La chaire défendue

Tableau : Goya y Lucientes, Francisco José de (1823)

Rédigé par : Nina Perez

RELIGION • Le cannibalisme terrifie autant qu’il fascine. Pratique associée à des temps immémoriaux, la société occidentale la considère comme le signe d’une monstruosité absolue. Mais quelles pratiques ce terme recouvre-t-il réellement ?  

En décembre 1972, les seize hommes survivants d’un crash aérien survenu dans la Cordillère des Andes, révèlent que leur survie durant deux mois dans les montagnes argentines était due à la consommation de la chair des passager·ère·s décédé·e·s. La révélation choque et, lors d’une conférence de presse, l’un des survivants explique l’acte en ces termes : « nous nous sommes dit que si le Christ, pendant la Cène, avait offert son corps et son sang à ses apôtres, il nous montrait le chemin en nous indiquant que nous devions faire de même : prendre son corps et son sang, incarné dans nos ami·e·s mort·e·s dans l’accident. Et voilà, ça a été une communion intime pour chacun de nous ». La comparaison religieuse interpelle, mais elle révèle un lien profond entre anthropophagie et spiritualité, que nous pouvons retracer dans de nombreuses pratiques.

Caractéristiques du cannibalisme

Le cannibalisme semble avoir été pratiqué par l’Homme dès la Préhistoire et de manière locale tout au long de l’histoire. Certaines sociétés l’ont institutionnalisé en le considérant comme un acte rituel présentant une structure sacrificielle. Il ne faut cependant pas le confondre avec le sacrifice humain ou avec le simple désir de consommer de la chair humaine. Au contraire, il s’agit d’une « institution sociale normative étrangère à quelque penchant que ce soit », comme souligné sur l’Encyclopedia Universalis par Nicole Sindzingre, chercheuse au CNRS. Deux types de cannibalisme semblent s’exclure : l’exocannibalisme et l’endocannibalisme. Le premier consiste en la consommation de morts appartenant à un groupe extérieur, souvent dans un contexte guerrier. Le but est de s’approprier les qualités du défunt ou de venger les morts de son propre groupe. L’endocannibalisme désigne la consommation de morts de sa communauté afin de garantir la permanence de l’esprit du mort parmi les vivants.

L’avion écrasé en 1972

L’ambigüité du phénomène

Dans les sociétés occidentales, l’anthropophagie est un tabou fortement ancré. Ce profond rejet trouve ses origines dans deux traditions, comme l’indique Georges Guille-Escuret dans une interview sur France Culture.

Les Grecs rejetaient le fait de manger des individus de leur propre groupe et considéraient le cannibalisme comme une marque de sauvagerie.

D’abord, la Grèce antiquethématise le cannibalisme dans l’histoire de Zeus, qui échappe à l’appétit de son père, Cronos. Ce dernier dévore ses enfants de peur qu’ils·elles ne le remplacent. Les Grecs rejetaient le fait de manger des individus de leur propre groupe et considéraient le cannibalisme comme une marque de sauvagerie. La seconde est le christianisme qui, dans ses origines mêmes, contient une ambigüité face à la chair. Cette dernière représente en effet à la fois un objet de péché tout en étant sanctifiée dans le rituel de l’Eucharistie. La transsubstantiation du corps du Christ est loin d’être anodine et les débats se sont multipliés quant à savoir ce qu’elle signifiait réellement. Pour l’Église catholique, le corps du Christ est réellement contenu dans le pain et le vin, ce que certains penseur·euse·s de la Réforme ont vivement critiqué. Le lien avec le cannibalisme n’est pas si lointain et il est dès lors intéressant d’évoquer le discours des survivants du crash. Ces derniers cherchaient à justifier par la religion un comportement fortement réprouvé, mais considéré comme nécessaire. Le Pape va jusqu’à les absoudre, représentant le pardon absolu. À travers cette multiplicité de pratiques décrites, allant du cannibalisme ritualisé au cannibalisme de survie, le lien avec le sacré apparaît central. Entre fascination et interdit, l’anthropophagie ne cesse de cristalliser des enjeux divers et il est intéressant de questionner ces pratiques peu connues.

Liens des photos :

https://dilps.unil.ch/card/1225269

https://elpais.com/ccaa/2017/04/08/catalunya/1491679540_376378.html

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