentissage perpétuel. C’est très prenant. Un autre désavantage, c’est que certaines personnes ne prennent pas ce métier au sérieux en disant: «De toute façon, c’est ta passion, ce n’est pas un travail.» Ils minimisent le travail et ça peut nous créer un syndrome de l’imposteur. Il faut savoir balancer l’aspect passion et l’aspect métier.

Tatoobyjo: Et puis, on dit tatoueur·euse, mais avant tout, on dessine. Le tatouage, c’est la finalité de quelque chose. Et puis il y a évidemment toute une facette de ce métier qui, comme tous les autres, comporte ces côtés rébarbatifs. Devoir répondre aux mails, gérer son agenda; et dans ces aspects, le métier ressemble à n’importe quel autre.

Le salon, Rue du Nord 11 à Lausanne

Comment développer son style en tant que tatoueur?

Grim: Je pense que ça vient avec le temps. A force de pratiquer, tu choppes ton trait de crayon et au bout d’un moment, tu te retrouves avec quelque chose que l’on reconnaît un peu. Je pense que si tu regardes ce que tu faisais il y a deux ans et que tu fais toujours la même chose, ce n’est pas positif. Il faut continuer à évoluer.

Hygie: A mon avis, ce qu’on fait aujourd’hui, ça a un rapport avec ce qu’on faisait déjà avant de tatouer. Je pense qu’on est tous et toutes des âmes créatives, avec un passé. On n’a pas commencé le premier jour à tatouer dans un style particulier. Moi par exemple, ce que je fais aujourd’hui, c’est parce que j’ai fait de l’illustration pendant des années. Le style est en rapport avec d’où tu viens, ce que tu aimes, ce que tu faisais avant le tatouage, comment tu as appris à dessiner, à appréhender les matériaux et les médiums.

Grim: Une différence avec le dessin, c’est que le tatouage vieillit – l’encre vieillit, la peau vieillit et tu ne peux pas tout te permettre. Techniquement, tu pourrais tatouer n’importe quoi et ce serait beau frais, mais il faut penser à comment ça va vieillir. Il y a donc une différence entre ton dessin en tant que tel et ton dessin pour le tatouage.

Tatoobyjo: Pour moi, ça rejoint ce qui définit un·e bon·ne tatoueur·euse. Savoir que c’est permanent, certes, mais que le tatouage évolue. Il faut avoir une certaine connaissance du corps, qui peut influencer l’interprétation du dessin. Mais tu peux être libre de faire tout autre chose à côté, si tu fais de la peinture ou tout à fait autre chose… De la broderie, de la musique. Tu peux avoir deux styles – un style de tatouage et un style d’autre chose.

Gaëlle: Et avoir un style ne veut pas dire qu’il faut s’y cantonner. Parfois un client te propose quelque chose qui sort de ta zone de confort, et tu le sens bien, et c’est aussi ça qui te permet d’évoluer.

Quels sont les rapports entre les tatoueurs et les clients? J’imagine que c’est une certaine responsabilité d’encrer pour toujours un motif sous la peau de quelqu’un.

Grim: Les premiers tatouages que tu fais sont stressants et prennent des heures, mais ça s’atténue au fur et à mesure de la pratique. Ça dépend aussi du client – si c’est un premier tatouage pour lui, la façon d’aborder le client est différente que si tu as déjà tatoué quelqu’un vingt-cinq fois. C’est vrai que c’est un rapport très intime, tu les touches, tu les marques à vie. En m’étant fait tatouer plusieurs fois aussi, j’ai aussi vécu des séances où je me sentais plus à l’aise que d’autres. La séance de tatouage en elle-même est une expérience.

Gaëlle: J’essaie de garder à l’esprit les moments où moi je me suis fait tatouer quand je tatoue, qui sont une piqûre de rappel que ça fait mal. C’est vrai que l’on tatoue toute la journée: on sait que ça fait mal mais on a tendance à l’oublier. Les gens auront leur tatouage à vie, tu marques donc ce moment qu’ils ont passé avec toi, car il va se graver avec le tatouage. Après, évidemment, on fait tous et toutes de notre mieux et il y a des jours où ça va moins bien… Mais nous donnons beaucoup d’énergie en tatouant et l’on reçoit aussi beaucoup d’énergie de l’autre personne.

Tatoobyjo: Je suis d’accord avec Grim. Ça dépend vraiment des clients. A force, on arrive un peu à les comprendre, à les deviner. Et du coup, on s’adapte en fonction; tu sais si ça va être une séance où il faudra plus rassurer le client ou si tu seras très concentré·e, dans ta bulle. Il y a aussi des gens qui n’ont pas envie de particulièrement discuter – on compare souvent notre salon aux salons des coiffeur·euse·s. Un autre point est qu’en arrivant à la fin de la séance, tu vois la personne qui souffre et ce n’est pas vraiment que tu t’en veux, mais tu compatis.

Grim: Ça, c’est dur. Les séances qui ne se passent pas bien, surtout niveau douleur, sont assez pénibles. Quand j’ai commencé à tatouer, je demandais toutes les cinq minutes si ça allait et les gens me disaient: «Bien sûr que non, je me fais tatouer. Donc arrête de me poser la question.»

Tatoobyjo: De plus, cette notion de douleur est une information qu’on est incapable de quantifier de manière générale. Mieux vaut peut-être se garder d’en tenir compte. Il y a souvent trois questions que les gens posent lorsqu’ils veulent un tatou: «quoi?», «combien ça coûte?» et «est-ce que ça fait mal?». Pour le quoi, à toi de savoir, combien, ça dépend et si ça fait mal, oui ça fait mal mais ça dépend du seuil de tolérance de la personne. On doit vivre avec mais on est obligé de l’occulter un peu.

Gaëlle: Certain·e·s viennent avec un bagage émotionnel plus intense. Et ça peut être très beau, quand des gens qui ont eu mal pendant la séance regardent leur tatouage à la fin et on voit qu’ils ont une espèce de joie interne qui vient exploser. Puis ils se retournent et te prennent dans les bras. Il y a une force d’émotion et tu dis que tu fais le plus beau métier du monde.

Tatoobyjo: Après je pense aussi qu’une chance dans notre salon, c’est qu’on a une clientèle fidèle. Du moment que quelqu’un aime et en a fait un ou deux avec toi, il·elle a confiance en la qualité, que la séance se passe bien. On rentre dans une autre relation. La personne revient, est moins regardante même au titre de projet et vient même parfois choisir un flash tatouage (des idées de tatouages pré-dessinés).

Comment est-ce que le tatoueur jongle entre les envies du client et son expérience? Comment se concrétise un projet?

Grim: Vu que nous ne sommes pas dans un street shop, les gens viennent avec des demandes et savent dans quel style tu vas la faire. Pour moi par exemple, j’envoie le dessin à l’avance, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Par exemple, je sais que Gaëlle fonctionne différemment.

Gaëlle: Je fais déjà beaucoup plus de free hand (faire directement le dessin sur la peau avant d’encrer) mais c’est vrai que moi je n’envoie rien et je montre le dessin le jour du rendez-vous. Puis je prends le temps le jour-même s’il y a des modifications. Si les gens aiment ce que je fais et que leur demande est claire, ça se passe généralement très bien. J’aime bien avoir l’idée un peu du «coup de cœur». Si j’envoie le dessin une semaine à l’avance, il pourrait y avoir trop de réflexion, le·la client·e va se poser dessus, l’envoyer à toute la famille et les amis, et il y aura trop d’avis alors que c’est quelque chose que tu fais pour toi à la base. Ça dépend des tatoueur·euse·s, mais moi je travaille beaucoup sur le spontané et le coup de cœur.

Tatoobyjo: Selon moi, il y a deux types de clientèles. Nous concernant, les gens ne viennent pas forcément avec une idée de signification derrière leurs tatouages – c’est peut-être quelque chose que les gens font au début, pour leurs premiers tatouages. Il y a un besoin d’être rassuré·e et au final, tu dépasses cela ou c’est peut-être juste une envie d’être tatoué·e – on dit souvent que le tatouage est assez addictif. A partir de ce moment, cette clientèle te laisse plutôt carte blanche, la confiance est acquise. C’est aussi le cas des personnes qui viennent pour la première fois, mais ont l’habitude d’être tatouées, ça roule tout seul. Les gens sont convaincus et il me semble que maintenant, ça se passe de plus en plus comme ça.

Grim: Pour un premier tatouage, les gens ont souvent besoin d’une signification; mais tu pourrais trouver n’importe quelle signification pour n’importe quel tatouage. Tu peux le relier à n’importe quelle histoire. La signification, c’est plutôt au début et tu dépasses ça au fur et à mesure des tatouages.

Gaëlle: Moi je ne suis presque pas d’accord. Je me dis qu’on a l’impression que ça n’a pas de signification mais si tu prends du recul sur les tatouages que tu as faits… Même par exemple pour un flash, si tu en vois un et que tu as un coup de cœur, ça veut dire que quelque chose résonne en toi face à ce flash. Pas forcément une signification du style «je le fais pour mes parents», mais quelque chose qui te parle en toi. J’ai remarqué plusieurs fois sur moi que des dessins que j’ai faits n’ont pas forcément de signification, mais il y a quand même un autre processus de réflexion derrière.

Grim: Mais les tatouages ont aussi une autre signification, peu importe le dessin que tu as… Par exemple, tu te rappelleras que pour celui-ci, tu étais à tel lieu, dans tel état d’esprit. C’est comme un rite de passage.

Gaëlle: Oui, ça, ça vient par après. La signification vient s’ajouter à ton tatouage et ce n’est pas que de l’esthétisme. Il va résonner en toi par rapport à ta personnalité, tes sentiments de ce moment-là. •

Retrouvez leur travail sur @leparloirtattoo

Propos recueillis par Fanny Cheseaux

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