Stefano, grand-père de 700 enfants

Stefano Scaringella quitte l’Italie, son pays natal, en 1983 pour s’installer de manière définitive au Nord-Ouest de Madagascar, dans la petite ville d’Ambanja. Cela fait désormais plus de trente ans qu’il vit là-bas, poussé par un besoin profond d’aider les gens. L’histoire du prêtre commence dans un couvent à Rome, où il a réalisé ses premières années d’études. Après avoir étudié la théologie, il décide de se réorienter en médecine. C’est à la suite de plusieurs années de formation qu’il peut enfin passer à la pratique. Il met alors le cap sur Ambanja – village situé à 7’188 kilomètres de chez lui – pour travailler dans une léproserie. Un matin, une petite fille de deux ans, Zafenie, est déposée devant sa porte. Elle a été abandonnée par sa mère et souffre de malnutrition. Stefano la prend sous son aile et la soigne. Il se rend ensuite au tribunal pour trouver une institution qui puisse accueillir la jeune orpheline. Le président de l’institution lui aurait répondu: «Il n’y a pas de maison comme ça ici, à moins que vous n’en construisiez une.» Sans hésiter, Stefano décide donc d’adopter Zafenie et achète un terrain pour y faire construire ce qui deviendra par la suite la Maison des enfants.

La Maison des enfants

Stefano Scaringella
©Chloé Barsoux

Le district d’Ambanja est une région de Madagascar qui compte aujourd’hui plus de 65’000 habitants, contre 5’000 à l’arrivée de Stefano en 1983. Les femmes y accouchent souvent très jeunes et ne sont pas préparées à la maternité. Ceci engendre un taux élevé d’enfants abandonnés, car les jeunes mères se retrouvent souvent seules et n’ont que peu de moyens financiers. Au cours des trente dernières années, Stefano a accueilli plus de 700 orphelin·e·s. C’est sous le nom de «grand-père» que les enfants le connaissent, un surnom affectueux qui le poursuit sur toute l’île. Aujourd’hui, plus d’une centaine de résidant·e·s animent la grande maison de deux étages, et c’est dans une ambiance joyeuse et familiale que les frères et sœurs grandissent sous le regard bienveillant du grand-père, de la doctoresse Félicité ainsi que de cinq autres femmes malgaches. Si les adultes sont là pour veiller à ce que les enfants grandissent harmonieusement, ceux·celles-ci restent très indépendant·e·s et c’est ainsi que le veut Stefano. Rien à voir avec l’image très stricte, voire lugubre que peignent certains films sur les foyers d’accueil, par exemple Les Choristes. Les enfants s’occupent instinctivement les un·e·s des autres et, dès l’âge de 5-6 ans, ressentent une certaine responsabilité vis-à-vis des plus petit·e·s et les défendent ou les consolent s’il y a des disputes. Si l’affaire est plus sérieuse, alors ce sont les plus grand·e·s, de 13-14 ans, qui interviennent. Et si le problème persiste, alors les enfants se tournent vers l’un·e des adultes (les bisous magiques de grand-père restent particulièrement efficaces). Son affection s’exprime différemment de l’attention souvent surprotectrice que beaucoup de parents accordent aujourd’hui dans les pays occidentaux, mais elle n’en est pas moins profonde et touchante. L’éducation des enfants se fait donc par la socialisation plutôt que par une multitude de règles. La seule obligation: aller à l’école. Pour Stefano, l’éducation demeure primordiale pour le développement des jeunes. Et, dès l’âge de 14-15 ans, les enfants quittent le nord de l’île pour la capitale, Antananarivo, afin de poursuivre une formation à l’université ou décrocher un premier emploi, selon leur envie. Une seconde maison a été construite là-bas pour permettre aux «grands enfants» de vivre ensemble. Stefano et toute l’équipe soutiennent leur·e·s protégé·e·s jusqu’à ce qu’ils·elles soient devenu·e·s complètement indépendant·e·s.

Une vision pragmatique de la religion

Stefano, qui détient désormais la nationalité malgache, nous met en garde par rapport au mode de vie parfois trop superficiel et matérialiste répandu en Europe. Il préfère la vie à Madagascar, plus en phase avec l’instant présent et avec l’environnement. Il juge les gens moins individualistes et angoissés. Même s’il retourne régulièrement en Europe, Stefano se révèle toujours soulagé de rentrer à la Maison des enfants. Le prêtre dit souvent avoir joué un bon tour à Dieu. Un si bon tour qu’il est devenu le grand-père de 700 enfants et est connu sous ce nom par toute la ville sans jamais avoir été marié, ce qui en dit long sur sa vision de la religion et son sens de l’humour, plutôt inattendu de la part d’un capucin. Il sait rester critique et prendre de la distance par rapport à certains principes de l’Eglise catholique qu’il qualifie de démodés. C’est l’une de ses plus belles qualités, cette ambivalence entre une capacité à déceler le meilleur des gens sans pour autant verser dans l’idéalisme naïf. Ce côté réaliste, il l’a acquis par ses nombreuses années d’expérience, plongé dans la dure réalité de l’hôpital qui n’a rien avoir avec les infrastructures suisses, ainsi que les premières années de vie, souvent très brutales, des enfants qu’il accueille. Les nouveau-nés ne tiennent pas longtemps s’ils se font abandonner, d’où l’importance de leur offrir un refuge. Le prêtre et chirurgien reste donc critique par rapport à la vision de ses confrères car, d’après lui, «il ne sert à rien de prier à longueur de journée». Stefano est un homme d’action qui, après avoir suivi des études de psychanalyse, est convaincu que «tu n’es jamais démuni car tu as tout en toi».

Garantir le futur des enfants

Stefano accorde beaucoup de temps aux gens qu’il rencontre. L’une de ses préoccupations principales à l’heure actuelle est d’assurer la continuité de sa mission. L’homme est un adepte de Périclès: «Ce que vous laissez derrière vous n’est pas ce qui est gravé dans les monuments en pierre, mais ce qui est tissé dans la vie des autres.» C’est dans cette perspective que Stefano passe chaque hiver quelques semaines en Europe, le temps de rendre visite à ses ami·e·s et de faire de nouvelles rencontres pour faire vivre les nombreux projets qu’il a développés sur l’île. Au fil des séjours s’est tissé un réseau fermement résolu à l’aider, et c’est ainsi que l’association Children First a vu le jour. Une fondation à but non lucratif qui apporte son soutien au maintien et au développement d’orphelinats, d’hôpitaux, de dispensaires et d’écoles à Ambanja. «J’ai su tout de suite qu’il avait besoin d’un soutien concret et à long terme, surtout. Stefano était très inquiet par rapport au futur, en particulier pour les enfants. Nous avons donc fondé Children First», déclare Victoria Grey, étudiante et membre de l’association. Depuis ses premiers jours à Ambanja, Stefano a su gagner la confiance des habitant·e·s et s’imprégner de la culture locale. La Maison des enfants procure aujourd’hui un refuge à plus d’une centaine d’enfants et Stefano ne compte pas s’arrêter là, même s’il est désormais arrière-grand-père! Pour assurer le futur de ces enfants, Stefano apprécie particulièrement la visite d’étudiant·e·s pouvant contribuer à sa mission. Un grand nombre s’y est déjà rendu, venant de Suisse, de France, d’Allemagne, d’Espagne ou encore d’Italie. Que ce soit pour réaliser un stage de médecine ou pour contribuer au bien-être psychologique des enfants, leur enseigner des langues, voire tout simplement pour leur rendre visite!

©Chloé Barsoux