Passion, ambition et précarité

CORPS INTERMEDIAIRE — En tant qu’étudiant·e·s de l’Unil, vous vous destinez peut-être à une carrière académique au sein de la «maison» et s’il vous sera peut-être facile d’y entrer, y évoluer ou simplement y rester pourrait, en revanche, devenir un labeur plus qu’un épanouissement. Description de cette situation précaire par un assistant diplômé, membre d’un syndicat.

Paul Turberg est assistant diplômé à l’université de Lausanne dans la faculté de sciences sociales et politiques. De plus, pour cette entrevue, c’est au titre de membre du comité hautes écoles du Syndicat des Services publics du canton de Vaud (SSP) et de l’Association du corps intermédiaire de la faculté des sciences sociales et politiques (ACISSP) qu’il a accepté de nous parler de la précarité dans le monde académique.

Intermédiaire, mais pas des moindres

Même si la hiérarchie universitaire, à Lausanne comme ailleurs, est parfois difficile à appréhender, l’assistant ne manquera pas de nous expliquer les différences fondamentales au sein de ce grand milieu. «Un bon moyen pour distinguer une situation convenable d’une situation précaire à l’intérieur du corps intermédiaire et dans l’ensemble à l’université est de se demander qui dispose d’un contrat à durée indéterminée». On retrouve cette division au sein même du corps intermédiaire qui regroupe des maîtres d’enseignement et de recherche, au bénéfice d’un poste stable, et d’autres statuts, aux postes instables, tels que les doctorant·e·s, les post-doctorant·e·s et chargé·e·s de cours. Avec cette première ambivalence dans l’appellation «corps intermédiaire» écartée, on peut se pencher sur une distinction plus fine parmi les doctorant·e·s en écriture de thèse avec d’un côté les doctorant·e·s FNS et les assistant·e·s diplômé·e·s de l’autre. Les deux ne sont, en effet, pas logé·e·s à la même enseigne. Là où les assistant·e·s diplômé·e·s (à l’instar de notre interlocuteur) sont employé·e·s par l’Unil à des taux d’engagements variables, les doctorant·e·s financé·e·s par le fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) sont engagé·e·s à 100 % par un·e professeur·e qui a obtenu un financement. Malgré ce taux d’occupation, de prime abord, plus intéressant, les salaires des doctorant·e·s FNS sont moindres et l’Unil prévoit à ce titre deux indemnités. Une première automatique qui s’élève à 761 CHF et une seconde de 500 CHF sous conditions telles que la prise en charge d’assistanat qui implique de baisser son taux d’engagement sur la thèse.

Des indemnisations insuffisantes

Dès lors, faut-il s’enthousiasmer d’une université providentielle qui neutraliserait les injustices? À en croire le SSP (le syndicat) et l’ACISSP, les doctorant·e·s FNS restent insuffisamment rémunéré·e·s par rapport aux assistant·e·s. Ainsi, à la suite de la campagne Stable jobs : better sciences, débutée à l’automne 2022 au niveau fédéral, le SSP et l’Association du Corps intermédiaire de l’université de Lausanne (ACIDUL) ont lancé une pétition pour mettre fin à la précarité et aux inégalités entre doctorant·e·s qui a récolté plus de 1072 signatures et a été remise à la direction de l’université le 22 juin dernier. À l’origine de la démarche, il y a d’abord les différences de salaires entre doctorant·e·s FNS et assistant·e·s diplômé·e·s. Pour le SSP et ACIDUL, les deux indemnisations sont insuffisantes pour rétablir des différences de revenu qui vont de 18 000 à 22 000 CHF par année. Cette différence est accentuée par les conditions d’octroi de la deuxième indemnité notamment parce qu’elle implique une charge d’assistanat qui vient s’ajouter à un temps plein pour la thèse: «Dans les faits, les doctorant·e·s FNS renoncent souvent à la seconde indemnité, le temps d’assistanat supplémentaire se faisant au détriment du travail sur la thèse». Pour éviter cette autoprivation, le syndicat estime que l’Unil devrait verser une indemnité unique de 1500 CHF pour permettre aux doctorant·e·s FNS d’être à égalité salariale avec les assistant·e·s diplômé·e·s.

Tout travail mérite salaire

Sans nier les différences entre les deux types de doctorant·e·s, les assistant·e·s diplômé·e·s font face à deux problèmes. Premièrement, le temps alloué à la thèse s’avère souvent insuffisant. Actuellement, sur un plein-temps, la moitié est consacrée à l’assistanat, comprenant notamment la création de syllabus, la réponse aux mails des étudiant·e·s ou encore la correction de copies et l’autre moitié à la thèse. Sur cinq années de contrat, ce n’est en fin de compte en moyenne que deux années qui peuvent être consacrées à la thèse. Le deuxième problème est celui du taux d’engagement. Paul Turberg est engagé à temps plein, mais force est de constater que ce n’est pas le cas dans toutes les facultés: «Il y a des collègues dans le reste de l’Unil qui font le même travail que moi, mais qui ne sont employé·e·s qu’à 20 % voire 10 % pour la thèse à côté d’un 50 % pour l’assistanat». L’assistant diplômé considère que ces insuffisances sont dues à de vieilles représentations qui dépeignent la recherche avant tout comme un hobby ou une passion et non un travail salarié. Pourtant, les doctorats restent une mine à collecte de données sans lesquelles la science ne pourrait vivre. Face à ces deux problèmes, le SSP demande d’une part une augmentation du temps dévolu à la thèse à 70 % et une diminution du temps alloué à l’assistanat à 30 % et, d’autre part, l’engagement systématique des assistant·e·s à temps plein.

En finir avec le renouvellement sous conditions

Qu’iels soient mandaté·e·s par le FNS ou l’université, avec des contrats d’une ou deux années renouvelés généralement jusqu’à un total de cinq, les doctorant·e·s sont non seulement à la merci du bon vouloir des professeur·e·s dont dépend la décision de renouvellement, mais aussi des ambitions de celleux-ci notamment s’iels choisissent de quitter la Suisse en route vers d’autres projets laissant leurs doctorant·e·s sans perspectives. Cette dépendance représente par ailleurs un terreau fertile pour des relations de dominations ou du harcèlement. Face à cela, la pétition lancée par le SSP et ACIDUL demandent notamment la garantie par l’Unil des salaires par un fonds externe que celui du projet porté par le·a professeur·e. Cette solution devrait permettre d’éviter aux doctorant·e·s de se retrouver sans financement par absence de directeur·ice de thèse. Elle faciliterait également la dénonciation du harcèlement ou du mobbing par le·a doctorant·e qui n’aurait plus à craindre que son signalement ne se transforme en fin de contrat. Toujours dans l’idée de réduire ce rapport de dépendance, les deux organisations demandent de mettre fin aux contrats de 4 ou 5 ans des doctorant·e·s divisés en trois contrats renouvelables au profit d’un contrat unique pour toute la durée du projet.

Le doctorat et après ?

Malgré les difficultés rencontrées pour l’achever, le doctorat ne serait pas une promesse de stabilité: «Lorsqu’on commence notre thèse, on nous dit souvent que seul·e·s 5 à 9 % d’entre nous arriveront à trouver une place stable dans une université». En Suisse, environ 80 % du personnel de recherche dans les hautes écoles ne disposent pas de contrat à durée indéterminée. Dans d’autres pays, comme l’Angleterre, la France ou les Pays-Bas, ce chiffre ne s’élève pas à plus de 30 %: il y est plus fréquent de se voir attribuer un poste stable après une thèse de doctorat ou un postdoctorat. Tandis qu’à Lausanne comme dans le reste de la Suisse, «vous avez des personnes qui attendent parfois jusqu’à 45-50 ans en enchaînant des contrats précaires avant d’accéder à un poste stable à cause de ce goulot d’étranglement» affirme-t-il. Ainsi qu’iels soient postdoctorant·e·s, chargé·e·s de cours ou de recherche ou encore premier·ère·s assistant·e·s, ces personnes sont employées pour des contrats qui ne durent parfois qu’un semestre. Iels ont aussi souvent des pourcentages très faibles qu’iels doivent cumuler. À cet égard, iels doivent parfois accepter des charges uniques d’enseignement, à des taux d’engagement sous la barre des 10 %, afin de compléter leur revenu. Là encore, ces contrats sont la plupart du temps de très courte durée. Dans ces conditions, ni la pression ni le harcèlement ne disparaissent une fois la thèse terminée.

Entre les doctorant·e·s et les docteur·e·s, l’Unil et d’autres universités du pays feraient ainsi peser la majorité de leurs tâches sur un personnel vulnérable, sous pression, et insuffisamment rémunéré. «C’est très difficile d’avoir des perspectives de carrière dans ce milieu. Il y a un risque que ce système favorise, par souci d’économies et d’une vue de court terme, une fuite des «cerveaux» ». Si les revendications évoquées ont encore du chemin à faire, les points qu’elles soulignent permettent un bon tour d’horizon de la forme que prend le travail à l’Unil avant d’être stabilisé. Pour celleux qui sont toujours intéressé·e·s par cette carrière, il est aussi bon de savoir que des associations, des syndicats et des personnes, comme Paul Turberg, se mobilisent pour l’amélioration de ce monde convoité et méconnu.

Clément Porchet

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