La Suisse face au terrorisme : aperçu d’une machinerie complexe

On parle souvent, à tort ou à raison, de guerre contre le terrorisme. Cette guerre-là n’est pas menée contre le terrorisme en général, mais contre une main invisible et opportuniste, qui se saisit de toutes les occasions pour pointer son museau. Face à ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, quelle est la stratégie de la Suisse ?

La voie empruntée par l’Occident est sans issue. L’échec est annoncé. L’Etat islamique pourra sans aucun doute être vaincu, mais il se reproduira sous d’autres formes, il essaimera. Car on ne vainc pas une conception du monde à coup de missiles ou de bombardements. Il faut vivre avec cette potentialité d’éruption à tout moment. La lutte contre le djihadisme doit avant tout passer par un travail de prévention. Qu’en est-il en Suisse ?

En septembre 2015, le Conseil fédéral a adopté une stratégie de lutte contre le terrorisme. Elle combine des mesures de prévention, de répression, de protection de la société et des intérêts suisses et de prévention des crises. Elle établit un cadre commun pour tous les partenaires en charge de la sécurité.

En amont, des mesures concrètes peuvent être prononcées contre des personnes «représentant une menace pour la Suisse», telles que la déchéance de la nationalité suisse, l’interdiction d’entrée et le retrait du droit de séjour.

Les renseignements

Le facteur clef de la lutte contre le terrorisme est l’échange d’informations. La nouvelle loi sur le renseignement (LRens) permet au Service de renseignement de la Confédération (SRC) de collecter des données personnelles à l’insu des personnes concernées. En cas de soupçon de terrorisme, des mesures intrusives, telles que les écoutes téléphoniques, des fouilles de domicile ou le hacking de systèmes informatiques peuvent être adoptées, avec l’autorisation préalable du Tribunal administratif fédéral (TAF). L’aval du chef du département fédéral de la Défense, qui aura consulté les ministres des Affaires étrangères et de Justice et police, est cependant nécessaire. Cette nouvelle loi permet d’être au moins au niveau minimum des pays voisins et donc d’envisager que nos services de renseignement soient reconnus pour pouvoir bénéficier et donner des informations.

La difficulté est de savoir comment traiter la masse d’informations, qui est gigantesque et qui circule en Europe et d’outre-Atlantique vers l’Europe et en sens inverse, et quel sens lui donner. Aussi, il est prévu de permettre au SRC de collaborer avec des services de renseignement étrangers pour rechercher des informations, conduire conjointement des opérations ou développer des moyens de communication sécurisés. Une procédure de consultation est d’ailleurs ouverte jusqu’au 16 avril 2017 auprès des cantons et des milieux concernés.

Une répartition des tâches entre les autorités fédérales et cantonales

Cet échange d’informations doit non seulement fonctionner entre les services de renseignement au niveau international, mais aussi au niveau interne.

Le SRC évalue la menace terroriste. S’il soupçonne l’existence d’actes punissables, il transmet sans délai l’information au Ministère public de la Confédération (MPC). Cette autorité de poursuite pénale dirige l’instruction et l’Office fédéral de la police (Fedpol) mène l’enquête.

Actuellement, le MPC mène environ 70 procédures liées à la radicalisation islamiste et au terrorisme. Une grande partie de ces affaires pendantes implique le soutien propagandiste présumé des organisations terroristes telles qu’Al-Qaïda, Etat islamique ou des organisations connexes.

Fedpol dirige le groupe de travail task force TETRA qui coordonne les mesures contre le terrorisme et les djihadistes. Après les attentats de Charlie Hebdo ou de Bruxelles, la task force s’est toujours réunie quelques heures après. Fedpol a décidé d’envoyer des policiers pour soutenir l’ambassade suisse et a renforcé l’échange d’informations.

Les risques et menaces terroristes font l’objet d’une approche variable. Suivant le canton, le degré d’acuité avec lequel la menace terroriste est ressentie varie fortement. Du coté de Nidwald ou d’Appenzell Rhodes-Intérieures, le terrorisme n’est pas la première des préoccupations. Le canton de Genève, avec son aéroport, ses nombreuses organisations internationales et un contexte migratoire tendu, se soucie particulièrement de la menace terroriste. Si un attentat terroriste devait être commis en Suisse, la police cantonale concernée se chargerait des premières mesures. La formation et l’équipement des forces de l’ordre ont été adaptés à la menace terroriste. Le canton de Vaud possède son propre groupe d’intervention, le DARD (Détachement d’action rapide et de dissuasion).

La lutte contre la radicalisation est un enjeu primordial. Elle doit se faire au niveau local, en impliquant le tissu social, familial et éducatif. Certains cantons proposent par exemple un service de consultation destiné aux familles. D’autres misent sur la sensibilisation au sein de la police, dans les prisons ou auprès de personnes travaillant dans le domaine de l’immigration ou de la population. Dans le canton de Vaud, le Service pénitentiaire vaudois (SPEN) a formé une partie du personnel des prisons.

Une coopération qui fonctionne à tous les niveaux

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Une collaboration intercantonale entre les différentes autorités de police est prévue au niveau politique et au niveau opérationnel.

Le Réseau national de sécurité règle la coordination entre les autorités de sécurité des cantons et de la Confédération. Dernièrement, il lui a été demandé d’élaborer d’ici le deuxième semestre 2017 un plan d’action national contre la radicalisation et l’extrémisme violent.

La collaboration internationale est essentielle dans la lutte contre le terrorisme. Fedpol a adapté son réseau d’attachés de police. Actuellement, des policiers suisses sont en poste en Turquie, considéré comme le principal pays de transit et comme une base logistique pour les candidats au djihad, et en Tunisie.

Au niveau européen, la Suisse a également des agents de liaison au sein de l’Office européen de police (Europol) et au Centre européen de lutte contre le terrorisme (ECTC). La Suisse est en outre membre du Forum mondial contre le terrorisme depuis septembre 2011.

Une adaptation de l’arsenal législatif

La Suisse dispose seulement d’une loi fédérale urgente qui interdit Al-Qaïda et l’Etat islamique, dont l’application est limitée dans le temps (31 décembre 2018). L’article 2 de ladite loi prévoit une sanction maximale de 5 ans. En Belgique, la quotité de la peine est nettement supérieure. Le tribunal correctionnel de Bruxelles avait prononcé des peines allant de dix mois à vingt ans de prison, dont certaines avec sursis, à l’encontre de trente personnes prévenues d’avoir participé aux activités d’un groupe terroriste. Dans notre pays, un djihadiste suisse, condamné après son retour en Syrie, n’a écopé que de 600 heures de travail d’intérêt général avec sursis, assorties d’une psychothérapie. La Suisse n’est donc plus crédible sur la scène internationale.

Un article spécifique et permanent contre le terrorisme s’avère donc nécessaire dans le Code pénal. A cet effet, le Département fédéral de justice et police a remis à l’Office fédéral de la justice un rapport visant à introduire une nouvelle disposition pénale qui devrait permettre de poursuivre quiconque soutient d’une manière ou d’une autre une organisation terroriste. Les actes terroristes seraient également définis et la peine de prison maximale prévue pourrait passer de 5 à 10 ans ou plus.

La Suisse, un îlot à l’abri du terrorisme ?

Jean-Paul Rouiller, ancien cadre des renseignements suisses, et François Ruchti, journaliste à la RTS, ont publié récemment une analyse du risque et des enjeux du terrorisme dans notre pays (Le djihad comme destin. La Suisse pour cible ?). Cet ouvrage révèle l’existence d’un réseau islamiste complexe, qui prend ses racines en Suisse et qui étend ses ramifications hors de nos frontières. L’enquête, qu’ils ont menée conjointement, retrace les rôles et les parcours de plusieurs protagonistes suisses, ainsi que leur implication dans le terrorisme djihadiste international.

Ils ont pu constater que « les attentats de Bruxelles en 2016, de Paris en 2015 ou encore de Boston en 2013 impliquent à chaque fois des réseaux terroristes qui passent par le territoire hélvétique ». Selon eux, « la Suisse doit ouvrir les yeux et agir car les faits sont implacables ». Si de nombreuses mesures existent déjà, elles doivent encore être complétées, de sorte que la Suisse soit protégée sur son propre territoire et qu’elle ne serve pas de relai à d’autres menaces.